Chapitre 4.1
Après avoir longuement observé la façade délabrée qui se trouvait face à moi, je reportai mon attention sur Kaden, surprise par le choix du lieu. Depuis la révolution technologique de 2135, beaucoup d'usines et d'entreprises avaient fermé leurs portes. Petit à petit, les robots remplaçaient les humains, augmentant le chômage. Les pauvres devenaient encore plus pauvres et les riches toujours plus riches. Des émeutes et des révoltes avaient eu lieu aux alentours des manufactures traditionnelles. Les policiers, alors accompagnés de robots de combat hors normes, avaient maté la révolution avant même que celle-ci n'ait pu réellement commencer. L'année 2135 avait été particulièrement violente. Je ne m'en souvenais pas précisément car j'étais encore enfant, mais je savais que le monde avait plongé dans une profonde dépression économique. En 2138, nous avions été au bord du chaos. Jusqu'à ce qu'un riche capitaliste impose l'idée du salaire universel. Et cette idée fut accueillie comme une bénédiction En effet, les entreprises s'enrichissaient sans dépenser le moindre dollar grâce aux nouvelles machines à la pointe de la technologie. Plusieurs usines avaient fusionné, agrandissant leur capital. Celles-ci pouvaient alors se permettre de rémunérer les individus, participant au revenu universel. Cet homme avait sauvé le monde. 2140 avait alors commencé une nouvelle ère. Toutefois, Jase et moi ne nous y étions pas réellement intéressés étant donné que nous étions financés par la BPP et que nous n'étions tout simplement pas concernés par ce pan de l'économie. Nous restions des humains, certes. Mais nous étions génétiquement modifiés. Les Chasseurs n'avaient dès lors pas été touchés par la crise des « cinq ans ». Et puis, surtout, nous étions surtout trop jeunes pour nous en soucier.
Sortant de mes pensées, je revins à l'instant présent. Plus j'observais l'immeuble délabré, plus je tentais de me rassurer. Ce n'était pas étonnant qu'il y ait un bâtiment de cette envergure abandonné dans cette ville. Et puis, si je me concentrais sur le positif, je pouvais affirmer qu'il avait été étonnamment bien conservé. Excepté le premier étage, toutes les fenêtres étaient intactes et l'entrée semblait juste un peu salie par le temps. Je croisai mes bras sur ma poitrine. Me sentant de plus en plus perplexe et mal à l'aise, je plissai les yeux en fixant les pommettes hautes et saillantes du jeune homme que j'avais aveuglément suivi, sans me poser de questions. Peut-être que la prochaine fois, je devrais. Cela m'empêcherait de me retrouver dans un mauvais quartier devant un hangar délabré servant sûrement de cache pour les trafiquants sexuels ou les drogués. Je me sentais idiote d'avoir autant baissé ma garde, me laissant envoûter par le physique attirant de Kaden et par ce stupide lien que je pensais sentir entre nous. J'avais tenté de lui laisser une chance de prouver qu'il n'était pas la personne qu'il prétendait être. Et j'y avais presque cru dans le SkyTrain. Mais maintenant, je faisais plutôt face à mon propre désenchantement.
Patiemment, j'attendis que Kaden dise quelque chose. Il allait bien m'expliquer pourquoi nous étions là. Mais il ne dit rien. Plus les minutes s'égrenaient, plus je devenais perplexe. Allait-il se taire indéfiniment, me laissant paniquer sur la raison de notre présence ici ? Pourquoi se comportait-il si bizarrement tout d'un coup ? Quelque chose ne tournait pas rond. Et ça m'agaçait.
Je passai nerveusement une main dans mes cheveux, exaspérée par son comportement et par ma stupidité. Je m'étais laissée embarquer dans cette situation trop facilement. J'étais de nature curieuse. J'avais ressenti de nouveaux sentiments, je m'étais sentie liée étrangement à ce garçon et j'avais aimé penser que je plaisais à quelqu'un. Mais maintenant, j'étais partagée entre deux solutions : écouter ma curiosité maladive et rester pour voir ce que Kaden me réservait, ou bien partir de manière digne tant qu'il en était encore temps et abandonner l'idée d'avoir une quelconque relation avec ce jeune homme très attirant. J'essayais d'être rationnelle. Mais face à son regard noisette et son visage envoûtant, j'eus du mal à opter pour la deuxième option. Un jour, ma stupidité causera ma perte.
Une légère brise fit voleter mes cheveux devant mon visage et je m'empressai d'enfermer ma tignasse blonde dans un chignon relâché, quelques mèches s'échappant ici et là. Je les coinçai alors à l'aide de pinces, mes gestes rendus brusque par mon agacement. Pendant tout ce temps, Kaden se contenta de me fixer, sans rien ajouter. Il commençait à m'effrayer. Son regard sombre perlé de paillettes dorées me dévorait. J'avalai difficilement ma salive sous l'intensité de son regard tandis qu'il enfournait de manière nonchalante ses mains dans les poches de son pantalon noir. Attendait-il que j'entame la conversation ? Je me raclai la gorge, espérant qu'il m'annonce quelque chose. N'importe quoi. Mais il se terra dans son mutisme.
