Chapitre 22.
J'ai toujours voulu aller en France. Il y a tant de parc, de jardins botaniques et de paysages sauvages aussi exceptionnels les uns que les autres, que ce pays m'a longtemps semblé être le graal. Évidemment, la Suède a également ses trésors cependant, comme on le dit souvent, l'herbe semble toujours plus verte chez le voisin d'à côté.
Malheureusement, je n'ai pu voir que très peu de tout cela : le ciel est nuageux et je n'ai rien pu voir de tout le trajet jusqu'en France. Maintenant, je suis assise dans les sièges de la salle d'attente d'une gare, et la seule chose naturelle qui se trouve dans les parages c'est la fougère décorative.
Nous attendons le prochain train en direction de Clermont-Ferrand, une ville située entre des montagnes et des volcans à ce que j'ai cru comprendre. Je m'extasie déjà à l'idée de me rendre dans une telle région. Cependant, je commence à m'impatienter sur ces sièges pas le moins de monde confortable. Orphée est parti il y a au moins dix minutes, me laissant seule et sur les nerfs. Et si un Apogonos se trouvait dans les parages ?
Mon regard se perd sur le tableau d'affichage avant de se poser sur tous ces voyageurs. Tous si différents... Entre cette famille attendant sûrement de partir en vacances, ce couple qui, je le devine, part en voyage de noce, où cette femme d'affaire... C'est amusant comme des êtres qui n'ont rien en commun, pas même le même objectif, la même histoire ou les mêmes rêves peuvent se retrouver en un même lieu, pour une même destination.
Soudain, une femme vient s'asseoir à côté de moi. Surprise, je l'observe à la dérobée. Elle me sourit grandement. Ses traits asiatiques sont à moitié dissimulés par ses cheveux de jais couvert d'un charmant chapeau de paille.
« Qui est-ce que vous fuyez ?
Sa question posée dans un anglais chargé d'un lourd accent français me surprend.
- Pardon ?
- Vous dégagez les hormones que dégagent les proies lorsqu'elles fuient.
- Vos proies ?
Son discours aurait pu me faire penser à celui des sirènes mais je doute que la femme face à moi en soit une. Ses yeux sont d'un noir profond, loin du bleu marin des vampires des mers. Sans parler de cette aura animale qui l'entoure.
Elle me mime le silence du secret avant de soulever son chapeau de paille. Je reste muette de surprise à la vue de ses deux oreilles de chat, plantées sur le sommet de son crâne. Impossible de s'y méprendre, il ne s'agit pas d'un accessoire. Elle rabaisse son couvre-chef avant de m'adresser un clin d'œil. C'est là que je remarque que ses iris ont viré au jaune et que ses pupilles sont de formes ovales. Ovale... Comme celles des félins !
- Votre copain, le héros, est inconscient de vous laisser seule. Vous êtes sur le territoire de mon clan. Et les métamorphes ne sont pas très confiants envers les étrangers.
Surprise, je la dévisage. Orphée avait évoqué une fois l'existence des métamorphes mais j'étais bien trop surprise par mon entrée dans cet univers pour m'en soucier. Je ne sais rien d'eux. Méfiante, j'interroge :
- Qu'est-ce que vous cherchez exactement ?
- Je pensais que vous pourriez répondre à mes questions. Vous sentez comme une nymphe. Mais votre parfum est différent. Comment expliquez-vous cela ?
Ses paroles me perturbent. Face à ma mine consternée, la jeune femme consent à expliquer :
- La plupart des métamorphes ont un odorat plus aiguisé que la normale. C'est notre part animale. Et la mienne me souffle que quelque chose ne tourne pas rond chez vous. Vous n'êtes pas ce que vous prétendez être.
Je suppose qu'elle doit parler de ma nature de Destinée... Pourtant ses paroles se superposent à celles de Flétrissure et je fronce des sourcils, perturbée. Il y a définitivement quelque chose qui cloche dans toute cette histoire. Quelque chose qui m'échappe. Et c'est ce quelque chose qui est à la clé de tous mes malheurs. La raison de pourquoi les Apogonoì me poursuivent. Car j'en suis sûre à présent. Ça n'est pas que lié à ma nature destinée.
