CHAPITRE 4 - sopravvissuto
SOPRAVVISSUTO
(survivant)
Personne n'est dupe aux urgences, les médecins ont très vite compris qu'il ne s'agissait pas d'un simple accident de chasse comme l'a annoncé Ydir.
La balle est ressortie de l'autre côté, elle a traversé son foie, à une demi douzaine de centimètres de la colonne vertébrale. Un peu plus à droite et la moelle épinière aurait été sectionnée en deux et des conséquences paraplégiques importantes.
Assis dans le couloir, près de la chambre, Ydir a le regard éteint. Ce dernier se perd dans le vide, il ne sait plus quoi penser. Son père aurait pu crever mais il n'a même pas eu peur de ce qu'il aurait pu se passer.
Chaque jour est une routine un peu plus ennuyante caractérisée par des allers retours entre Palerme et Corleone. Sa vie ne se résume qu'à une espèce d'ennui morbide, cette lassitude traînant au fond de lui fait qu'il espère un drame.
Ydir devrait se maudir de penser ses mots.
Il déteste les hôpitaux, il y a passé toute son enfance, transféré de service en service. Ydir est né à Corleone, ici même, dans une chambre. Son arrivé s'est suivie d'un silence, pas un bruit pour accueillir sa venue au monde. Sa première inspiration n'est pas arrivée avant de longues minutes.
L'omertà.
Appliquée à sa naissance, l'ironie du sort pour cette famille de mafieux. Il paraît que sa grand mère a eu les yeux exorbités de stupeur en constatant ce silence morbide. Aussi frêle qu'un insecte, aussi minuscule qu'une mouche, il ne respirait pas. L'air ne manquait pas mais il étouffait.
Un grand prématuré, six mois et demi. Ils l'ont réanimé vingt minutes plus tard avant de constater que son cœur battait affreusement mal et que ses voix respiratoires étaient encore obstruées.
Ces lieux blanchâtres où les bruits sonores attirent bien trop souvent son attention. Il a passé plusieurs Noël ici pendant que son cœur faisait des montagnes russes, notamment l'année de ses dix ans.
Ydir s'est écroulé pris d'un malaise cardiaque. Son cœur s'est arrêté alors qu'il jouait dans le jardin sous les yeux de sa mère. L'opération chirurgicale de l'implant d'un pacemaker a donné tellement d'inquiétude à sa mère que cette dernière a fait une fausse couche.
Anir ne lui a jamais pardonné ce moment de faiblesse.
Il ne réagit pas à l'approche de sa mère. Elle s'arrête devant lui et ne dit pas un mot, à la place une claque brûlante atterrit sur sa joue avec puissance, le forçant ainsi à baisser les yeux. Elle n'a jamais levé la main sur lui durant toutes ces années, même pendant les crises hystériques de son adolescence.
- Je suis désolé, bredouille-t-il.
- Un Pellegrini ne s'excuse pas.
Son regard chocolat finit par s'adoucir légèrement alors qu'elle fixe les vêtements ensanglantés de son figlio. La question silencieuse plane sur le bout de ses lèvres mais elle s'abstient de demander.
- Il ne te reste plus qu'à prier pour ton père, conclut-t-elle en rentrant dans la chambre.
Ydir reste seul avec ses pensées embrouillées, il revoit encore l'inquiétude dans les yeux de Juliano quand il a fixé le corps inerte de son père. Il a tiré plusieurs rafales faisant tomber les hommes face à lui avant de s'occuper de l'hémorragie.
Ils ont tiré le parrain comme un vulgaire lapin.
Ydir a toujours cru qu'il était invincible. Il résiste avec tant de facilité aux magouilles de la Cupola qui veut le voir tomber, il s'extirpe avec une agilité déconcertante de chaque situation. Mais nul n'est invincible, il faut se garder de titiller le destin dessiné par Dio.
- Il faut te changer, murmure une voix.
