Chapitre 26

Je regardai attentivement les murs de ma chambre, ma vraie chambre, tout en fronçant les sourcils. Revenir dans notre villa après tout ce temps était beaucoup trop étrange pour moi et j'avais encore vraiment du mal à m'y faire. La nouvelle couche de peinture gris clair illuminait la pièce, bien que l'on devinât encore çà et là de légères traces de la couleur précédente... Tout était pareil, et en même temps si différent.

Jase et Kaden étaient en haut. J'entendais leurs éclats de voix entrecoupés par la musique rock qui filtrait à travers la pièce, se répandant dans la maison et battant au rythme effréné de mon cœur. Ils étaient en train de remettre la salle de bain en état. Je serrai un peu plus mes jambes contre moi, déposant mon menton sur mes genoux. Comment pouvaient-ils s'amuser autant ? J'entendais leurs rires fuser, faisant naître un discret sourire sur mon visage. Mais ce sourire finissait toujours par s'effacer, laissant place à la tristesse et à l'indignation. Car Jesse n'était plus là.

Je tentai de penser à autre chose lorsque je sentis à nouveau des larmes se former au coin de mes yeux. J'étais étonnée de voir à quel point Jase s'entendait si bien avec Kaden. Il n'était pas le frère le plus tolérant de l'Univers et il se trouvait être extrêmement protecteur, certes. Mais il avait toujours eu une confiance aveugle en Kaden, et ce, presque depuis le début.

Je tripotai le bas de ma blouse tout en écoutant avec attention ce qu'il se passait autour de moi. Lorsque nous fûmes de retour dans notre ville natale, nous avions retrouvé notre villa dans un état déplorable. L'endroit avait été pillé et squatté pendant notre absence. Ce lieu où j'avais grandi avait été défiguré. Nous nous étions alors tous mis d'accord pour le reconstruire afin de lui donner son allure d'antan. Ça nous occupait l'esprit et nous évitait de penser à Jesse... David et Grace s'étaient mis d'accord pour aménager un nouveau bureau de haute technologie avec l'aide de Glad-y, que David avait finalement réparée. Nous avions alors visionné les dernières images qu'elle avait capturées. Cela m'avait fait une drôle d'impression de voir des soldats de la Brigade des Phénomènes Paranormaux mettre notre villa sens dessus dessous. La violence dont ils avaient fait preuve était innommable. Heureusement que nous ne nous trouvions pas sur place, mon frère et moi, ce jour-là.

Alors que je faisais léviter un morceau de plâtre se trouvant à mes pieds pour me détendre, j'entendis Jackson, Carly et Oliver se chamailler dans le salon. Je fermai les yeux, tentant d'ignorer ces cris de joie, et repensai à tout ce que j'avais vécu, de la mission X-Teria à ma rencontre avec Kaden. Sans oublier cette bataille que nous avions menée à bien, révélant l'existence de la Terre au Conseil InterGalactique. Grâce à nous, depuis quelques jours, certains vaisseaux atterrissaient sur notre planète afin de secourir ceux qui avaient depuis longtemps été portés disparus.

Je fixai à nouveau mon regard sur un des murs de ma chambre. J'avais eu besoin de changement et le nouvel agencement me faisait du bien. La pièce semblait plus spacieuse et la nouvelle couche de peinture donnait un petit coup de fraîcheur, me faisant oublier toutes les heures que j'avais passées ici en tant que Chasseuse la plus loyale de la BPP. Je frissonnai. Ce passé allait encore longtemps me hanter.

Je fermai les yeux et grimaçai face à ce souvenir. Il m'était encore difficile de me remémorer avec précision ce qu'il s'était passé ce jour-là, lorsque nous avions quitté la BPP, mon frère et moi. Et d'un côté, cela me convenait très bien. Je voulais oublier ce jour-là. Je voulais oublier que j'étais responsable de sa mort à elle.

Je secouai la tête, retraçant mentalement les quelques jours qui avaient suivi notre victoire. Nous étions retournés à Diamond pendant quelques jours afin de faire profil bas. Une fois les choses calmées, nous avions décidé de réintégrer notre maison. Jase avait prétexté que sa salle d'entraînement lui manquait. Mais je savais pertinemment que ce n'était pas le cas. Ce qui lui manquait, c'étaient tous les souvenirs qu'il avait vécus et laissés ici. Lorsqu'il me l'avait demandé, j'avais accepté de le suivre, me disant qu'un peu de normalité ne nous ferait pas de mal. Nous avions tous besoin de nous changer les idées. De faire notre deuil.

