Chapitre 2
Dix heures avant notre trépas.
Encore dans l'entrée, nous effectuons un mouvement de recul en découvrant les lieux. L'appartement est un véritable champ de bataille. Vêtements, maquillage et objets en tout genre y sont éparpillés.
-Waouh... Je ne sais pas qui est l'instigateur de ce capharnaüm, mais Olivia va entrer dans une colère noire.
Je hoche la tête,
-Elle va faire un carnage !
À quelques pas de là, nous découvrons Daphnée, Cédric et Damien sirotant un café dans la cuisine. Morgan rejoint son petit-ami qu'il embrasse. Puisque personne ne semble disposé à nous expliquer, je prends l'initiative,
-Je peux savoir ce qu'il se passe ici ?
-Si tu veux parler du chaos dans les autres pièces, atteste Cédric, c'est l'administratrice qui perd les pédales. Elle fouille dans nos placards depuis plus d'une heure.
Daphnée agrée,
-Je crois qu'elle fait un burn-out la pauvre. On a bien essayé de la raisonner seulement il n'y a rien à faire.
-Si tu veux mon avis, c'est l'excédent de fleurs tout ça, argumente Damien. Tu peux toujours tenter ta chance auprès d'elle, toutefois il y a peu de chance qu'elle t'écou...
Le garçon est justement interrompu par Olivia. Notre aînée vient se planter à l'encadrement de la cuisine. À bout de souffle, elle dispose six valises devant elle.
-On met les voiles les amis !
Cédric crache sa gorgée de café sous la surprise. Nous demeurons interdits un instant. Elle est méconnaissable. Son apparence toujours si soignée n'est qu'un souvenir. Sa chevelure est lâchée tandis que sa chemise déboutonnée donne sur son débardeur.
-Vous avez perdu votre langue ?
-Que veux-tu dire par "on" met les voiles ? s'abasourdie Daphnée.
-On a tous besoin de prendre l'air ! Vous avez beau faire mine de, chacun d'entre vous a besoin d'un break.
Notre incrédulité la consterne.
-Très bien... Alors commençons par Lana !
Perplexe, j'oriente mon index dans ma direction. Olivia acquiesce, la sentence m'est bien destinée.
-Il n'y a qu'à la regarder pour comprendre qu'elle s'est encore faite jeter, n'est-ce pas ?
Je me racle la gorge, embarrassée.
-Je ne parle même pas de ton frère qui attend toujours son premier baiser de la même fille depuis dix ans ! Il serait peut-être temps de lâcher l'affaire ou de te lancer, tu ne crois pas ?
Cédric vire au rouge.
-Pour ce qui est de Damien, il a beau passer ses journées nez à nez avec son ordinateur, il n'a aucune inspiration ! Mon entreprise attend ne serait-ce que les prémices d'un projet viable de sa part depuis plus de quatre mois.
Le concerné affronte le regard de son petit-ami.
-C'est vrai ça ? Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?
-Eh bien tu es toujours en voyage alors... je... Désolé bébé.
-Navrée, intervient Daphnée, mais je ne me joindrais pas à vos aventures. Je n'ai aucun souci et énormément de travail qui m'attend...
-Au contraire,
Olivia lui tend son bagage,
-tu es une artiste, les artistes aiment voir le monde, non ? Aller en route ! L'intrépidité ne se refuse pas ma grande!
Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous l'avons suivi sans rechigner. Aucun de nous ne pouvait réfuter ses paroles, cela aurait été mentir.
Comme toujours, Olivia s'était assurée de tous nous savoir attachés avant d'enclencher le contact.
Ce n'est qu'une fois dans sa voiture, les fenêtres grandes ouvertes et la musique tambourinant que nous comprenions combien ce sentiment de liberté nous avait manqué. Je fermais les yeux, appréciant le moment aussi délirant soit-il.
Deux heures avant notre trépas.
Le baiser que Cédric dépose sur mon front a pour effet de me faire émerger. Somnolente, je profite encore quelques minutes de son épaule.
À l'exception de bien des grands frères, le mien s'est toujours montré tendre à mon égard. Bien que nos parents soient aimants, mon père n'a jamais su réellement témoigner son affection. C'est pourquoi, d'une façon ou d'une autre, Cédric a fini par s'incomber ce devoir.
Notre chauffeur nous annonce que nous sommes enfin arrivés à destination,
-J'espère que ma petite surprise vous plaira ! Un brin d'imprévu ne fait pas de mal parfois, vous ne pensez pas ?