Il est encore trop sonné par les événements, ses pas laissent des marques ensanglantées sur le carrelage blanchâtre tandis qu'il suit l'inconnue.
La chambre, qu'il regagne, est plongée dans l'obscurité, il reste quelques secondes à fixer l'homme gisant dans le lit, ses yeux sont clos et seule sa respiration assistée indique à Ydir que ce dernier est dans un profond sommeil. Il est sous perfusion alimentaire, Ydir ne pose aucune question sachant pertinemment qu'il se réveillera pas de si tôt.
- Tiens, ils devront te convenir.
Ydir détourne son regard du lit pour le porter sur la jeune femme. Elle tient dans ses bras frêles une petite pile de vêtements de première manufacture, bien loin de la qualité des habits d'Ydir.
Elle fourrent les vêtements dans les bras du libyen et sans un mot, elle le pousse vers la salle de bain. Il est encore trop sonné et voir son reflet dans le miroir lui donne un coup de fouet.
Tel un amnésique, il ne se reconnaît plus.
Ses yeux polaires s'écarquillent de stupeur face à l'image effroyable de son reflet. Sa chemise n'est plus blanche, elle est imbibée de sang et ses cheveux d'ébène sont mélanges à de l'hémoglobine rendant leur texture collante.
Il a déjà vu du sang, celui de son père reste différent.
Sans difficulté, il s'habille dans ses vêtements rugueux, bien loin de la qualité habituelle qu'il porte. Des vêtements italiens fabriqués par les entreprises en Sicile, ces dernières subissent un import cruel exercé par Cosa Nostra.
- Qu'est-ce qu'il a ?
- Mon frère s'est défenestré car il était en manque d'héroïne.
Ydir ne répond rien sachant pertinemment que cet homme devait être un consommateur récurrent de leur réseau s'étendant dans la ville hupée qu'est Corleone. Ils ont augmenté les prix du gramme récemment en ayant changé de fournisseur russe. Ça le met mal à l'aise alors il quitte la chambre d'un pas titubant. Il sort de l'hôpital et se met à marcher dans Corleone sans savoir où aller.
Ydir marche seul dans la pénombre. Aucune lumière n'éclaire ses pas et il est persuadé que Dio tente de capturer son ombre fugace, en vain, cette dernière disparaît au grès des nuages cachant la lune.
Il ne s'est jamais senti aussi seul de toute sa vie.
Une envie irrésistible de fuir et de ne jamais revenir lui ébranle la poitrine. Cette dernière hurle à la mort dans un silence plaintif, il ne l'entend à peine.
Ses yeux se ferment en proie à une profonde douleur émanant de sa poitrine. Il halete presque pour chercher une nouvelle bouffée de dioxygène, malheureusement cette dernière ne passe pas le goulot d'étranglement saisissant sa gorge. La respiration sifflante, il tente d'oublier le mal sensitif qui paralyse son corps et l'étouffe doucement.
Une énième crise.
Dieu rappelle Ydir à l'ordre, encore. Comme Il aime si bien le faire. Son père n'est pas invincible mais Ydir est certain que Dio l'est. Il est celui dirigeant sa vie, dessinant le chemin de sa mort se rapprochant inextricablement.
Ydir est un survivant. Il a survécu à sa naissance, comme un sursis accordé par Dio qui peut le rattraper à chaque instant. Pourvu que son cœur tienne encore, préférant mourir criblé de balles sous l'assaut des fusils, loin du destin dessiné par ce dernier.
Ydir, un prénom qu'il déteste témoignant de sa faiblesse d'antan.
Quand il recroise cette inconnue plusieurs jours après en retournant à l'hôpital, il ne dit rien. Il ne peut s'excuser, cela reviendrait à s'excuser d'être né mafiosi et de porter le nom des Pellegrini.
C'est dans sa nature.
Un homme ne s'excuse pas pour avoir survécu.
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