Je me souvenais avec précision des sentiments que j'avais ressentis en ouvrant la porte défoncée de notre villa. De la rage, de la colère, de la honte, mais de la tristesse aussi. Je n'avais pas encore eu l'occasion jusque-là d'évaluer l'état de notre ancienne maison et cette piètre découverte m'avait chamboulée. Tout ce que j'avais connu... Tout avait disparu. La cuisine était saccagée, le grand salon semblait complètement démoli, la salle d'entraînement avait été dépouillée de toutes armes et équipements et nos écrans high-techs jonchaient le sol, brisés. J'avais eu envie de hurler ma rage et mon désespoir. Mais je m'étais contentée de déambuler dans les couloirs saccagés, comme une âme errante. Depuis notre retour, je n'étais plus la même.

Cela devait maintenant faire plus d'une semaine que nous nous affairions à tout ranger. Et cela faisait aussi plus d'une semaine que Jesse nous avait quittés. Le morceau de plâtre avec lequel je jouais tomba subitement dans un bruit sourd, explosant en mille morceaux. Je reposai le pot de peinture que je tenais plus tôt sur le sol recouvert de bâches plastiques. Je sentis mon souffle s'accélérer et mes yeux brûler. Son sourire, ses yeux, son rire... Une larme dévala ma joue alors que je me pensai incapable de pleurer après les torrents de larmes que j'avais déjà déversés. Mon corps et mon âme étaient à sec. Je ressemblais à une épave. Je me sentais responsable. Le moindre son, le moindre pas, me faisaient sursauter. Mes pouvoirs se déclenchaient quand bons leur semblaient. Je n'avais plus aucun contrôle sur moi-même. Mes mains tremblèrent et j'essuyai la seule larme qui avait roulé sur ma joue.

Pas maintenant, Lili, me dis-je à moi-même.

Anticipant ma crise de panique, je m'effondrai sur le sol et fermai les yeux pour mieux me concentrer sur ma respiration. Mais ce faisant, je revis les mêmes images défiler, encore et encore. Ces mêmes images qui me hantaient à chaque fois que je repensais à elle. Je revis Jesse, la lame de Reich appuyée sur sa peau. Je vis ses yeux, quand elle comprit que c'était fini. Je la revis s'effondrer sur le sol, toute trace de vie l'ayant quittée. Je vis son sang couler encore et encore, inondant ce couloir sombre. Je la sentis dans mes bras, ses yeux révulsés et sa gorge béante, sa peau devenant toujours plus froide à mesure que la vie la quittait. Ces souvenirs me hantaient à chaque instant, provoquant de violentes crises de panique le jour et des cauchemars incessants la nuit.

On l'avait enterrée deux jours après, à Diamond, dans ce fameux parc où tout avait commencé. Son nom était gravé sur le banc sur lequel Jase et moi avions tout échafaudé pour que chaque habitant se souvienne qu'elle avait affronté la mort avec bravoure. Elle s'était sacrifiée pour nous alors que j'aurais dû être à sa place. J'aurais voulu être à sa place. C'était Jase et moi qui avions imaginé ce foutu plan. Et même si je savais au fond de moi que je n'étais en rien responsable, je ne pouvais m'empêcher de penser le contraire. C'était ma faute si elle avait perdu la vie.

À notre retour à Diamond, j'avais trouvé une lettre sur mon lit. J'avais tout de suite reconnu l'écriture fine et délicate de Jesse et j'avais hoqueté de surprise. C'était comme si elle l'avait su. Comme si elle avait prévu de ne jamais revenir. Je m'étais assise sur mon lit et avais longuement hésité avant d'ouvrir la lettre. C'étaient ses derniers mots. Les mains tremblantes, je l'avais lue et relue plusieurs fois, jusqu'à ce que mes larmes imprègnent le papier et effacent ses pensées. Mais je n'avais pas oublié ses dernières volontés. C'était pourquoi nous avions accepté de l'enterrer à Diamond, dans ce magnifique parc aux arbres fluorescents.

Enterrer...