Je fronçai les sourcils. Allait-il réellement me fixer si intensément pendant des heures, devant ce bâtiment abandonné ? Si Jase avait été là, il l'aurait déjà plaqué sur le sol, lui demandant ce qui ne tournait pas rond chez lui. Malheureusement, mon frère n'était pas ici, et j'étais tout bonnement incapable de dire ou de faire quoi que ce soit, mon cerveau refusant d'agir rationnellement. J'étais tellement perdue. Je n'arrivais pas à réfléchir sérieusement. J'étais tiraillée entre ce besoin viscéral de rester près de lui et l'envie de partir. J'avais des centaines de dossiers à éplucher, une traque à mener ce soir, un rapport à rendre à la BPP et surtout, un Teria a capturé. J'avais clairement d'autres choses à faire.
Machinalement, je baissai la tête et portai la main à mon collier qui me jouait de plus en plus de mauvais tours ces temps-ci. Je constatai avec soulagement qu'il était juste légèrement chaud, probablement dû à ma température corporelle augmentée par mon énervement.
Relevant la tête, je constatai que Kaden avait suivi le moindre de mes gestes, me faisant rougir. Alors que je ne m'attendais plus à une réaction de sa part, il sourit enfin, me troublant. Les battements de mon cœur s'accélérèrent, pensant qu'il allait finalement m'expliquer ce que nous faisions là. Mais ces fameuses explications tant attendues ne vinrent pas. C'en fut trop pour moi. Il se jouait littéralement de moi depuis une bonne dizaine de minutes. Malgré ma stupidité, j'avais des limites. Et je les avais atteintes. J'avais clairement agi comme une idiote en acceptant son invitation et je le regrettais maintenant amèrement. À quoi avais-je bien pu penser ? Avoir une relation avec lui m'était de toute façon interdit. Je fulminai littéralement. J'étais en colère contre moi et mon imprudence, mais aussi contre lui et son mutisme.
Malgré les centaines de questions qui ne cessaient de se percuter dans mon crâne, je me rendis compte que je n'avais rien à faire ici. Je m'apprêtai alors à faire demi-tour, bien décidée à m'en aller, lorsqu'il me retint par la main. Son contact me fit frissonner et je fus à nouveau tiraillée par la joie que cela me procurait et la colère que je ressentais en me voyant si impuissante et indécise face à lui. Je le dévisageai durement, puis fixai sa main pour qu'il comprenne que je voulais qu'il me lâche, ce qu'il s'empressa de faire. J'en fus soulagée, mes idées devenant à nouveau plus claires. Mais malgré tout, la sensation de sa main autour de mon poignet me manqua et un vide s'empara automatiquement de moi. J'étais irritée. Je n'aimais pas me sentir comme ça. Une véritable vague de colère se répandit en moi et je fulminai intérieurement. Jamais mes sentiments ne s'étaient développés à ce point. Jamais je n'avais été à la merci de quelqu'un. Je m'étais mise en danger inutilement et j'avais perdu mon temps.
Je mis mes doigts sur mes tempes et soupirai lourdement. J'avais agi trop vite. Ignorant la présence de Kaden, je me mordis la lèvre inférieure tout en clarifiant mes idées. Je ne devrais plus penser à lui. Je ne devrais plus lui parler. Je n'étais pas une simple humaine. Je ne pouvais pas m'adonner à ce genre de chose. Les rendez-vous, les petits copains... ce n'était pas pour moi.
Consciente de mon erreur et bien décidée à partir, je relevai la tête et croisai les bras sur ma poitrine, croisant son regard. Plusieurs expressions contradictoires défilaient dans ses yeux, à mon plus grand étonnement. Il semblait lui aussi complètement désemparé et paniqué, ce qui me troubla. Que se passait-il dans son crâne ?
Mettant mes questions de côté, je me forçai à réfléchir. Il fallait que je parte. Mais avant, je voulais en avoir le cœur net : se moquait-il réellement de moi ? Pourquoi m'avait-il emmenée ici ? Alors, sur un ton acerbe, je le lui demandai, laissant s'échapper toute mon incompréhension, ma rage et ma tristesse. Aussitôt, mon nez me piqua et ma vision se troubla. Des larmes commencèrent à se former aux coins de mes yeux sans que je puisse les retenir. Je serrai les dents et réitérai ma question, n'en pouvant plus de son silence. Quelque chose se brisa en moi et ma voix chevrota sur la fin. Il me regarda avec de grands yeux, comme s'il ne comprenait pas où je voulais en venir. Il voulut s'approcher de moi, mais mon regard noir l'en dissuada. Un tourbillon de colère et de tristesse grandissait en moi. Il avait dépassé les bornes. Son comportement étrange ne pouvait justifier quoique ce soit. Je lui avais laissé sa chance, de nombreuses fois, et il ne l'avait pas saisie. Tant pis pour lui.
