- S A M E D I - 

Notre conversation a été interrompue quand le dépanneur est arrivé.

Nous sommes maintenant assis à trois sur la banquette tandis que le petit camion tire ma Cadillac vers la ville la plus proche.

La nuit est tombée et je n'ai aucune idée de l'endroit où nous allons.

Pour la dixième fois de la journée, je me demande dans quel bordel je me suis encore fourré.

La chaleur de l'habitacle nous a réchauffé et le corps de M à coté de moi s'est arrêté de trembler. Nos cuisses sont collées et nos bras nus se frôlent sans arrêt, ça me rend fou.

- Et donc vous venez de Séoul ? demande le petit monsieur portant une moustache lui donnant un air de Dali, mais la fatigue doit jouer dans cette description car le petit bonhomme potelé ne ressemble en rien au peintre surréaliste espagnol.

M assis à ses cotés, hoche la tête.

- Vous êtes venus profiter des bien faits de l'iode marin ? rigole mister moustache.

- Ouais, ça change de l'air pollué de Séoul, je soupire.

- C'est dommage que vous soyez venus aujourd'hui, ils annoncent un grand soleil pour la semaine prochaine !

M soupire.

-Il fallait que ce soit aujourd'hui, marmonne-t-il.

Il répète encore ça. Qu'est ce que ça veut dire au juste ?

Le monsieur hoche la tête puis se concentre sur la route en voyant l'air légèrement ronchon de mon acolyte.

- Je suppose que cela va être compliqué de s'occuper de la voiture ce soir ? je demande prudemment.

- Ah ça, c'est clair mon petit ! Ce soir, c'est soiré Go pour moi !

M fronce les sourcils.

- Soirée Go ? demande-t-il perplexe.

- Le jeu de cartes, je murmure près de son oreille en effleurant par mégarde la peau de son cou du bout des lèvres et le faisant frissonner pendant que le dépanneur rigole sur le nombre de bières que ses partenaires ont prévu de ramener.

Nous rentrons dans un village et tandis que nous regardons les petites maisons illuminées en ce début de soirée, je demande :

- Y a t il un hôtel ou une auberge où nous pourrions passer la nuit ?

- Mais bien sur, on a tout ce qu'il faut ici ! Vous faites pas de soucis, la vieille Byul s'occupera bien de vous ! rigole le bonhomme.

M sort son portable et regarde l'heure avant de le ranger avec un air tourmenté.

- Nous devons être partis avant dix heure demain matin, est-ce que cela sera possible ?

- C'est vraiment aussi urgent ?

M hoche la tête.

- Ouais vraiment.

- Bon, eh bien je mettrai mon réveil un peu plus tôt, mais seulement si vous me promettez de passer boire un verre dans le bar de ma femme ! s'exclame-t-il avec un entrain.

Je ne peux m'empêcher de sourire devant la bonne humeur de ce type. Après avoir passé la journée dans une ambiance tendue avec M, un peu de légèreté fait du bien.

- D'accord, on passera, je réponds en lui souriant.

- Bien ! En plus le bar est à deux maisons de l'auberge, vous verrez c'est vraiment pratique ! Les touristes adorent ! Vous aurez qu'à dire que vous venez de la part de JiSung et Byul vous fera même un prix !

- Merci c'est vraiment gentil !

L'homme me sourit, vraiment sympathique celui là.

Je donne un petit coup de coude à M qui a l'air d'avoir du mal à se détendre.

- Allez souris un peu, on va crécher au chaud cette nuit et on partira tôt demain.

Il tourne son regard sombre vers moi puis hoche la tête tandis qu'un léger sourire se forme au coin de ses lèvres. Il y a pourtant tant de douleur dans ses yeux que la peur s'insinue à nouveau en moi.

Après avoir donné les clefs de ma caisse au bonhomme, il nous dépose devant l'auberge. Lorsque je pousse la porte, un bruit de carillon retentit et une petite femme assise près du comptoir, occupée à remplir un carnet de mots fléchés, remonte ses lunettes à monture ronde sur ses yeux et relève la tête.

- Bonsoir ! je dis timidement en m'approchant d'elle, M sur mes talons.

- Bienvenu les garçons ! répond t-elle le plus simplement du monde.

- Nous avons eu un problème avec notre voiture et JiSung le dépanneur nous a dit que nous pourrions passer la nuit dans votre auberge.

La femme hoche la tête.

- Ah ce bon vieux JiSung ! Bien sûr qu'il me reste de la place pour de beaux garçons comme vous ! Il m'en reste une à vraie dire, cela ne vous pose pas de problème ? demande-t-elle en s'approchant d'un tableau remplit de clou sur lequel ne figure qu'une clef.

M et moi nous jetons un regard rapide avant de détourner les yeux.

Après avoir payé pour la nuit avec le peu de cash que j'avais dans mon portefeuille, nous la suivons vers l'arrière de la maison. Elle nous fait monter un petit escalier en colimaçon avant d'arriver dans un couloir décoré de jolies photos de la côte et des grandes vagues qui peuvent agiter la mer.