Comment pouvait-on enterrer quelqu'un sans avoir retrouvé son corps ? Une fois notre mission réussie, tout s'était déroulé si vite. Nous avions dû fuir le bâtiment, laissant Jesse derrière nous, seule dans ce couloir sombre, nageant dans son propre sang. Cela m'avait révulsée. J'avais hurlé. J'avais même blessé Jase qui faisait rempart de son corps pour m'empêcher d'aller la chercher. Les autres... Ils avaient laissé les forces de l'ordre démanteler la BPP et mettre feu au bâtiment, laissant les dernières traces de Jesse s'envoler en fumée. Sa tombe n'en était pas une. Tout tenait en une plaque et en un bouquet de roses. Mais son corps... Il était resté là-bas, seul. Et c'était ça qui me tuait à petit feu. Je l'avais abandonnée. Je l'avais abandonnée à partir du moment où j'avais avancé, laissant Reichd lui trancher sauvagement la gorge. Et même après, je l'avais abandonnée dans ce couloir sombre.

Lorsque j'ouvris enfin les yeux, je me rendis compte que j'avais encore trouvé la force de pleurer. Je me relevai difficilement, le corps tremblant. J'entendis la voix de mon frère résonner dans ma tête. Je l'entendais me répéter sans cesse que ce n'était pas ma faute, que Jesse était consciente des risques qu'elle prenait et qu'elle avait accepté de mourir lorsqu'elle était partie avec nous. Sa lettre en était la preuve. Mais Jesse n'était pas là pour me le confirmer.

Je secouai la tête, chassant les paroles de Jase, et m'appuyai sur le mur fraîchement peint, ignorant les taches que cela ferait sur mes vêtements. Je respirai profondément en fermant les yeux. Il fallait que je me calme, que j'arrête de m'accabler pour toutes les horreurs que j'avais commises et engendrées. J'en étais consciente. Mais c'était si difficile...

J'ouvris à nouveau les yeux et appuyai mes mains tremblantes sur le mur pour me redresser. Je laisserai Carly finir ma chambre. Je n'en avais plus la force, ni l'envie. Je descendis les escaliers en vitesse et me dirigeai vers la salle d'entraînement, ou du moins, ce qu'il en restait. Je retirai ma blouse, ne laissant que mon débardeur pour avoir plus d'aisance dans mes mouvements, et m'avançai vers le sac de frappe pendu au fond de la salle d'un pas déterminé. Je commençai à frapper à mains nues encore et encore jusqu'à propulser le pauvre sac éventré à travers la salle. Il s'écrasa sur le mur et explosa en mille morceaux. Ça devait être le quinzième sac que je détruisais en seulement sept jours. Ma force s'était décuplée depuis que je m'entraînais sans cesse. Alors que je revoyais la mort de Jesse se dérouler devant mes yeux, je frappai, exultant ma rage, mon indignation et ma colère. Je visualisai tout ce que j'aurais pu faire pour la sauver. Et à chaque fois, je me retrouvai en pleurs, mes phalanges ensanglantées.

J'accrochai un autre sac, plus lourd et plus résistant, et frappai encore. Le stock de vieux sacs s'amincissait de jour en jour et je serai bientôt à court. Tant pis. Pour l'instant, tout ce qui comptait, c'était d'expulser ma colère. Je me mis en garde et bandai mes muscles pour lancer la première rafale de coups.

Un pour Jesse.

Un pour Reichd.

Un pour l'humanité entière qui partait en vrille depuis qu'elle avait découvert l'existence des Chasseurs et des extraterrestres.

Un pour ce merdier dans lequel je m'étais foutu.

Je m'apprêtai à frapper encore une fois, mais une main ferme et douce à la fois retint mon coup.

Kaden.

Il colla son torse à mon dos dégoulinant de sueur et me prit délicatement dans ses bras. Je m'agrippai à lui et soupirai, fermant les yeux. Il tenta de me retourner pour que je lui fasse face, mais je refusai. Je ne voulais pas qu'il me voie dans cet état. Je n'étais que haine et désespoir. Je savais qu'il souffrait de me savoir ainsi. Il ne dormait pas la nuit, guettant le moindre signe de cauchemar pendant mon sommeil et il restait sans arrêt en alerte la journée, épiant mes moindres pensées et sentiments à travers notre lien. Il essayait de me laisser seule pour que je puisse respirer, mais je savais qu'il surveillait le moindre de mes faits et gestes. Et je savais aussi que mon mal-être le rongeait à petit feu, vu les cernes violacés qui entouraient ses magnifiques yeux.