Brusquement, un corbeau fonce sur moi et surprise, j'esquisse un ample mouvement pour le chasser. Jamais un animal n'avait agis de la sorte. La femme-chat sourit, d'un air désolé, avant de siffler entre ses doigts. L'oiseau lui jette un regard furibond avant de s'en aller. Quelques voyageurs nous fixent, éberlués par la scène qui vient de se dérouler. Je leur souris gauchement dans l'espoir de les rassurer. Je ne voudrais pas attirer l'attention...
- Excusez-moi. Pietro est toujours agressif. Il ne supporte qu'on empiète sur notre territoire. Mais vous n'êtes que de passage. Vous ne représentez pas un réel danger.
Ces deux dernières phrases, prononcées presque avec sympathie me laissent un arrière-goût amer de menace. Mais je n'ai pas le temps de répondre quoique ce soit.
- Votre copain revient. Vous feriez mieux de vite partir. Si vous êtes poursuivis par quelque chose capable de faire fuir un héros et une prétendue nymphe, je préfère que vous ne trainiez pas. Pour la sécurité de ma meute. »
Sur ce elle se lève et après m'avoir saluée, elle s'éloigne sans un regard en arrière. Stupéfaite par ce bref mais étrange échange, je fixe sa silhouette féline se perdre au travers de la foule. Soudain, un corps musclé et imposant se dresse devant moi, m'obstruant la vue. Je relève la tête de façon à toiser Orphée et j'interroge :
« Où étais-tu passé ?
Il me jette un paquet sur les genoux. Le logo d'une boulangerie et le parfum qui s'en échappe réveille aussitôt mon appétit.
- Qui était cette femme ?
Je hausse des épaules, préférant taire ce qu'il vient de se passer. Je me contente d'ouvrir le paquet. Un élan de joie me parcourt lorsque je découvre ce que contenait le papier. Je dois avoir des étoiles dans mon regard lorsque je reporte mon attention sur le héros et m'exclame :
- Une gaufre ? Mon dieu Orphée, je t'aime !
Il secoue la tête avant de soupirer :
- Cruelle femme qui ne m'aime que parce que je lui apporte des gaufres.
- Ne sois pas jaloux, toi comme moi savons que la nourriture est mon grand amour. J'en suis privée depuis bien trop longtemps depuis le début de cette satanée aventure.
Face à sa mine offusquée je ne peux retenir un rire amusée. Il me frictionne les cheveux tandis que je croque avec un plaisir évident dans la denrée si précieuse saupoudrée de sucre-glace.
Je ferme les yeux sous l'extase que me provoque cette avalanche de sucre dans mon être. Mon dieu que j'aime les gaufres ! Je dévore la pâtisserie en moins de deux, sans pouvoir m'empêcher de gémir de contentement. Mon compagnon retient un rire et fait mine de s'exaspérer.
- J'ai l'impression que cette gaufre t'offre bien plus de plaisir qu'un de mes baisers.
Je pouffe. Orphée oublie parfois que j'ai vingt ans... Et la maturité d'une aubergine. Relevant le menton, en signe de défi, je laisse un immense sourire angélique étirer mes lèvres et je rétorque :
- Embrasse-moi pour voir !
Il me prend au mot et sans faire attention au sucre qui reste au coin de mes lèvres, il s'avance pour me donner un de ces baisers qui me font aussitôt perdre la tête. Mon sang se transforme en lave et je jurerais que la plante verte à côté de nous se met à verdoyer avec plus d'ardeur encore.
Alors qu'il se détache, je fais mine de réfléchir avant de hausser des épaules :
- Non, désolée. La gaufre reste meilleure.
Son rire éclate, tonitruant dans cette petite gare français et nous nous attirons quelques regards. Certains semblent amusés ou attendris, d'autres beaucoup moins. Je me cache derrière mes boucles blondes dans l'espoir de dissimuler la rougeur de mes joues. Cependant mon compagnon finit par se lever et me tends la main pour m'inviter à en faire de même.
- Allez mademoiselle la traîtresse, notre train est annoncé. »
Au loin, un chat noir nous observe monter à bord du train de son regard vert perçant.
*
Je descends du train, le teint vert. Mon mal du transport ne m'a cependant pas empêché d'admirer les paysages par la fenêtre. À notre sortie de la gare, l'orage gronde et il pleut des cordes.
