Chapitre 10.2
Je me trouvais toujours dans un coma réparateur et une vague de souvenirs me submergeait. Je me sentais agréablement bien. Apercevoir mes parents... Je sentis une larme couler sur ma joue, mais j'étais incapable de l'essuyer. Ces réminiscences concernaient essentiellement mon enfance. Voir le visage de ma mère après tant d'années, sentir sa main dans la mienne... J'aurais tellement voulu passer plus de temps avec elle, mais je ne contrôlais rien. Les souvenirs s'enchaînaient comme dans un kaléidoscope. Je me revoyais petite, suivre les pas de mon frère. Je me remémorais les discours incessants de mon père louant les pouvoirs des Chasseurs et l'importance de La Brigade des Phénomènes Paranormaux. Pourtant, ce dernier souvenir que j'avais eu avec ma mère m'avait marqué. J'avais complètement oublié ce qu'elle m'avait dit à propos de mon collier. Moi qui le pensais détraqué... Peut-être avait-il seulement essayer de me prévenir que Kaden n'était pas humain ? Ma Marque ne s'était jamais illuminée parce qu'il était sous forme humanoïde. Mais mon bijou, lui, l'avait senti. Pas tout le temps. Mais quelques fois, le collier avait réagi. C'était lui qui était là, dans le couloir de l'école, lorsque mon bijou m'avait brûlé et que ma Marque s'était fortement illuminée. Je me remémorai tout ce que ma mère m'avait ensuite révélé. J'avais été tellement aveuglée par la rage suite à l'assassinat de mes parents que je n'avais pas une seule seconde repensé à tout cela.
Alors quelle ironie de m'en souvenir maintenant ! Pourquoi n'y avais-je pas songé plus tôt ? Jamais je n'aurais éliminé autant d'innocents. Et cet enfant... Une seconde larme dévala ma joue sans que je puisse l'essuyer. Je venais seulement de comprendre que la BPP utilisait sans scrupules le talent des Chasseurs depuis des années alors que ma mère m'avait prévenue depuis le début. Je n'arrivais pas à y croire. J'avais été si naïve. Monsieur Reichd avait utilisé ma colère pour me transformer en véritable arme nucléaire.
Je ne protégeais pas les humains. J'exterminais les non-humains.
Cette pensée me retourna l'estomac. Maintenant que je savais que nous avions été utilisés, un trou béant s'était formé dans ma poitrine. Je me sentais vide. Même si cela faisait quelque temps que je doutais de notre fonction au sein de la BPP, jamais je n'aurais pu imaginer que nous étions en réalité des monstres, mon frère et moi. Mon cœur se serra quand j'en pris conscience. Je me maudissais tellement. Pourquoi ne m'en étais-je pas rendu compte plus tôt ? Tout semblait pourtant si évident. J'avais toutes les clés en mains. Depuis le début, toutes les preuves étaient sous nos yeux. Mais pas un seul instant, je n'avais vu plus loin que le bout de mon nez.
Ma gorge se serra et je n'avais qu'une envie : me rouler en boule et pleurer pendant des heures, voire des jours. Toutes ces vies que j'avais prises, tous ces êtres que j'avais tués en y prenant plaisir... L'échange que j'avais eu avec ma mère lorsque j'étais petite ne me quittait maintenant plus et restait bien imprimé dans ma mémoire. J'étais trop jeune pour le comprendre à l'époque, mais, maintenant, je saisissais tous les sous-entendus qui s'étaient glissés dans notre conversation. Depuis le début, elle me disait la vérité.
« Certaines personnes sont méchantes, d'autres sont bonnes, que nous soyons humains ou non ».
Cette phrase me tourmentait inlassablement. Ma mère avait compris ce qu'il se passait réellement. Mes parents avaient toujours su que la BPP manipulaient les Chasseurs. Ils se doutaient que tous les extraterrestres n'étaient pas dangereux. Ils avaient même tenté de nous inculquer cette notion dès notre plus jeune âge.