« Chaton, regarde-moi, me murmura-t-il à l'oreille. »

Je secouai la tête, refusant qu'il me voie ainsi, aussi fragile. Ses bras se resserrèrent plus fort autour de moi et il m'éloigna doucement du sac. Je me laissai faire, étouffant les sanglots qui me ravageaient de l'intérieur. Il souleva mon corps frêle et tremblant et me déposa délicatement sur le sol. Il m'embrassa le front, caressa ma joue et partit dans les toilettes. Je restai assise, la sueur dégoulinant sur mon visage, le sang séchant sur mes mains, et laissai mon regard se perdre dans le vide. Ça me faisait du bien qu'il soit là. Il me calmait. Mais la tristesse et la culpabilité me rongeaient toujours. Et même lui ne pouvait rien y faire.

J'entendis la porte claquer et Kaden revint avec un essuie légèrement humide. Il s'assit en face de moi et m'encercla de ses jambes, comme pour me protéger. Puis, délicatement, il prit mes mains et nettoya le sang qui les couvrait. Il répéta ces gestes comme s'ils étaient familiers. Et ils l'étaient. Chaque jour, Kaden me laissait me défouler un petit temps avant de venir me chercher. Il ne disait rien, se contentant de m'éloigner avec délicatesse du sac sur lequel je m'acharnais et de soigner mes blessures pendant que je pleurais. Mais là, je ne pleurais pas. Je ne pleurais plus. Ce détail sembla attirer son attention car il suspendit son geste et me regarda, une lueur d'espoir dans son regard. Ce regard dont j'étais follement amoureuse. Ce regard qui m'embrasait dès qu'il se posait sur moi. Ce regard que je ne pourrais jamais oublier.

« Lili ? m'appela-t-il doucement, sa voix rauque, légèrement incertaine. »

Sa main frôla ma joue et il approcha son visage jusqu'à coller son front au mien. Nos bouches n'étaient qu'à quelques millimètres l'une de l'autre, nos souffles se mélangeant. Cela faisait longtemps que je n'avais plus gouté à ses baisers passionnés. J'en souffrais et lui aussi. Alors, sans prévenir, j'attrapai son doux visage et collai mes lèvres aux siennes. Son contact me fit l'effet d'une étincelle. Je me laissai alors dévorer par ce désir ardent, voulant tout oublier. J'avais besoin de lui.

Je m'accrochai désespérément à lui, ayant peur qu'il s'enfuie. Kaden répondit directement à mon avance, même s'il sembla d'abord surpris, et m'agrippa par la taille pour me rapprocher de lui. Mon bassin se colla naturellement au sien et je soupirai de plaisir. Nos mains parcoururent le corps de l'autre, redécouvrant cette sensation familière qui nous avait tant fait vibrer. La joie de se retrouver tourna rapidement en une passion féroce, détruisant tout sur son passage. Mes murailles explosèrent et je me laissai pleinement aller à notre étreinte, succombant à son désir et au mien. Notre lien pulsait au fond de moi, me faisant oublier mon mal-être l'espace d'un instant.

Très vite, nos vêtements jonchèrent le sol et je me retrouvai allongée sur le tatami dur et rèche. Kaden semblait au plus près de moi, son regard voilé par le désir et la joie de me retrouver. Ses mains parcouraient mon corps, laissant derrière elles une trace ardente, indélébile. Lui et moi n'étions plus qu'un. J'agrippai son dos et laissai mes ongles pénétrer sa peau. Un grognement étouffé de sa part me fit me rapprocher encore plus près de lui. Nos corps en fusion se frôlèrent doucement en une lente caresse. Notre lien se raviva. J'entendais à nouveau ses pensées. Je ressentais à nouveau ses sentiments. Je souris. Je ne pensais pas pouvoir vivre ces émotions encore une fois avec lui. Alors que nous ne faisions plus qu'un, son corps ondulant au-dessus du mien, je me sentis vraiment revivre. Tout autour de moi explosa. Un halo vert se déposa sur nous et je regardai Kaden avec amour. Je posai délicatement ma tête sur son épaule et me réfugiai dans ses bras. Il n'y avait pas meilleure place. J'étais là où je voulais être, avec ceux avec qui je voulais être.

Sa voix rauque résonna dans ma tête :

« Je t'aime, Lili. Je t'aime de tout mon cœur et je ferais tout pour que tu te sentes mieux. »

Et c'est avec cette unique déclaration que je lui succombai.

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Et voilà... C'est ici que les aventures de Lili se terminent !

J'espère que cette histoire vous a plu, que vous avez évolué avec les personnages.

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LosUnivers

 Publié le 27 janvier 2019 / Modifié le 14 juillet 2024

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