Chapitre 19.2

Jesse sourit à ma remarque tandis que Jackson semblait au bord de l'explosion, se mordant les lèvres pour s'empêcher de rire. Kaden se retourna subitement, la mine renfrognée, et grommela qu'il n'était pas si vieux que ça. Sous les rires discrets des gardes, il me rejoignit en me foudroyant du regard. Une fois posté près de moi, les poings serrés, l'air vexé, Kaden me regarda et je souris en passant une main dans ses cheveux en bataille.

« C'était pour rire. Tu le sais, hein ? »

Il sourit à son tour et frotta son nez au mien en me murmurant de ne plus jamais l'appeler ainsi en public. Je ris et me tournai vers la porte entrouverte. Je pouvais apercevoir un long chemin en pierre brune qui s'étirait à l'infini. Çà et là, d'autres passages et escaliers s'entrecroisaient, révélant un véritable labyrinthe creusé à même la roche, parcourant le vide. C'était aussi magnifique que déroutant. Kaden prit ma main et la serra doucement. Je le regardai à mon tour, à la fois émerveillée et terrifiée.

« Tu me suis ? me demande-t-il. »

Je hochai la tête, le regardant s'élancer à toute vitesse. Grâce à ma vue surdéveloppée, je le vis parcourir la distance au ralenti, soulevant des gerbes de poussières à son passage. Je m'ancrai dans le sol, prête à démarrer. Mais avant, je souris à mes amis et à mon frère qui se tenait toujours derrière moi, l'air à la fois méfiant et anxieux. Je lui assurai que tout allait bien se passer d'un hochement de tête et m'élançai à toute vitesse sous le regard médusé de Jesse et les exclamations admiratives de Jackson. Mon passage provoqua une bourrasque qui souffla la poussière déposée sur la route. Dès que je l'eus rejoint, Kaden accéléra la cadence.

Pendant que je courais, j'eus le temps de détailler l'endroit qui nous accueillerait peut-être. La ville souterraine était immense. Elle s'étalait sur des kilomètres. Çà et là, de nombreuses personnes se baladaient, nous dévisageant au passage. Des couloirs, des chemins, des escaliers, des places, des salles... Tout était taillé à même la roche. Des tours se dressaient fièrement vers la voûte, leur sommet projetant des ombres menaçantes sur le sol. Partout, des lumières voletaient dans les airs, donnant l'impression d'être en plein jour. De part et d'autre du chemin, le vide s'étendait sur plusieurs kilomètres, plongeant de manière effrayante dans les entrailles de la terre. Bien que l'endroit soit joliment travaillé et dessiné, il m'était difficile de le trouver aussi charmant que le Repaire. Ici, il n'y avait ni couleur, ni de chaleur. Pas de fins rayons du soleil caressant ma peau à travers les grandes baies vitrées. Tout était froid et impersonnel. Des pics menaçants descendaient du plafond, prêts à me transpercer. Je frissonnai. Sous terre, nous étions à l'abri des regards et des dangers. Cependant, je ne pus m'empêcher de ressentir un pincement au cœur en pensant au magnifique salon rétro que je ne verrai plus jamais. Les néons, le ciel étoilé... Plus rien n'existait. Seuls les globes lumineux qui flottaient dans les airs me rappelaient le Repaire, ajoutant un peu de magie à cet endroit lugubre.

Je ralentis un peu la cadence, chamboulée et quelque peu essoufflée. J'avais l'impression que nous avions parcouru des kilomètres en quelques minutes. Épuisée, je m'arrêtai, les mains sur les genoux et le dos voûté, avertissant mentalement Kaden pour qu'il s'arrête aussi. Je profitai de ce moment pour mieux détailler l'endroit. Il y avait environ trois étages, chacun découpé dans la pierre et illuminé à l'aide de torches accrochées aux murs.

« Nous sommes bientôt arrivés, m'informa Kaden, m'arrachant à ma contemplation. »

Nous reprîmes alors un rythme de marche normal, n'étant plus qu'à quelques mètres de la place où je devais rencontrer Clay. Mon estomac se noua et je déglutis difficilement. J'avais peur. J'étais même terrorisée. À la moindre erreur, Clay refuserait que nous trouvions refuge ici. Si c'était le cas, mes amis, mon frère et moi n'aurions plus d'endroit où aller.

