Chapitre 15.

J'ai refait le même rêve que la veille. Exactement le même rêve. D'abord, ce cadre idyllique que rien ne paraissait vouloir troubler. Un jardin des plus merveilleux qu'il me semblait connaître par cœur. Qui semblait même être une part de mon cœur. Puis, cet individus capuchonné, son visage d'horreur, ses mains qui se tendaient vers moi et ses mots menaçants...

« Je vous ai retrouvé, mère... »

Tout était identique. À l'exception faite que je ne me suis pas réveillée auprès d'Orphée mais dans une pièce baignée de ténèbres. Une cellule, un cachot. Allongée à même le sol. Et à en croire la bosse sous mon crâne, je ne suis pas passée loin de Comas-land cette fois-ci... Mon agression me revient en mémoire et me souffle se coupe tandis que mon cœur rate un battement dans ma poitrine. Je me relève vivement, ne rencontrant qu'une surface dure ne laissant rien passer.

Les immenses murs de béton me coupent d'absolument tout. Je ne parviens plus à sentir la Nature et son enivrant appel. Je me sens comme aveugle, amputée. Il me manque quelque chose, mon oxygène, mon air... Je suis enfermée, en cage, dans l'obscurité. J'ai toujours détesté l'obscurité... Petite, lorsque nous habitions dans la banlieue de Stockholm, mes parents s'étaient arrangés pour que j'aie une chambre avec une immense baie vitrée. Les murs étaient tapissés de papier peint représentant des paysages naturels, des forêts, des prés, des ruisseaux... J'étais constamment entourée de nature. Lorsque j'ai déménagé en centre-ville après leur mort, dans une maison plus petite, je me suis débrouillée pour déposer des fleurs partout dans notre lieu de vie. Orélien, enfin Orphée, n'avait pas protesté. Il me ramenait même des fleurs des quatre coins du monde lorsqu'il rentrait de ses voyages.

Maintenant que je suis dans cette cellule, coupée de tout ce qui fait mon monde, j'ai envie de fondre en sanglot. Je suis même à deux doigts de le faire : mes yeux me piquent et une boule d'angoisse s'est logée dans ma gorge m'empêchant de respirer normalement.

Soudain, un bruit me fait sursauter. Je ne suis pas seule. Me relevant avec maladresse, je m'appuie contre le mur, avançant à l'aveugle en direction de l'origine du bruit. Mes doigts finissent par rencontrer une surface cylindrique et froide. Des barreaux ! Hésitant, je lance :

« Qui va-là ?

- Je te retourne la question, c'est toi la nouvelle venue !

C'est une voix féminine, éraillée par la soif et la souffrance qui me répond. Quelque peu rassurée, je souffle :

- Je m'appelle Yerine.

- Enchantée, je suis Isadora.

Un bruit de frottement se fait entendre, me faisant comprendre que la mystérieuse Isadora s'est approchée des barreaux et donc de moi. Elle est tout proche, si proche que je la perçois à présent, même si je ne la vois pas. Elle dégage un étrange parfum, presque familier. Et puis, je la sens ! La Nature. C'est diffus, c'est tenu, mais c'est là. Tout près de moi. Mon âme reconnait aussitôt cette étrange impression pour l'avoir ressenti lorsqu'elle était Eurydice. Et pour la première fois depuis que nos mémoires sont réunies, je suis ravie. Je ne peux m'empêcher de m'exclamer dans un murmure :

- Vous êtes une nymphe ?

- Une naïade plus précisément. Nymphe des eaux pures. Je suis bien loin de chez moi... Et toi ?

- Une dryade. Enfin je crois...

- Tu es une nouvelle née, n'est-ce pas ?

Je hoche affirmativement de la tête avant de me rappeler qu'elle ne peut pas me voir.

- Oui.

- Quel âge as-tu ?

- Vingt-ans.

Son hoquet de surprise tranche l'obscurité.

- Ma pauvre, si jeune... Tu viens à peine d'être jetée dans le monde surnaturel que tu te retrouves capturée par ces êtres.

Ces êtres... Il faut que j'en sois sûre ! Hésitante, je baisse encore d'un ton alors que la question franchit mes lèvres :

- En parlant d'eux, vous avez pu voir quelque chose ? Une caractéristique qui permettrait de les distinguer, de les reconnaître...

- Rien à l'exception d'un étrange tatouage... Une fleur flétrie et enchaînée. Assez ironique quand on pense que les nymphes sont les filles de la nature au même titre que les fleurs et qu'elles se retrouvent enfermées ici.

