Chapitre 3.2

Une fois rentrée, je jetai négligemment mon sac de cours dans le hall d'entrée et me précipitai dans le salon. Je vis Jase, affalé sur le canapé, en train de jouer à un jeu vidéo. Je lui retirai son casque de réalité virtuelle, ignorant ses cris de protestation, et lui expliquai ce qu'il s'était passé aujourd'hui. Je parlais à une vitesse telle que je dus m'y prendre à trois fois avant qu'il ne me comprenne.

« Jase ! Je ne mens pas, dis-je en commençant à m'énerver après quelques minutes.

— Ta Marque n'a pas pu briller, répondit-il, catégorique. Ou alors une horde d'aliens se trouvait autour de toi !

— Mais justement, c'est ça le problème ! J'étais seule, déclarai-je en murmurant, tentant de me convaincre que je n'étais pas folle. »

Nous nous taisions, pensifs. J'étais certaine de ne pas avoir rêvé. Ma Marque s'était illuminée et mon collier avait réagi. Quoiqu'il se soit passé, j'avais été en présence d'un extraterrestre.

« À moins que... commença mon frère, le regard fou.

— À moins que le Teria ne soit beaucoup plus dangereux que ce que l'on imaginait, déclarai-je en achevant sa phrase. »

Jase me regarda, mi-inquiet, mi-admiratif, et hocha la tête en signe d'assentiment. C'était effectivement la seule explication possible. Un silence s'installa sur la pièce, sans être pesant pour autant. Nous étions tout simplement perdus dans nos réflexions. Ce Teria était un mystère. Nous n'avions jamais fait face à un extraterrestre aussi puissant. Plus nous creusions, plus nous soulevions des questions. Et les quelques détails qui attiraient notre attention ajoutaient encore plus d'interrogations à celles que nous avions déjà. Car à lui seul, le Teria avait affolé mon collier et ma Marque. Et il ne se trouvait pas dans le même couloir que moi. Alors imaginez ce qu'il se passera le jour où l'on se trouvera face à face ? Je soupirai. Nous avancions. Lentement, mais sûrement. Pourtant, je ne pus m'empêcher de lancer un regard lourd de sens à Jase. Ce Teria était dangereux. Trop dangereux. Alors, seuls, nous n'y arriverions jamais.

Je n'étais pas retournée à la fac pendant deux semaines. Jase me l'avait interdit vu l'épisode de la dernière fois et je n'étais moi-même pas très confiante à l'idée de me retrouver nez-à-nez avec un Teria survolté, sans arme et sans aide. Et puis, je n'avais pas spécialement envie de recroiser Kaden. Je ne lui avais parlé qu'une seule fois. Mais pourtant... Ses yeux noisette, ses lèvres délicates, ses muscles saillants... Ce garçon me faisait littéralement perdre la tête. Pas un jour ne passait sans que je pense à lui. Ça ne m'était jamais arrivé. Et je ne voulais plus que ça se produise. Ou alors juste un peu.

Car il y avait quelque chose entre nous. Quelque chose de spécial qui me dépassait. Je ne pouvais pas le nier. Je l'avais ressenti et je crois bien que lui aussi. À part ça, qu'est-ce qui pourrait expliquer mon comportement ? Comment pouvait-on être dans un tel état après avoir croisé deux fois un garçon ? Mais il était humain. Et ce fait mettait fin à toutes mes envies et interrogations. Les Chasseurs ne pouvaient s'unir qu'entre eux. C'était la loi. Aucun couple humain-Chasseur n'était toléré. C'était trop dangereux. La BPP, en imposant cette règle, avait joué la carte de la sécurité, insistant sur la nécessité pour nous de rester cachés. Nous n'étions pas humains. Mais pas totalement non-humains non plus. Nous étions... autre. Et il était inconcevable que cela se sache ou que des enfants mi-Chasseur, mi-humain, voient le jour. Nous n'avions aucune idée du pourquoi nous avions ces dons. Et nous n'avions aucune idée de ce que l'union entre un Chasseur et un humain pouvait produire. Alors, d'un point de vue sécurité, comme d'un point de vue génétique, il fallait mieux interdire tout contact entre ces deux mondes.