Nous arrivâmes finalement devant une arche en pierre finement taillée. J'ouvris la bouche, impressionnée par ce travail titanesque. Les yeux toujours rivés sur les moulures travaillées, je franchis l'arche à la suite de Kaden, m'arrêtant au pied d'une place immense. Mes yeux s'écarquillèrent d'émerveillement. Je n'osais pas imaginer l'étendue de cette ville souterraine. Tout y était démesurément grand. Autour de la place magnifiquement pavée, des maisons taillées à même la pierre brune se dressaient fièrement. Au centre se tenait une personne, que je supposai être Clay, accompagnée de ce qui me semblait être deux gardes. Leur tenue et leurs armes étranges me confirmaient mon impression. Je n'avais jamais vu de fusils aussi grands. Tout paraissait disproportionné ici. Ceux qui avaient construit cet endroit semblaient avoir des envies démesurées. Je m'approchai doucement en jetant des coups d'œil répétitifs à leurs armes impressionnantes. J'aurais tué pour avoir un tel attirail.

Carly et David étaient là, nous attendant patiemment. Stressée, j'attrapai la main de Kaden, cherchant du réconfort. Tout ce petit monde était impressionnant. Je posai finalement mon regard sur Clay. Il était si élancé que les deux gardes paraissaient minuscules à ses côtés. Je frissonnai face à son regard froid et imperturbable. Il était terrifiant. Ses traits durs et secs lui donnaient un air menaçant. Son corps maigre le faisait paraître chétif, mais son aura m'écrasait, dévoilant sa force.

« Bienvenue, Clark, déclara Clay d'un sourire carnassier. Kaden t'a expliqué la situation, je présume. »

Je hochai la tête, passant au-dessus du fait qu'il m'appelait « Clark » et qu'il me tutoyait.

« Bien, j'ai quelques questions à te poser, dit-il de sa voix caverneuse. Tu comprendras que le fait que tu sois une Chasseuse est fort embêtant. »

Je serrai les poings. Son ton méprisant m'horripilait. Il n'avait pas encore posé une seule question. Pourtant, j'étais persuadée qu'il avait déjà une idée bien arrêtée sur ma personne. Quoi que je puisse dire, cela ne changera rien. La conversation débutait bien...

D'une voix trainante, il me posa de simples questions afin de mieux me connaître. J'y répondis le plus sérieusement possible, consciente que le moindre faux-pas me serait fatal. Je tâchai de raconter mon histoire en y mettant le plus d'émotions possible afin de montrer ma sincérité. Clay me toisait de ses yeux de fouine, le visage indéchiffrable. Je tentai d'apaiser les battements effrénés de mon cœur et de rester polie malgré son regard inquisiteur. Plus je parlais, plus il restait campé sur ses positions.

« Bien, conclut Clay, l'air peu convaincu.

— Je vous assure que...

— Tu as bien assez parlé, Clark, me coupa Clay. »

Je sentis Kaden se raidir à mes côtés.

« Clay, laisse-lui une chance, intervint Kaden.

— Tu amènes dans cet endroit des humains. De plus, deux d'entre eux sont des Chasseurs ! cracha Clay à l'intention de Kaden qui broyait mes doigts à force de les serrer. Ne me demande pas de leur accorder une faveur. Ils ne la méritent pas. »

Je grimaçai. Pas un seul instant, Clay avait envisagé de nous héberger. Alors pourquoi avait-il souhaité s'entretenir avec moi ?

« Oui, c'est vrai, dis-je d'une voix calme. Nous ne méritons aucune faveur, ni aucune compassion. Pas après ce que la BPP vous a fait. Je comprends parfaitement votre réticence. Mais nous ne dépendons plus de la BPP. Je suis aussi à moitié...

— Peut-être, mais tu es une Chasseuse avant tout, Clark, me coupa-t-il de sa voix cassante. »

Son ton condescendant et son air supérieur commençaient à m'énerver. Au début, j'avais encaissé ses remarques sans rien dire. Mais plus le temps passait, plus j'étais sur le point d'exploser. J'inspirai profondément pour me calmer. La situation était déjà assez compliquée ainsi. Je ne devais pas m'emporter. Mais c'était si difficile... Dès que Clay s'adressait à moi, j'avais envie de l'étrangler. Il était pire que David.

« Clark, commença Clay de sa voix agaçante.

— Lili, le coupai-je en le foudroyant du regard. Je m'appelle Lili. »

Je pouvais ressentir tout le dégoût qu'il éprouvait pour moi lorsqu'il prononçait mon nom ainsi. Ça me mettait hors de moi. Je fermai les yeux et respirai profondément, comme me l'intimait Kaden depuis quelques minutes par télépathie. Il savait autant que moi que la situation était critique et que je devais garder mon calme.

