Chapitre 1
Vingt heures avant notre trépas.
Bien que j'aie toujours redouté par-dessus tout mon entrée dans le monde du travail, ma décision de faire une pause dans mes études devait bien être assumée.
C'est ainsi qu'après avoir parcouru notre ville dans son ensemble, je m'apprêtais à postuler pour celle voisine. Hier soir, avant que je n'aille me coucher Olivia m'a gentiment proposé de jeter un coup d'œil à mon CV. Elle m'a assuré qu'il n'y en aurait seulement pour une poignée de minutes. Seize heures plus tard, elle a changé dix fois de taille de police et je n'en ai toujours pas vu la couleur.
Dans un soupir, je lève les yeux sur la pendule du salon qui indique sept heures.
-Olivia retouche toujours tes CV?
Damien s'appuie sur le dossier et l'enjambe. Le garçon vient se vautrer à côté de moi. Le canapé était un endroit stratégique. Il donne sur la chambre d'Olivia que j'attends de pied ferme.
Il est tôt, le brun est encore dans les vapes. Il saisit un coussin qu'il dépose sur mes jambes avant d'y blottir son visage. Je masse doucement son cuir chevelu. Ses boucles viennent s'enrouler à mes doigts. Il sent bon les huiles essentielles avec lesquelles il entretient ses cheveux crépus.
Malgré l'apparition de mon nouveau compagnon, je reste sur le qui-vive, à l'affût du moindre petit son que la fille se daignerait d'émettre.
-Je suis très touchée, je lui souffle, mais il faut vraiment que j'y aille.
Le réveil de Cédric retentit dans la pièce voisine. Mon frère vient se joindre à nous accompagné de ses cheveux en bataille et son haleine du matin.
-Tu es encore là, Lana ?
-L'administratrice séquestre ses CV, s'esclaffe Damien, elle n'est pas près de sortir !
-Pourquoi ne lui demandes-tu pas de te les rendre ?
-J'ai bien essayé. Elle m'a averti qu'il était périlleux d'interrompre son génie...
Ni une ni deux, le canapé se peuple d'un nouveau passager. Mon frère et sa curiosité sans borne sont de la partie. Il dévisage la porte fermée face à nous puis pouffe,
-Eh Damien, combien de temps penses-tu qu'Olivia puisse survivre enfermée là-dedans?
-Hum... C'est dur de répondre à cette question... Je dirais que connaissant l'administratrice si elle le souhaitait sa pièce pourrait devenir un bunker.
Je laisse tomber ma tête en arrière désespérée,
-Ne parlez pas de malheur...
-Mais vous n'avez pas fini tous les trois !
Daphnée nous fait tressaillir. Elle se tient statique derrière nous, les mains sur les hanches.
-Une véritable bande de vipères ! La minutie d'Olivia fait son charme, je trouve.
Je conteste,
-Je n'ai rien dit moi ! Je ne fais qu'attendre en écoutant ces deux commères.
Damien est contraint de quitter le confort de mes jambes pour laisser une place à Daphné. Il persévère,
-Aller Daph! Cette fille a une trentaine de pots de fleurs ordonnés dans sa chambre depuis des lustres et jusque-là aucune n'a fané, ce n'est pas humain...
-Rectification, intervient Cédric. Elle en avait trente-huit avant qu'elle ne les confie à ta main verte qui en a assassiné sept.
Bien qu'on puisse croire le contraire, Olivia est appréciée dans la colocation.
Les garçons prennent simplement plaisir à la taquiner sur son souci du détail. Dès son arrivée ici, elle s'est empressée de leur concocter un programme aux petits oignons, rien ne devait être laissé au hasard. Cela lui a valu le surnom d'administratrice. Ils se sont soumis avec amusement à ses lois, certains qu'ils parviendraient à la dérider au fur et à mesure.
Mes sentiments à son égard oscillent entre crainte et admiration. Bien qu'on soit à mille lieues l'une de l'autre, je me surprends à penser comme une enfant,
- J'aimerais être comme elle quand je serais plus grande.
-Bah et moi alors Lana ? Ton grand frère n'est plus ton modèle ?
Damien glousse en découvrant ma grimace,
-Ça fait belle lurette qu'elle a réalisé la supercherie frérot, ce n'est plus une gamine à présent!
-Ne remue pas le couteau dans la plaie, bougonne Cédric.
La sonnette retentit. C'est un carillon de noël qui envahit le salon. Nous sommes en mai pourtant aucun de nous n'a encore eu le courage de programmer la sonnerie à la saison, pas même Olivia. Pas un ne quitte le confort du canapé, nous savons pertinemment que ce cela ne nous est pas destiné.
Elle fait enfin son apparition. Sept heures du matin et déjà pimpante, Olivia s'empresse de rejoindre l'entrée.
-Elle va encore nous faire le coup de la surprise ? murmure Cédric.
Alors qu'elle s'apprêtait à fondre sur la poignée, notre colocataire stoppe sa course. Elle prend une grande inspiration puis ouvre la porte d'un geste nonchalant,
-Tiens Tony, ça faisait longtemps !
Le livreur aborde constamment ce petit sourire béat en la voyant. Il lui tend son bouquet de fleurs aussi ravi que si c'était lui qui les lui offrait.
-Des fleurs ? Si je m'attendais à ça ! J'ai vraiment le meilleur copain qui soi.