Je me tourne vers Orphée, implorante :
« Pitié, dis-moi que nous n'allons pas faire tout le trajet à pieds.
Il ricane.
- Bien sûr que non. Figure toi que pendant que certaines passaient leur temps le nez contre la vitre comme une enfant de cinq ans, d'autres s'occupent de louer des voitures afin qu'on puisse se déplacer.
Il me désigne un concessionnaire de l'autre côté du trottoir. Je soupire de soulagement. J'adore la pluie. Cependant je ne suis pas en état de finir trempée. Le héros se penche par-dessus mon épaule pour murmurer :
- Mais je comprends que même après cela, la gaufre soit ton grand amour.
Je rougis mais déjà il m'entraîne vers le passage piéton.
Vingt minutes plus tard, nous sommes dans une minuscule voiture d'occasion, roulant sur les routes jusqu'à l'extérieur de la ville. J'observe la pluie qui s'abat avec violence dehors. Les gouttes d'eau roulent sur la vitre.
Je crois que je finis par m'endormir car c'est l'arrêt de la voiture et le bruit de la pluie contre le pare-brise qui me réveille. Je me souviens alors d'avoir rêvé. Encore une fois, c'était la même chose que les fois précédentes. Cette hideuse créature que j'identifie maintenant comme étant Flétrissure qui me retrouvait dans une forêt. Ses paroles ont toutefois changé, prenant un ton bien plus menaçant. Son « Je vous ai retrouvé » s'est métamorphosé en un « Vous payerez ». Autant dire que je ne suis pas le moins du monde rassurée. Je n'ai qu'une envie, qu'on se débarrasse enfin de lui. Je me tourne vers Orphée, dont les mains sont crispées sur le volant.
- Il faut que je te dise quelque chose sur cet endroit...
Je me fige face au manque d'entrain du héros.
- Oui ?
- C'était jadis un repère. Il est protégé par une illusion puissante. Tu auras l'impression que tout autour est délabré et abandonné. C'est là que je suis mort.
Je reste un instant sans voix.
- Charmant tout ça !
Il me lance un petit sourire en coin avant de hausser des épaules.
- Les Apogonoì ne sont que des humains. Jamais ils ne nous trouverons ici.
- Autrement-dit, c'est l'endroit parfait pour construire un plan.
- Aidés de Bellérophon et de la prêtresse, je vois mal comme nous pourrions échouer. »
Je hoche de la tête, à moitié rassurée. Nous sortons alors de la voiture louée. En effet, tout est en ruine autour de nous. Les immeubles sont couverts de tags et de plantes grimpantes. Avec l'obscurité qu'a apporté l'orage, le lieu est effrayant. Je n'ai aucune envie de mettre les pieds dedans. Pourtant, je me fais violence, et j'accompagne Orphée. Celui-ci traverse le hall d'un premier immeuble. Puis d'un second. Il faut le reconnaître, cette illusion est si réaliste que n'importe qui d'autre aurait fait demi-tour. Personne de sensé ne pourrait vouloir s'engouffrer là-dedans. À moins que ça ne soit pour dissimuler un cadavre.
Mais à ma grande surprise, une fois ce bloc d'immeuble dépassé, nous arrivons dans une cours immense, fleurit, verdoyante. Un jardin presque paradisiaque. La nature semble avoir repris ses droits ici. Avec la pluie, les senteurs qui se dégagent des plantes embaument l'air d'une manière irréelle. Peu à peu, les gouttes se font moins grosses et s'espacent. Il cessera bientôt de pleuvoir. Mais nous sommes trempés.
Au centre, se dresse une petite maison. Nous nous approchons de l'entrée. Une certaine boule d'appréhension se loge dans ma gorge et je laisse Orphée passer devant. Il me jette un coup d'œil, lui-même nerveux. Alors qu'il lève le poing, s'apprêtant à toquer, la porte s'ouvre. Elle dévoile une femme dont le regard d'or se pose sur moi, me pétrifiant. Ses lèvres se tordent en un sourire presque narquois tandis qu'elle s'appuie contre le cadre de la porte, la tête penchée sur le côté.
« Regardez qui se décide enfin à nous rendre visite. »
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