Maintenant, tout me semblait clair. Mon père avait toujours un éclat particulier dans les yeux lorsqu'il parlait avec conviction. Mais quand il nous rabâchait les oreilles avec ses discours pro-BPP lors des repas, cette étincelle semblait éteinte. Nos parents s'étaient sûrement efforcés de tenir de tels propos pour qu'on ne sache pas qu'ils doutaient. Si Monsieur Reichd avait compris que mes parents préparaient quelque chose... Un éclair de lucidité me frappa. On nous avait assuré que des aliens avaient sauvagement assassiné nos parents ce soir-là. Mais... Et s'il s'agissait en réalité de la BPP ? Et s'ils avaient découvert que mes parents ne croyaient plus en leur discours ? Mon monde explosa. C'était maintenant pour moi une certitude : la BPP avait éliminé nos parents. Et nous, nous avions suivi aveuglément ces hommes. Je me sentais idiote, responsable. Mais comment aurais-je pu savoir à cet âge ce qu'il se passait réellement ? Nous étions terrorisés mon frère et moi cette nuit-là. Après la mort de nos parents, nous avions été pris directement en charge par la BPP. C'était eux qui nous avaient élevés, eux qui nous avaient apporté une nouvelle famille. Alors comment aurions-nous un seul instant pu douter d'eux ?
Mon frère et moi n'avions jamais été aussi heureux que dans les quartiers de la BPP. Certains Chasseurs nous surnommaient même « les enfants prodiges ». Aucun d'entre eux n'avait commencé sa formation aussi jeune. Il n'était pas rare que des Chasseurs décèdent en mission. Mais ils n'étaient pas communs de se retrouver orphelins à notre âge. Alors la BPP nous avait pris sous son aile. Nous avions baigné dans leurs discours, leurs valeurs. Je me souvenais de l'euphorie que j'avais éprouvée lorsqu'on nous avait emmenés dans notre nouveau « chez-nous ». Dès le premier jour, j'avais assisté aux entrainements avec mon frère et j'avais éprouvé tant de gratitude. Maintenant que mes parents n'étaient plus là, je pouvais enfin devenir Chasseuse.
Mais aujourd'hui, rien que d'y penser, cela me donnait la nausée. Je prenais du plaisir à me battre jours et nuits pour parfaire ma technique. Je me délectais même du sang qui coulait sur le visage de mon adversaire lorsque nous étions en combat singulier. Lors des cours plus théoriques, je prenais un malin plaisir à étaler ma connaissance pour prouver que j'étais meilleure que mon frère, que les autres. Tous ces sentiments : la fierté, la rage, l'euphorie... Tout cela me semblait malsain à présent. Alors que nous pensions que la BPP nous aidait, elle avait en réalité profité de l'occasion pour nous manipuler. La mort de nos parents avait dû ravir les instructeurs. Les enfants sont tellement plus naïfs que les adultes.
Je me maudissais. Pourtant, je ne nous en voulais pas d'avoir cru si longtemps en la BPP, d'avoir cru que les Chasseurs sauvaient l'humanité. Nous n'aurions jamais pu sortir de l'engrenage dans lequel nous nous trouvions. Comment aurions-nous su qu'ils nous mentaient ? Nous les considérions comme notre famille. Ils nous avaient aidés, mon frère et moi, à nous relever après le drame. Le sentiment de culpabilité que je ressentais depuis des jours s'estompait peu à peu. Oui, nous avions sûrement tué des innocents. Mais maintenant, nous connaissions la vérité. Nous pourrions enfin agir correctement et réparer nos erreurs. Je pourrai me battre de manière juste, comme mon père le faisait, comme ma mère nous l'apprenait.