Elle se pose devant la chambre et l'ouvre avant de se décaler pour nous laisser entrer.

- Il y a des serviettes et une télé. La deuxième clef sert à ouvrir l'auberge, si vous sortez boire un verre au bar de EunWi la femme de JiSung, n'oubliez pas de refermer derrière vous à chaque fois.

Je hoche la tête tandis qu'elle me tend les clefs.

-Bon et bien bonne nuit les garçons ! dit elle avant de se tourner en fermant la porte.

Une fois seuls, nous nous dévisageons tous les deux. Son corps est tendu et il parait troublé. En observant les lieux, il bouge d'une jambe à l'autre tout en se mordillant la lèvre.

- On va boire un verre du coup ? murmure-t-il nerveux ce qui lui arrive rarement.

Je jette un coup d'œil à la pièce exiguë et au grand lit qui trône en son centre et encore une fois je ne peux m'empêcher de rougir.

- Ouais, on va boire un verre.

Installés à la table du petit bar de EunWi, il verse du soju dans chacun de nos verres que nous buvons chacun comme des assoiffés en mangeant les accompagnements à grandes bouchées.

Je viens de me rendre compte que je n'ai rien avalé depuis ce matin et donc M non plus, ce qui explique en partie son humeur bougonne.

Après avoir fini notre petit repas nous continuons à boire et le regard de M se fait plus insistant sur moi.

- Nous n'avons pas fini notre discussion tout à l'heure, dit-il brisant enfin le silence pesant qui s'était installé entre nous.

Je détourne le regard.

- Tu regrettes donc d'avoir écrit cette chanson pour moi car tu m'as vu avec Nancy.

J'acquiesce tandis qu'il soupire.

- Je ne sais pas exactement ce que tu as vu mais vu ta réaction, j'ai ma petite idée.

J'avale encore un shot de soju sans répondre.

- Nancy et moi sommes sortis ensemble quelques temps.

Je tourne mon regard vers lui en plissant les yeux.

Sans blague.

- Combien de temps ? je demande malgré moi.

- Quelques semaines, un peu plus d'un mois.

Je souffle avant de serrer les dents et de tourner douloureusement le visage vers un groupe de vieux qui boivent des bières en se marrant.

- Pourquoi tu as fait ça?

Quelle question idiote.

Je ne sais pourtant pas m'empêcher de la poser, j'ai besoin de savoir pourquoi à ce moment là, il l'a choisit elle et pas moi.

Il pince les lèvres avant de replonger son regard dans le mien.

- Franchement...je sais pas. J'étais paumé, je venais d'arrêter mes études, elle était tout le temps là et pas toi. Je me sentais seul, tu me manquais et elle m'a clairement fait comprendre que je lui plaisais alors j'ai craqué.

Je dois vraiment être con parce que la chose qui me marque le plus dans tout ce qu'il a dit c'est que je lui manquais, l'imbécillité ultime.

- Pourquoi tu n'es pas revenu vers moi si...si je te manquais ? je demande difficilement.

Il soupire et hausse les épaules.

- Parce que je suis con ? J'avais peur que tu ne veuilles plus de moi. La façon dont ça s'est terminé... je la détestais autant que le fait même de t'avoir quitté, murmure-t-il avant de reprendre un shot.

Ma gorge se noue quand il prononce ces paroles que j'ai tant rêvé d'entendre.

- Et maintenant, tu en es où avec elle ?

Il attrape la bouteille de soju et se met à déchirer nerveusement l'étiquette.

- Nous nous sommes séparés il y a un bon mois. Ça ne marchait pas. En fait, bien que je me cachais la vérité, ça n'aurait jamais pu marcher.

- Pourquoi ?

Il cligne plusieurs fois des yeux avant que son regard sombre ne pénètre le mien intensément, faisant trembler mes mains.

- Parce que ce que je ressens n'a jamais changé, tu es le seul pour moi k.

Mon cœur se remet à battre plus rapidement tandis que je ne sais pas m'empêcher de me pencher davantage vers lui, jusqu'à ce que ma main frôle la sienne sur la table.

Je ne sais pas quoi dire.

Comment lui expliquer que sans lui, j'ai eu l'impression que le temps s'arrêtait, que ma vie était comme en suspend car je l'attendais.

- Pourquoi tu as attendu si longtemps ? je murmure.

Ses doigts bougent doucement jusqu'à venir frôler les miens.

- Je ne sais pas.

- Pourquoi es-tu revenu maintenant ?

Il baisse les yeux et écarte sa main avant de la passer dans ses cheveux et regarde un moment les gens du bar avant que son regard troublé ne revienne se poser sur moi.

- Parce que je voulais te revoir avant de partir, souffle-t-il finalement après un moment qui me parait interminable.

Je me relève sur ma chaise et fronce les sourcils.

- Comment ça ?

Il se mordille la lèvre puis baisse les yeux.

- Demain, je pars vivre en Europe.