J'étais perdue, partagée sur mes sentiments et désespérément triste. Une fine larme coula sur ma joue mais je l'essuyai rapidement, ne voulant pas montrer ma faiblesse. J'étais tant en colère face à son attitude que, si je l'avais pu, je lui aurais collé une balle entre les deux yeux.
Face à son absence de réponses, je débitai tout ce que j'avais sur le cœur. Désespérément, j'espérais qu'il m'explique son comportement. Je voulais comprendre. Alors, j'étirai le moment, continuant à exprimer ma rancœur :
« Bon sang, Kaden ! C'est quoi tout ça ? Tu m'emmènes devant un bâtiment abandonné et tu ne dis rien, me laissant paniquer. Pourquoi ? Soit tu es un grand psychopathe et tu veux me tuer, soit tu te moques complètement de moi. Ça fait maintenant quinze minutes que tu me regardes sans rien me dire. Tu vois bien que je suis mal à l'aise et tu me fixes sans rien faire. Alors à part le coup monté, je ne vois pas de réelles explications... »
Kaden resta de marbre, même si je pouvais voir au fond de ses yeux qu'il était troublé. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais je le coupai aussi vite tant que j'avais encore un peu de courage en moi.
« Non, ne te justifie pas. Tu sais, je pensais que tu n'étais pas « ça », dis-je en le désignant entièrement. Je pensais que tu n'étais pas le gars que tout le monde pense que tu es. Mais j'ai eu tort. »
Je secouai la tête, réajustai mon sac sur mon épaule et partis en direction de la SkyStation, le moral à zéro et le cœur brisé. Je ne voulais pas rester une minute de plus car cela ne servirait absolument à rien. J'avais assez attendu.
Une fois arrivée devant la station, je passai ma main devant le cadran digital pour appeler l'ascenseur et attendis que ce dernier arrive. Des bruits de pas précipités s'arrêtèrent juste derrière mon dos. Sûrement Kaden. Mais tant qu'il ne me disait rien, j'étais bien déterminée à ne pas lui donner la satisfaction de me retourner. C'était difficile. Mais je pouvais le faire.
Alors que j'étais concentrée pour faire abstraction de celui qui se trouvait dans mon dos, mon collier se mit à chauffer anormalement, me brûlant la peau. Je serrai les dents, laissant échapper un gémissement de douleur. Quel était le problème avec ce bijou ? Je n'avais clairement pas besoin de ça maintenant. Si c'était bien Kaden derrière moi, comme je le pensais, ce détecteur perdait définitivement le Nord. Il s'activait sans cesse alors qu'il n'y avait aucun danger. J'avais assez vérifié pour en être persuadée. À chaque fois que la pierre s'échauffait, aucun extraterrestre ne se trouvait à proximité.
Je soupirai. Même si j'étais persuadée que mon collier était dysfonctionnel, mon instinct de Chasseuse se refusait de prendre cette alerte à la légère. Et si, pour une fois, le détecteur disait vrai. Et si, derrière moi, ce n'était pas Kaden mais un alien sanguinaire ? J'analysai rapidement la situation, tout en faisant glisser le long de mon bras la lame qui se cachait dans la manche de ma veste. Je décidai de faire comme si de rien n'était, ne voulant pas paraître suspecte. S'il y avait réellement un extraterrestre derrière moi ou dans les parages, je voulais le prendre par surprise. Naïf comme ils l'étaient tous, l'alien se jetterait sur moi sans imaginer que je puisse riposter. J'en profiterais alors pour me retourner et l'attaquer, le regardant se vider de son sang devant moi. Je me délectai de cette vision. Ça me ferait tellement de bien après tout ce qu'il s'était passé aujourd'hui. J'avais besoin d'action. J'avais besoin de me vider la tête et d'oublier ces yeux noisette qui hantaient mes pensées et me brisaient le cœur.
Un bruit retentit, me tirant de ma rêverie, et les portes s'ouvrirent. Les quelques personnes présentes dans l'ascenseur descendirent et quittèrent la station. J'attendis que tous soient hors d'atteinte pour me retourner et attraper mon agresseur par la gorge. J'empoignai ma petite lame, prête à l'enfoncer dans son cœur. Mais alors que je levai mon bras, une main puissante et douce à la fois me bloqua. Un parfum de déodorant masculin et de terre chaude me parvint. Quand je relevai la tête, je rencontrai deux magnifiques yeux noisette que je ne connaissais que trop bien.
« Kaden, c'est toi ? demandai-je, abasourdie. »
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Voilà la première partie de ce nouveau chapitre !
J'espère que cela vous a plu. N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de l'évolution de l'histoire en commentaires.
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LosUnivers
Publié le 22 octobre 2017 / Modifié le 05 août 2021
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