Donc, même si je ressentais toutes ces choses pour ce garçon, même s'il m'attirait, m'intriguait et me plaisait, je ne pouvais tout simplement pas imaginer un futur avec lui. Pourtant, il me préoccupait, m'obnubilait. Quand j'essayais de me concentrer sur ma mission, je pensais à lui. Et quand j'imaginais trouver un peu de tranquillité dans mon sommeil, deux yeux noisette venaient hanter mes rêves, me laissant pantelante au réveil, étourdie par le tourbillon de sensations qui faisait rage en moi. Jase voyait bien que j'avais la tête ailleurs, mais il ne me posait pas de question. Et je lui en étais reconnaissante. Je me voyais mal parler de ce genre de choses avec lui.

J'avais prétexté être malade auprès de mes amis. Grace et Jackson me transféraient leurs notes de cours tous les jours et essayaient de temps en temps de m'appeler. Je ne répondais jamais. Je n'aurais pas eu la force de leur mentir. J'aurais aimé leur dire la vérité. Toute la vérité. Celle sur ma nature, l'histoire de mes parents, ma mission actuelle... Mais je ne le pouvais pas. Jesse et Jackson ne me croiraient de toute façon pas. Ils se moquaient ouvertement des gens qui croyaient à ces histoires d'humains surentraînés et génétiquement modifiés, pourchassant les aliens sur Terre. Grace, elle, ne s'était jamais prononcée sur le sujet. Mais je me doutais qu'une fille aussi rationnelle et intelligente qu'elle ne pouvait pas non plus croire à des histoires pareilles. Car pour le reste des humains, nous n'étions qu'un mythe, une légende qu'on raconte aux enfants.

C'était donc mi-contrariée, mi-rassurée, que je profitai de cette absence prolongée pour me concentrer entièrement sur ma mission. Mais, malgré les quelques indices et présomptions faites après mon retour de l'université, notre dossier ressemblait encore à un gros point d'interrogation. Nous n'avions pas une seule trace du Teria, pas une seule information fiable, uniquement des suppositions. Jase allait de temps en temps surveiller les alentours de l'université tandis que je traînais en ville, cherchant des indices. Mais rien. Pas une indication, pas une nouvelle agression, ni même un message caché quelque part. Nous travaillions jours et nuits, sans relâche. Les cernes sous mes yeux augmentaient de jour en jour et je voyais bien que mon frère s'en inquiétait. Je redoutais de dormir, sachant que Kaden s'immiscerait dans mes nuits. Alors, je préférais me concentrer sur mon travail. Mais mon corps était faible et mon esprit embrumé, fonctionnant au ralenti. J'étais frustrée, irritée, désespérée. Cet extraterrestre me rendait dingue. Et Kaden aussi. Mais je n'arrivais pas à me l'avouer.

Après deux semaines de prétendue maladie, je décidai de retourner à l'université. C'était le seul endroit où j'avais obtenu quelques informations, même si rien n'était clair pour l'instant. Pourtant, j'étais persuadée que le Teria avait pris l'identité d'un étudiant et j'étais la seule à pouvoir déambuler dans les couloirs librement sans que les autres ne s'interrogent sur ma présence. Jase et moi étions à deux doigts de craquer après ces deux semaines de recherches intensives et il n'avait émis aucune objection lorsque je lui avais exposé mon idée, à mon plus grand étonnement. Il était d'accord avec moi, ce qui était rare. Mais nous savions tous deux que ce jour passé à l'université avait été le seul où nous nous étions un tant soit peu approchés d'une piste. Nous avions donc convenu que je retournerais à l'université pendant que Jase effectuerait des rondes aux alentours. Ainsi, si j'avais un problème, je lui enverrais un signal de détresse et il accourrait en un rien de temps. Nous ne savions toujours rien sur ce Teria, mais nous étions déjà mieux préparés. Nous savions où le trouver. Et ça me rassurait. Je n'étais certes pas très heureuse à l'idée de recroiser Kaden. Mais la mission était plus importante. Et j'étais capable de gérer un jeune homme attirant. Du moins, il le fallait bien.