Damien arque un sourcil,
-C'est vraiment l'administratrice qui nous parle là ?
-Oh la ferme le geek...
Je pousse un bâillement puis fini par me redresser. Le parking sur lequel nous stationnons donne sur la mer. Le tableau de bord indique cinq heures. Il fait nuit, la plage est seulement illuminée par les néons.
-C'est magnifique !
-Et si on allait se baigner ?
Morgan dévisage Daphnée tandis que son petit copain ajoute,
-Tu n'es pas sérieuse Daph? Nous sommes encore au printemps, à cette heure l'eau est glaciale !
Installée sur le siège passager, la jolie blonde se tourne vers mon frère. Ses grands yeux verts le font succomber.
-Elle ne doit pas être si froide... Je suis pour.
Damien hilare lui rappelle combien il est influençable.
J'échange un regard avec Olivia qui marmonne.
-Et dire que ça fait dix ans que ça dure...
Les un après les autres, nous enfilons nos maillots de bain cachés par l'habitacle du quatre roues.
Constatant que je ne compte finalement pas les rejoindre, Cédric dépose son sweat-shirt sur mes épaules puis se jette à l'eau en compagnie du reste de la bande. Je regroupe leurs affaires autour de moi afin de veiller dessus. Tandis qu'ils se confrontent aux vagues, je les contemple depuis la plage. Je me sens apaisée pour la première fois depuis bien longtemps.
Malgré moi, mon attention se porte sur Daphnée. Je suis ravie qu'elle ait pris l'initiative de cette baignade.
Quelques années auparavant, elle n'osait pas dévoiler son corps même en présence d'amis. Je me rappelle l'adolescente aux t-shirts larges éternellement accompagnés de joggings. Elle cherchait sans cesse à s'effacer, la posture en retrait comme si son corps manifestait spontanément une présence trop imposante pour elle. Je me remémore encore la Daphnée qui dissimulait ses formes généreuses et les bourrelets qui tailladent son bassin. Cela ne peut que me rendre plus fière de ce qu'elle est devenue aujourd'hui. Elle est resplendissante.
Le corps en étoile de mer, la blonde se laisse porter par mon frère. Entre deux rires, il lui assure qu'elle peut fermer les yeux et se détendre, il ne la laissera pas couler. Ils se chamaillent avec une complicité qui leur est propre.
Je ne partage pas le point de vue d'Olivia à leur sujet. Cela fait peut-être dix ans que Cédric ne fait que l'admirer, pourtant je donnerai n'importe quoi pour un jour avoir le privilège qu'on me regarde ainsi.
-Tu as eu raison de ne pas te baigner, elle est glacée !
Damien s'empare d'une serviette dans notre sac de plage et s'y enroule frigorifié. Je me mords la lèvre pour ne pas me moquer de ses dents qui claquent. Il fouille les manches de sa veste afin d'y dénicher un paquet de gâteaux.
-De toute façon d'ici je ne peux que mieux admirer Morgan ! Tu ne trouves pas que ses fesses ont été sculptées par Apollon en personne ?
Nous nous observons longuement. L'instant semble durer une éternité avant qu'il ne balbutie,
-Tu sais quoi? Je préfère que tu ne répondes rien à cette question finalement.
Je me sers dans ses provisions de friandises en acceptant sa requête,
-Je crois que je préférais aussi.
Nous profitons du silence un instant. Au loin, j'aperçois Olivia qui exhibe une gigantesque bouée. Elle s'y prélasse, privatisant les lieux comme une reine sur son trône.
-Au fait, Lana on n'a pas vraiment eu le temps d'en discuter. Qu'est-ce qu'a donné ta recherche d'emploi ? C'était véritablement si catastrophique ?
Il n'est pas nécessaire de répondre pour qu'il devine.
-Ce n'est qu'une passade ma grande, ça va aller.
Je pose ma tête contre son épaule, lassée.
-J'ai parfois l'impression d'être une ratée, Damien.
-《 La beauté est dans les yeux de celui qui regarde》
Le garçon englouti un oréo avant de m'offrir une explication,
- Certains membres de ma famille perçoivent mon métier comme un échec. J'ai trimé pendant plusieurs années avant d'être repéré, cependant pour eux les jeux vidéos restent une perte de temps. Seulement, dès que je commençais à baisser les bras, mon père me répétait cette citation d'Oscar Wilde. Elle a plus d'une signification possible, mais il se plaisait à me dire que le monde serait bien meilleur si les gens essayaient d'avoir foi au potentiel d'autrui au lieu de s'acharner à lui faire croire qu'il en est dépourvu.