Elle offre un pourboire à l'homme et ferme. Damien se penche discrètement vers mon frère,
-C'est tous les premiers du mois la même chose, s'esclaffe-t-il, combien de fleurs penses-tu qu'elle pourra stocker ?
-Une vingtaine de plus et elle saturera.
-Tu tiens les paris ? Je dirais plutôt...
Daphnée se tourne pour claquer simultanément leurs deux crânes.
-Ça suffit vous deux !
Mes parents m'avaient promis que je ne m'ennuierais jamais ici, ils n'avaient pas menti.
Durant les premières semaines qui ont suivi mon emménagement, je considérais les colocataires uniquement comme les amis de mon frère sans comprendre qu'en mettant les pieds dans cet endroit, ils devenaient également les miens.
Tels trois spectateurs nous écoutons Olivia lire la carte de son petit-ami parfait, Marcus. Nous l'admirons vanter ses mérites avant qu'elle ne retrouve innocemment son antre. Au passage, les effluves des roses volent jusqu'à nos narines.
-J'ai une question les amis.
Les autres acquiescent.
-Vous pensez qu'on vit par procuration grâce à elle ? Je veux dire, sa vie est tout de même bien plus palpitante que la nôtre.
-Nan, répondent-ils à l'unisson.
-Bon bah tant mieux, vous me rassurez alors.
Daphnée, après y avoir songé, les contredit finalement,
-Quoi que, je dois avouer que je suis un peu jalouse.
Cédric est piqué à vif. Son front se tiraille de petites rides. Il affiche cette expression renfrognée depuis tout gamin.
-Comment ça ? Nous aussi on peut t'offrir des fleurs si tu le souhaites !
Damien s'empresse d'intervenir,
-Oooh du calme Alphonse ! Les bouquets, c'est génial, mais ces derniers temps, je me nourris aux sandwichs triangles alors ne m'endette pas... Surtout que j'ai déjà un copain à gâter.
Mon frère joint ses yeux implorant aux miens.
-Je t'aime tu le sais, toutefois je ne cherche pas de boulot pour rien. Je suis autant sur la paille que vous. Ce sera sans moi, désolée Daphnée.
Notre artiste dépose un baiser sur la joue de Cédric avant de se relever.
-C'est adorable d'avoir proposé, tu as raison je n'ai pas besoin d'un Marcus puisque je vous ai vous.
Elle sourit puis retourne à sa peinture. Il l'observe partir sans piper mot. Damien et moi nous échangeons une œillade avant de fermer d'un geste commun sa mâchoire.
-Tu bavais.
Les places se vident peu à peu. Chacun vaque à ses occupations. Ce n'est que vingt minutes plus tard que mon idole se présente devant moi. Olivia me tend le fruit de son travail avec fierté. La présentation est digne de son savoir faire, à la fois original et professionnel. Je m'apprête à l'enlacer lorsque sa main fait soudain opposition,
-Navrée, mais les effusions ce n'est pas mon truc.
Je souris en lui offrant une poignée de mains.
-Merci beaucoup.
-Pas de quoi gamine, fais de ton mieux.
-J'y veillerai.
--
J'ouvre mon calepin pour cocher le quatrième commerce de ma liste. Quatre refus sur trente, c'est encore raisonnable. Ma prochaine cible est la boulangerie. À l'intérieur, il y a foule.
Je m'inspecte une dernière fois grâce au reflet que me renvoie la vitre. Je n'ai pas l'habitude de porter des vêtements centrés. J'ai écouté Cédric qui affirmait que cela faisait plus adulte.
Bien que je ne sois plus à mon premier essai, je suis tendue comme un arc. J'offre un sourire à mon image tout en me présentant,
-Bonjour, je m'appelle Alana Pardrics, je... Non ça ne va pas du tout !
Je me racle la gorge et recommence.
-Alana Pardrics m'sieur ! Ravi de vous rencon...
-Lana ?
Ce n'est pas un cri, mais un beuglement qui fait vibrer mes cordes vocales. Morgan pâlit. Le rouquin retire gentiment ses mains de mes épaules,
-Qu... qu'est-ce qui te prend ?
Mon souffle se tranquillise.
-Je te retourne la question ! Tu m'as flanqué une peur bleue...
-Excuse-moi...
Morgan est le copain de Damien depuis bientôt huit ans. Il est stewart alors nous ne le voyons que rarement, néanmoins il fait parti de la famille.
-Ça fait super longtemps. Waouh, tu as tellement...
Il tergiverse un instant. Je grommelle,
-Je n'ai pas grandi du tout, c'est ça ?
-Pas d'un pouce, c'est bluffant.
Je ris en l'accueillant dans mes bras.
-C'est fou comme tu ne ressembles pas à ton frère, ça m'impressionne à chaque fois. Un titan blond et une petite brunette.
-Que veux-tu, la génétique a dû oublier sa cohérence au vestiaire !
--
Nous avons épluché le secteur au peigne fin. Ces derniers temps, Damien est particulièrement occupé sur le design de son prochain jeu vidéo alors Morgan m'a proposé de passer sa journée de libre à mes côtés.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur nos visages dépités. Avant que je n'effleure la poignée de l'appartement, le rouquin masse mon épaule en signe de réconfort.
-Ce n'est pas grave Lana, tu finiras par trouver un job, tu verras.
-C'est gentil...
J'inspire profondément et nous entrons sans savoir que le début du carnage vient à peine de débuter.
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