« Clark, insista-t-il avec un grand sourire, sous mon regard glacial. Donne-moi une seule bonne raison de t'accepter, toi et tes amis, dans mon refuge ? Comment puis-je m'assurer que tout ceci n'est pas que pure comédie ? Que tu n'attends pas que je baisse mes gardes pour m'attaquer ? Tu as su charmer Kaden, mais tu n'y parviendras pas avec moi. »

Je haussai un sourcil d'étonnement. Comment pouvait-il penser que j'envisageai de les attaquer ? Ils étaient des milliers et nous étions cinq. Bien que nous soyons doués, nous n'étions pas suffisamment nombreux que pour représenter une véritable menace. Et ainsi cachés sous terre, je doutais que je puisse communiquer avec la BPP. Mais je comprenais la méfiance de Clay et ses questions faisaient de lui un bon chef.

Serrant les poings, je m'avançai, quittant l'étreinte rassurante de Kaden. J'en avais assez de fuir et de me battre. J'en avais assez de devoir sans cesse convaincre les autres que j'étais de leurs côtés. Je souhaitais simplement mettre un terme à tout cela. Était-ce si compliqué à comprendre ? Toutefois, j'avais besoin de lui prouver qu'il avait tort. J'avais besoin qu'on arrête de me traiter comme un paria. J'avais besoin qu'ils m'acceptent comme une des leurs. J'avais encore un infime espoir de le faire changer d'avis. De leur faire changer d'avis. Mon passé ne définissait pas mon présent. Et j'avais besoin de le leur prouver.

« Je veux la même chose que vous, dis-je finalement en me raclant la gorge, maîtrisant mes émotions.

— Et pourrais-tu me dire ce que je veux, exactement ? me questionna-t-il de manière sarcastique, un éclat de malice traversant ses yeux bleus. »

Une lueur étrange passa dans son regard. Une lueur que je ne parvenais pas à déchiffrer. Et si, depuis le début, il souhaitait simplement me mettre au défi, comme l'avait fait David ? Et si tout ceci n'était qu'une mise en scène pour tester ma détermination ? Kaden m'aurait-il entraîné là-dedans ? Était-il seulement au courant ?

« Avant, je tuais sans réfléchir, commençai-je, tentant de maîtriser ma voix qui tremblait. Je ne me posais pas de question et suivais aveuglément les ordres la BPP. J'étais même la meilleure Chasseuse de tout le pays. Nous étions craints par tout le monde, mon frère et moi. Nous ne rêvions que d'ascension et de vengeance. »

Carly et David me dévisagèrent étrangement et échangèrent un regard inquiet. Ils chuchotèrent quelque chose à Kaden et je sentis son inquiétude me frapper de plein fouet. Clay, quant à lui, m'observait, une étrange expression peinte sur le visage. Était-ce de l'admiration que je lisais dans ses yeux ?

« J'agissais ainsi par pure vengeance car des personnes comme vous, et un peu comme moi maintenant, avaient tué mes parents, continuai-je, décidée à aller au bout de mes idées.

— Et en quoi cela est censé me convaincre de t'accueillir, Clark ? »

Je tiquai à nouveau au mot « Clark », mais respirai profondément afin de calmer le rythme effréné de mon cœur. J'essuyai nerveusement mes mains sur mon pantalon et lissai mon pull, comme j'avais tendance à le faire autrefois avant mes réunions avec Monsieur Reichd. Un nœud se forma dans mon estomac et je sentis mes sens s'intensifier. J'espérais ne pas avoir tout gâché.

Kaden s'approcha de moi, m'apaisant de sa simple présence. J'étais tellement épuisée que j'atais à deux doigts de perdre le contrôle, comme je l'avais fait avec David quelques jours plus tôt. Je déglutis et poursuivis :

« Puis j'ai rencontré Kaden. Et là, tout a changé... »

Je regardai l'intéressé et souris, laissant ma phrase en suspens. Clay hocha la tête pour m'inciter à poursuivre. J'avais réussi à capter son attention. Il semblait avoir compris où je voulais en venir. Même s'il était insupportable, il semblait loin d'être bête.

« J'avais déjà des doutes quant aux intentions de la BPP. Et croyez-moi, je n'essaie pas de me faire pardonner. Je ne regrette pas ce que j'ai fait par le passé parce que je l'ai fait en pensant que c'était juste. »

Kaden grogna et serra les poings derrière moi. Évoquer mon passé n'était jamais facile.

« J'ai toujours agi par justice et équité. »

J'enlevai mon pull bordeaux, dévoilant ma Marque aux reflets verts.

« Ce n'est pas parce que je suis née avec ça, dis-je en désignant le Centre de ma Marque, que je suis obligée de faire ce pour quoi je suis née. Je suis maître de mon destin. J'ai le droit de le changer. Et ma Marque en est la preuve. »

Clay hocha la tête et m'étudia de près. Il semblait surpris par mon cran et curieux de découvrir mon tatouage. Il s'approcha de moi, examina mon bras et se permit même de soulever la bretelle de mon top gris pour dévoiler complètement ma Marque. Kaden grogna, possessif. Clay leva les yeux au ciel et continua d'observer mes dessins.