De son index, il m'incite à garder la tête haute.
-《 La beauté est dans les yeux de celui qui regarde》, tu es capable de plus d'une chose Lana Pardrics, personne je dis bien personne n'est un raté. Trouver sa voie ne signifie pas se limiter à une seule option, tu finiras par le comprendre un jour, fais-toi donc un peu confiance.
-Merci.
-Toujours à ton service mini Cédric.
-Je n'aime toujours pas ce surnom, tu sais ?
-Je sais.
Daphnée fond soudain sur nous. Elle se jette sur son ordinateur sur lequel elle pianote avec frénésie. Sa tâche achevée, elle met en veille l'appareil et nous annonce,
-Nous avions jusqu'à six heures trente du matin pour rendre ce devoir, il est six heures vingt-huit je suis parfaitement dans les temps !
-Qu'est-ce que tu avais à faire cette fois ? je m'intéresse.
-Prendre une photo qui symbolisait le plus possible la déesse Athéna à nos yeux.
-La déesse qui ?
Je dévisage Damien, outrée.
-Quel inculte... Athéna la déesse de la guerre dans la mythologie grecque, elle est incontournable voyons !
Daphnée rit,
-A vrai dire Lana, Athéna est la déesse de la stratégie guerrière, c'est Arès le dieu de la guerre. Mais tu n'étais pas loin.
Le garçon profite de l'occasion pour me renvoyer l'ascenseur,
-Lana, Lana, Lana... Encore si jeune et incultivée...
Je le toise.
-Sinon Daphnée tu ne te lasses pas du thème de la mythologie ? l'interroge-t-il. Ton professeur vous laisse trimer dessus depuis plusieurs mois non ?
-Au contraire, il y a bien trop de mythologies différentes pour ne pas s'ennuyer. Après un an je suis bien plus calée que n'importe qui sur le sujet !
À son tour Morgan accoure jusqu'au point de rassemblement.
-Tiens les fesses d'Apollon se ramènent.
-Les quoi ? ricane Daphnée.
Damien cogne son épaule contre la mienne en offrant un sourire à son bien aimé. Le rouquin nous propose une photo de groupe. Il active sa caméra avant même d'obtenir notre permission. Nous finissons par nous résigner à le suivre jusqu'à l'étendue bleue.
-Vous ne trouvez pas que le courant s'est agité ?
Morgan me rassure,
-Tu te fais des idées, j'ai vérifié la météo avant de quitter la voiture, il n'y a pas de souci à avoir de ce côté-là.
J'entre dans l'eau à tatillons, sautillant d'un pied à l'autre comme si cela allait parvenir à me réchauffer. Nous nous enfonçons jusqu'à la poitrine à l'exception d'Olivia décidée à séjourner les jambes croisées sur sa bouée.
-Quelqu'un pourrait aller repêcher la petite sirène ?
Daphnée pointe l'horizon pour nous situer mon frère. Je me porte volontaire.
-DÉGAGEZ-TOUS ! FUYEZ !
Depuis la plage, une silhouette s'agite. Je plisse les yeux sans parvenir à saisir ce qu'il s'entête à nous crier.
-DÉPÊCHEZ-VOUS DE SORTIR DE LÀ, C'EST DANGEREUX !
Je me tourne vers Cédric qui hausse les épaules.
Je ne me souviens pas encore distinctement de cette scène aujourd'hui. Je me rappelle simplement qu'une vague a déferlé sans crier gare recouvrant tout sur son passage. Je n'eu pas le temps de prendre une bouffée d'air en réserve que ma tête était immergée sous l'eau. La mer était bien trop déchainée pour discerner quoi que ce soit. Je sombrais peu à peu, écrasée par une masse phénoménale.
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La langue de ce qui s'apparente le plus à un chien, s'étale sur ma joue. Je gémis en écarquillant les yeux. Les corps de mes amis sont dispersés autour de moi. Une femme de petite taille se tient face à nous. Son bassin est comprimé par une ceinture garnie de poignards. Le loup cesse de lécher mon visage pour s'asseoir à ses pieds.
-Le destin nous amène une belle brochette dis donc. Alors mes amis, qu'est-ce que cela fait d'être mort ?
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