CHAPITRE 1 - follia

FOLLIA

(folie)

Les discussions fusent dans le sous sol, les éclats de leurs rires gras donnent une migraine à Ydir. Ces messieurs de la Cupola l'agacent par leur prestance et l'air désinvolte qu'ils se donnent.

La porte s'ouvre à la volée. Immédiatement les chaises crissent sur le sol délabré, ils se lèvent tous pour accueillir les hommes se tenant dans l'encadrement de la porte. Le parrain attire toute l'attention sur lui, sa silhouette élancée et sa musculature saillante sont impressionnantes, c'était sans compter son regard polaire incisif n'inspirant que la terreur.

Anir Pellegrini.

Chaque politique connaît son nom dans la région. Les instances juridiques et les fonctionnaires craignent cet homme et son influence sur l'entièreté du territoire sicilien.

Une partie de leurs affaires est désormais implantée à New York depuis une dizaine d'années. Ydir sourit en pensant aux millions qu'ils se font sur le trafic dans la mégalopole américaine. Il n'y est jamais allé, il se promet de s'y rendre un jour après la fin de ses études.

Anir tient des dossiers dans le creux de son bras et il est suivi de près par Alejandro et Juliano. Leurs places se trouvent au fond de la table, ils s'y installent dans un silence solennel. Tous observent le parrain qui ouvre ses dossiers, tournant les pages d'un œil critique, sans quitter des yeux ses papiers, il demande simplement:

- Dario compte-t-il nous faire l'honneur de sa présence ou est-il en retard ?

Le silence ne répond pas à sa question. Ydir observe son père s'allumer une cigarette, signe de son agacement perpétuel pour ces réunions. Il ne relève pas l'absence de réponses et continue d'une voix calme :

- J'ai eu vent d'une dispute territoriale concernant la vente de cocaïna. Dois-je rappeler où nous ont mené les dernières tensions entre nos famiglies ?

Leurs sourires disparaissent bien vite de leur figure et leurs regards sont tournés vers le parrain. Ils attendent de voir cette lueur briller au fond de ses pupilles. Il paraît que c'est dans ses gènes, que ça l'habite quelque part, que ça touche ses cellules et son sang. Ydir l'a déjà vue à l'œuvre, c'est effrayant et ça peut paralyser n'importe qui se trouvant à côté.

La folie.

Les mafieux l'appellent ainsi. Cette force animant sa famiglia. Seule sa mère sait la contenir par des prières. Ydir vit dans la peur constante que cette monstruosité se réveille en lui. La folie pourrait le surprendre, l'atteindre et finir par le ronger à petit feu.

Il ne doit pas laisser la haine s'installer, celle qui dévore le cœur de son père. Ydir sait des choses que les autres ignorent, grâce à Dio, il n'a pas encore vu sa mère mourir sous ses yeux.

Mais cet éclat n'apparaît pas dans les yeux de son père, au plus grand soulagement de tous. Ydir ne sait plus quoi penser de ses réunions, les mafieux finissent par évoquer les événements du moment.

Un règlement de compte à New York a fait trois victimes lors d'une fusillade par leurs hommes. Personne ne réagit, ce n'est pas bien important, la réunion s'éternise de plus en plus. Ydir craint de s'endormir, décidément, cette journée était plus attrayante au casino.

Finalement pour son plus grand soulagement, la réunion s'arrête devant l'exaspération d'Anir. Ydir n'est décidément pas le seul à détester ces discussions interminables.

Tous quittent la casa dans l'heure suivante, après un échange autour d'un apéritif copieux. Ydir ne boit pas et doit refuser tous les verres que les mafieux lui proposent, ça pourrait abîmer sa santé déjà bien fragile.

Rosalinda, sa mère, est omniprésente. Elle surveille le moindre de ses faits et gestes, par crainte qu'il ne lui arrive quelque chose. Ydir sait qu'elle garde toujours de la ventoline dans son sac malgré qu'il se soit débarrassé de son asthme en grandissant.

- Tu sors, ce soir ? demande Rosalinda.

Ydir hoche la tête, il attend son meilleur ami pour retourner en boîte ou pourquoi pas au casino. Il aime perdre son argent et le dépenser, cela ne lui pose pas beaucoup de problème étant donné qu'il est né riche.

Et quand la sonnerie retentit de manière impérieuse, Ydir se précipite croyant ouvrir la porte à Matthia, son partenaire de soirée. Il s'arrête vite en constatant qu'une femme attend sur le palier. Elle n'est pas bien plus âgé que lui, peut-être une dizaine d'années, sa peau basanée est brillante et sa chevelure noire est interminable. Ses yeux sont vifs et ses sourcils froncés, sa voix tranchante déclare :

- Je viens voir Anir.

Ydir se dit que ça y est. Ses parents ont atteint le point de non retour, ils vont se séparer et cette puta vient boir son père. Ça le répugne, son rouge a lèvres et tout se maquillage lui donnent un visage angélique. Il a la nausée quand il ouvre la porte pour la laisser entrer. Il ne se retourne même pas pour s'assurer qu'elle le suit jusqu'au salon.

Ydir s'en moque bien, il ne ressent rien à son égard, excepté de la rancune pour ce qui risque de briser un peu plus le cœur de sa mère. Il ne s'annonce même pas en entrant dans le bureau du parrain, la porte claque presque contre le mur. Son père ne sourcille pas, il reste plongé dans ses papiers et déclare d'une voix distincte :

- Si c'est les évangiles, on ne donne rien.

- C'est moi, la voix surgit de derrière Ydir.

Aussitôt, Anir se redresse sur son fauteuil comme si on l'avait brûlé par cette intonation. Ses yeux polaires foudroyent la jeune femme et il reste quelques secondes en arrêt. Son stylo retombe sur son bureau et roule le long de celui-ci avant de chuter par terre. Ydir voit pour la première fois son père autant troublé, lui qui d'habitude ne montre rien, impassible.

- Tu pourrais la voir ailleurs, crache son fils.

Anir n'a sûrement pas entendu, il garde son regard rivé sur la femme et sa langue finit par se délier quand il dit :

- Tu aurais dû prévenir de ton arrivée. Et toi, ajoute-t-il en se tournant vers Ydir, respecte ta famiglia. Alma est ma sœur.

Le cœur d'Ydir rate un battement et il considère de nouveau la femme ayant des traits familiers avec son père. Il ne compte plus les secrets dissimulés au sein de cette famiglia.

- Sarah est décédée.

La bombe est amorcée, Ydir le voit quand le visage de son père change brusquement. Cette Sarah devait être importante aux yeux de son père, ses yeux polaires se voilent et il secoue la tête comme pour chasser les perles d'eau prêté à survenir.

- Comment ?

- Une fusillade à New-York.

Les épaules de son père s'affaissent, il encaisse le coup sans broncher. Il jette un coup d'œil à Ydir, son cœur rate un battement quand il surprend cette lueur au fond de ses iris polaires.

La folie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top