Ce fut ainsi que je me retrouvai au volant de ma vieille carcasse jaune en direction de la faculté de lettres un vendredi matin. Évidemment, j'étais en retard. Et évidemment, j'étais stressée. Non pas parce que je n'étais pas à l'heure, mais parce que je redoutais de croiser Kaden. Mes mouvements étaient brusques et mes mains crispées sur le volant. Mes nerfs semblaient à vif et un nœud me comprimait l'estomac. Je n'avais jamais ressenti une chose pareille...

Une fois arrivée sur le campus, je garai ma voiture en faisant crisser mes pneus et coupai le moteur avant de m'élancer en courant vers le bâtiment. Je fis demi-tour pour verrouiller la voiture en passant mon badge devant la poignée, ayant à nouveau oublié qu'elle ne se fermait pas automatiquement. Je regardai rapidement autour de moi, constatai que j'étais seule et usai de mes aptitudes pour arriver le plus vite possible en cours. Je m'arrêtai brusquement, repris mon souffle et poussai la porte d'un air décidé. Je m'excusai maladroitement auprès du professeur pour mon léger retard et m'assis près de ma meilleure amie. Elle me regarda avec des étoiles plein les yeux et me serra dans ses bras, heureuse de me retrouver. Jackson se retourna, comme d'habitude, et me servit un sourire ravageur.

« Bon retour parmi nous, joli cœur ! Tu es idiote de revenir un vendredi. Tu aurais pu rester chez toi et revenir lundi, me lança-t-il avec une moue adorable. »

Je lui tirai la langue, ne sachant pas quoi rétorquer d'autre, et me concentrai sur le cours. Ou du moins, je fis mine de m'intéresser à ce que le professeur de philosophie pouvait bien expliquer car mes amis me parlèrent pendant une bonne heure, me relatant tout ce que j'avais manqué et cela me fit du bien d'être à nouveau auprès d'eux. Ils m'avaient manqué.

Après le cours, je discutai avec Jesse lorsque qu'une main se posa sur mon épaule. Cette personne avait de la poigne ! Je sursautai et me retournai, prête à dire ma façon de penser. Mais lorsque je croisai deux magnifiques yeux noisette, mon souffle se coupa net et ma répartie mourut sur mes lèvres. Je fermai les yeux un instant pour reprendre mes esprits avant de fixer à nouveau son visage parfait. J'aurai aimé que Jesse me pince pour être certaine que je ne rêve pas. Ce garçon ne pouvait pas réellement exister tant sa beauté était époustouflante.

« Salut, Lili ! me souffla-t-il de sa voix rauque, qui m'avait, je l'avoue, un peu manqué. »

J'avais espéré ne pas le croiser. Et je m'étais répétée que si je le voyais, je continuerais mon chemin sans m'arrêter, me contentant des habituelles politesses. Mais maintenant que je me retrouvais face à lui, j'étais complètement perdue face à l'intensité de son regard. Je tentai de me redonner contenance, ignorant la douce chaleur qui m'envahit. Mais j'en étais tout bonnement incapable. Quelque chose de... surnaturel m'attirait à lui.

Un fin sourire se dessina sur ses lèvres et je pris conscience de mon état. Je passai une mèche rebelle derrière mon oreille et lissai ma jupe rouge sombre de mes mains moites.

« Kaden... Salut ! Tu vas... euh... bien ? demandai-je, hésitante.

— Oui, super ! J'espère que tu vas mieux après cette méchante grippe. »

J'avalai de travers et m'étranglai. Je toussai rapidement et Jesse me passa sa gourde d'eau, me regardant étrangement. La façon dont il avait prononcé ces mots me laissait penser qu'il savait. Car ça, c'était l'excuse que j'avais servie à mes amis alors même qu'un Chasseur ne pouvait pas avoir de grippe. Mais ils n'étaient pas censés le savoir.

Je me calmai rapidement et fronçai les sourcils. Comment Kaden pouvait savoir que j'avais soi-disant eu une grippe ? Un rapide coup d'œil à Jesse lorsque je lui rendis sa gourde m'apprit qu'elle n'avait pas su tenir sa langue. Je souris gentiment pour masquer mon trouble. Il avait tant insisté sur le mot « grippe » que je doutais qu'il y ait réellement cru. Kaden se racla la gorge pour me ramener à la réalité et je lui répondis maladroitement, oubliant ce moment étrange :

« Oui, ça va mieux. Merci. »

Je m'apprêtai à partir lorsqu'il m'interpella à nouveau :

« Attends, Lili !