Les Apogonoì. Voilà qui se confirme. Seth Kepner nous avait parlé de ces nymphes enlevées et portées disparues. Isadora doit être l'une d'entre elle.

- Quand vous ont-ils capturée ?

- Je n'en ai pas la moindre idée... Il y a quelques jours peut-être ? On perd la notion du temps à force...

Sa voix se brise dans des accents de douleur. Ce qui m'intrigue. Je m'approche un peu plus des barreaux et fronce des sourcils lorsque l'odeur métallique des barres de fer se mêle à celle du sang. Une exclamation stupéfaite m'échappe :

- Vous êtes blessée ?

- Quand il s'est rendu compte que je n'étais pas celle qu'il désirait, il m'a blessé dans un élan de rage et m'a laissée dépérir dans ma cellule. Si tu veux mon avis, je n'en ai plus pour longtemps.

- Mais... Vous devriez guérir...

Seule le silence accueille ma remarque. La panique monte en moi petit à petit, lentement mais sûrement tandis que la sensation d'être prise au piège commence à s'enrouler autour de ma gorge pour m'étouffer.

- L'être à la tête de toute cette horreur... Celui qui cherche l'une d'entre nous désespérément... Il possède d'étranges pouvoirs. À son toucher, mes dons ont été annihilés. Quand je t'ai parlé de cette fleur fanée... C'est exactement ce que j'ai ressenti. L'essence vitale de la Nature qui circulait en moi s'est flétrie jusqu'à disparaître. Je ne peux plus guérir.

Son discours me pétrifié d'horreur. Instinctivement, mes doigts se resserrent autour des barreaux tandis que je retiens mes larmes de frayeurs. Il va falloir que je trouve un moyen de m'en sortir. Mais je doute sincèrement d'y arriver par moi-même. Alors quoi ? Prier pour qu'Orphée parvienne à me retrouver et me sauver ? Et comment ferait-il ? Je refuse qu'il se mette en danger pour moi.

C'est un héros, petite idiote ! Il y survivrait !

Je veux bien le croire, pourtant, mon instinct me hurle que je pourrai le perdre à jamais dans cette stupide et détestable aventure. Je n'aurai jamais dû me rendre à cette idiote soirée... C'est là que l'enfer a commencé...

À mi-voix, je tente de lutter contre ma détresse pour interroger Isadora :

- Sais-tu ce qu'il peut vouloir à... cette nymphe ?

- Non, soupire-t-elle. Mais rien de bon. Je crois que je préfère mieux ne pas être elle et être tuée pour cela que d'être elle et de me retrouver dans leurs odieux plans.

Je déglutis. Qu'est-ce qu'Eurydice a bien pu leur faire pour que je me retrouve ainsi traquée ? Et à quoi pourrais-je bien leur servir ? Je n'ai aucun contrôle sur mes pouvoirs, aucune puissance, et si c'est à ma mission de destiné que les Apogonoì désirent s'en prendre, je suis navrée de les décevoir mais détruire l'équilibre de la nature ne leur apportera rien de bon. Non ? Cela amènerait au chaos. Personne ne peut vouloir du chaos, rien de bon ne peut en ressortir excepté... encore plus de chaos.

Soudain, un bruit vient nous interrompe et ce que je suppose être la porte de ma cellule se met à s'ouvrir dans un désagréable grincement. Par réflexe, je recule pour me blottir dans un coin de la pièce, dans ma position initiale. La lumière envahit la cellule, aveuglante, brisant l'obscurité. Dans l'encadrement, se dessine une silhouette. Moins trapue que celle qui m'a assommée. Il s'agit d'une femme. Son visage fermé est marqué par la dureté et la méchanceté. Peut-être aussi par la folie caractéristique des fanatiques... Ses yeux vides se posent sur moi et un rictus vient tordre ses lèvres :

- Tu as intérêt à te tenir tranquille, gamine.

Je ne réponds rien, trop occupée à jeter un coup d'œil à Isadora, presque ravie d'enfin pouvoir voir ce à quoi elle ressemble. Il s'agit d'une petite rousse dont la frange dissimule son regard d'un vert envoûtant. Je n'ai pas le temps de l'admirer plus que la descendante se saisit de mon bras, me forçant à me relever et me poussant en dehors de ma cellule. Son ricanements sinistre me fait frémir.

- Flétrissure sera ravi de te voir. »

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