« Même dans l'obscurité la plus épaisse, il y a de la lumière. Et quand il y a de la lumière, il y a de l'espoir, murmurai-je pour que lui seul l'entende. »

Clay passa son doigt sur mon dessin le plus récent. Son toucher irrita un peu ma peau encore sensible. Il y a deux jours, après mon altercation avec David, une magnifique colombe était apparue sur ma clavicule gauche, signe de la paix. J'attendis qu'il ait fait le tour de mes tatouages, lui laissant le temps d'appréhender la chose. Quand ses doigts entrèrent en contact avec mon Centre, la lueur verdâtre gagna en puissance, le faisant reculer légèrement. Il parut surpris, effrayé même. Je restai impassible, lui montrant qu'il ne courait aucun risque. Je vis dans ses yeux perçants qu'il paraissait étonné par la singularité de ma Marque. Il observa le « X » calligraphié sur le haut de ma main avant de poser ses yeux sur Kaden. Il toucha à nouveau ma peau et suivit les longues volutes verdâtres tout en lisant les quelques phrases en langue inconnue qui s'étaient gravées sur mes épaules et mon dos. Il hocha la tête, concentré. Il sembla comprendre ce que ces symboles signifiaient, ce qui titilla ma curiosité, et cela le rassura.

« J'ai changé, ajoutai-je d'une voix plus rauque que je ne l'aurais voulu, l'arrachant à sa contemplation. Ma Marque le prouve. Je ne suis plus sous les ordres de la BPP. Je suis mon cœur et je fais ce qu'il me semble être juste. Et ce que la BPP fait n'est pas juste. Nous devons mettre un terme à cela. »

Je regardai Kaden. Je pus lire dans son regard un mélange de fierté et de satisfaction. Il savait tout aussi bien que moi que nous étions en train de gagner la bataille. Clay finit par reculer et je remarquai à ses traits qu'il était moins sur ses gardes.

« Je suis liée à Kaden. Cette chose qui nous unit nous échappe. C'est unique et particulier. Ce n'est pas quelque chose que je simule ou que j'ai créé. Je suis de votre côté. »

J'étais de plus en plus convaincue par ce que je disais. Clay gardait toujours le silence, acquiesçant à tout ce que j'ajoutais.

« Je suis comme eux, et comme vous en même temps, précisai-je après quelques minutes de silence. Les gens ne sont pas foncièrement bons ou mauvais. Le monde n'est pas noir ou blanc. Il y a toujours des nuances. »

Carly me regardait en souriant. Ses yeux pétillaient et elle hocha la tête pour m'encourager.

« Mes parents ont été tués par la BPP, conclus-je finalement. Ils ont été assassinés par cette agence gouvernementale parce qu'ils en savaient trop. Ces gens tuent des innocents. C'est vrai, dis-je en ricanant, que j'ai plus de sang sur les mains que n'importe quelle personne de mon âge. Je suis une tueuse et je peux paraître mal placée pour me plaindre vu ce que j'ai fait par le passé. Mais mon passé ne me définit pas. Maintenant que j'ai pris conscience de ce qu'il se passait réellement, je ne peux pas continuer à vivre sans agir. Je veux que vous puissiez retrouver vos familles et vos maisons. Je veux que vous retrouviez ce que j'ai moi-même perdu. »

Je redressai la tête et fixai Clay dans les yeux. J'avais abattu toutes mes cartes. Soit il m'acceptait, soit il me rejetait. Mais je ne pouvais rien faire de plus pour le convaincre.

Il s'approcha en souriant. Son sourire était sincère, serein. Je retins mon souffle, ne sachant pas ce qu'il me réservait. Il tendit sa main devant lui, attendant que je la serre. Je fus si surprise par son geste que je la fixai pendant quelques instants. Finalement, sortant de ma torpeur, je l'attrapai fermement. Nous échangeâmes une poignée de main sèche et dure sous le regard étonné de tous ceux qui se trouvaient sur la grande place. Il me toisa froidement avant de m'annoncer :

« Bienvenue chez vous, Lili. »

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Voici la fin du chapitre 19 !

 > Que pensez-vous de ce fameux Clay ?

 > Lili a-t-elle eu raison de se mettre à nu devant un être aussi mystérieux ?

 > Les habitants du Repaire ont enfin un nouveau "home-sweet-home". Mais pour combien de temps ?

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LosUnivers

Publié le 13 mai 2018 / Modifié le 07 septembre 2022

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