— Oui ? demandai-je d'une petite voix tout en frottant le bout de mon nez, étant persuadée que je m'étais sortie de cette situation délicate.

— Tu voudrais sortir un de ces soirs ? On pourrait se faire un truc quoi. »

Sa question me prit totalement au dépourvu. Kaden m'avait-il réellement invitée à passer du temps avec lui ? Je souris indépendamment de ma volonté, une nouvelle vague de valeur me submergeant. Je voulais absolument dire oui. Je devais absolument dire oui. Mais une partie de moi se méfiait dangereusement de lui.

Je penchai ma tête sur le côté et souris de manière forcée. J'hésitai fortement entre accepter sa proposition, ou m'enfuir en courant. Ou bien les deux. Une chaleur diffuse se répandit dans ma poitrine, me rassurant. Je posai machinalement la main à mon collier, vérifiant que ce n'était pas lui qui était responsable de mon état. Il était un peu plus chaud que d'habitude, mais rien de surprenant. Je regardai tout de même autour de moi pour analyser les lieux mais ne détectai rien d'anormal. Pas besoin d'alerter Jase, donc. Je m'excusai rapidement auprès de Kaden, étant consciente de mon comportement bizarre. Perdue, je ne savais plus où me mettre. Devais-je accepter ? Ce n'était qu'un petit rendez-vous. De quoi passer le temps et penser à autre chose quelques heures. Mais à quoi bon ? Je n'avais aucun avenir possible avec lui.

Une main chaude prit mon menton et me releva la tête, me faisant frissonner et me ramenant à la réalité. Je dévisageai Kaden et repris contenance, me détachant à regret de son toucher agréable. Une fois un peu éloignée, je me sentis moins engourdie. Je soupirai et m'apprêtai à lui dire non lorsque je vis, par-dessus l'épaule de Kaden, Jesse secouer la tête avec entrain en levant ses deux pouces en l'air. Je me retins de rire. Voir Jesse ainsi était à mourir de rire. Alors, je fis quelque chose de stupide. J'acceptai sa proposition.

« Cool, répondit-il en enfonçant ses mains dans ses poches, fier de lui. On se retrouve à la SkyStation un peu plus tard ?

— Aujourd'hui ? demandai-je avec étonnement. Eh bien, oui, d'accord. »

Je replaçai une mèche blonde derrière mon oreille et le regardai s'éloigner, un étrange sentiment naissant dans ma poitrine. Je détachai finalement mon regard et me retournai vers Jesse qui avait un grand sourire aux lèvres. Mes joues rosirent instantanément. Qui aurait cru que moi, Lili Clark, serait un jour invitée à sortir avec un garçon ? Je souris béatement. Mais lorsque je vis Jesse se dandiner sur place, prête à exploser de joie, mon sourire s'effaça.

« Non ! Ne... commençai-je en anticipant ce qu'elle allait faire.

— Lili va sortir avec Kaden ! cria-t-elle dans le couloir, à la manière d'une adolescente puérile. »

Je la regardai avec de grands yeux, abattue. Elle n'avait pas fait ça ? Je jetai de rapides coups d'œil autour de moi et remarquai que peu d'élèves étaient encore présents, pour mon plus grand soulagement. Jesse, quant à elle, continuait à sautiller et à crier comme si sa vie en dépendait. Avait-elle réellement dix-neuf ans ? Parfois, l'immaturité des humains m'impressionnait.

« Jesse, tais-toi ! dis-je en la poursuivant pour la faire taire, tentant de la ramener à l'ordre.

— Lili et Kaden ! continua-t-elle en me narguant, les yeux pétillants. »

Des élèves amusés me regardèrent courir après Jesse, qui chantait toujours à tue-tête. Mon collier brûlait ma peau mais j'étais trop distraite pour le sentir.

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Voici la partie 2 du chapitre 3.

Merci de me lire !

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Publié le 08 octobre 2017 / Modifié le 02 août 2021

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