Pendant les minutes, les heures, les jours – je n'avais plus aucune notion du temps – qui suivirent, je voyageai dans mes souvenirs. Cela me permit de remettre en question tout ce qu'on m'avait appris jusqu'ici. Je me concentrai également sur Kaden. Depuis le début, il savait qui j'étais et ne m'avait pas rejetée, ni même tuée. Pourquoi ? Je le saurais peut-être si je me réveillais un jour.
Je fis le vide dans ma tête et tentai à nouveau d'émerger, sans succès. Mon corps ne me répondait toujours pas. Ce fut alors que je remarquai que l'odeur et la chaleur de Kaden avaient disparu. J'étais tellement préoccupée par mes pensées, emportée dans un maelstrom de souvenirs et de sentiments, que je m'étais refermée sur moi-même. Je me concentrai alors sur l'environnement qui m'entourait, mais je n'entendis et ne sentis rien. Serait-ce la fin ? J'eus horriblement froid tout à coup et je me sentis plus légère, comme si je flottais. Une lumière blanche et aveuglante perça les ténèbres qui m'entouraient et s'approcha soudainement de moi. Je me figeai. L'aura de bonté et de bien-être était trop loin pour que je puisse la toucher, mais je percevais des murmures. Petit à petit, je distinguai la voix de ma mère qui m'appelait. Mon cœur cessa de battre.
Maman.
Comment était-ce possible ? Je délirais. Soudain, je pris peur. Je tentai de m'extraire de cette pression surnaturelle, mais il était trop tard. J'étais happée par cet éclat de couleur blanche qui me parut soudainement horriblement glacial, entraînant une promesse de mort avec lui.
« Chérie, Lili. Tu dois m'écouter, m'appela une voix qui semblait être celle de ma mère.
— Maman ? répétai-je bêtement. »
Je ne comprenais pas. Je ne pouvais pas mourir. Pas maintenant. Je venais de découvrir la vérité. J'allais mettre fin à ce qui se tramait à la BPP. Je devais rester en vie. Que ferait mon frère si je le quittais moi aussi ?
« Écoute-moi bien, je n'ai pas beaucoup de temps, m'annonça-t-elle en avançant d'un pas, de sorte que je puisse enfin la voir. Tu vas bientôt partir. »
Après tant d'années, elle n'avait pas changé. Ses cheveux blonds tombaient de part et d'autre de son visage à la peau laiteuse, parfaite, et ses yeux bleus me perçaient de part en part, me clouant sur place. La chose qui me marqua le plus, ce fut son sourire qui avait disparu. Totalement. Pourquoi me regardait-elle ainsi ? Je m'étais souvent informée sur les expériences de mort imminente. Cette idée de vie après la mort m'intriguait. Mais maintenant que cela m'arrivait, je n'étais plus sûre d'être autant fascinée. J'avais froid. J'avais peur. Ma mère n'avait pas l'air accueillante. Je n'avais pas la moindre envie de la rejoindre sereinement. Cette expérience ne ressemblait absolument pas à celles décrites dans mes livres scientifiques. C'était loin d'être agréable. J'étais tétanisée.
« Lili, concentre-toi. Je n'ai pas beaucoup de temps, répéta-t-elle.
— Je ne vais pas mourir, n'est-ce pas ?
— Oh Lili, non. Sûrement pas maintenant, dit-elle en souriant légèrement. »
Je pensais que son sourire me rassurerait. Mais il n'en fit rien. Ma mère avait perdu cet éclat de vitalité qui brûlait dans ses yeux.
« Tu dois encore faire de grandes choses, Lili. Tu dois sauver le monde, ajouta-t-elle en me caressant doucement la joue. »
Son toucher me fit frissonner. Rien de tout cela n'était vrai. Ma mère était morte et rien au monde ne pourrait me la ramener. Je reculai et tentai de faire le vide dans ma tête, mais je n'y parvenais plus. La femme qui se tenait devant moi, la tête légèrement penchée sur le côté, ressemblait à ma mère. Mais je ne ressentais rien pour elle. Elle me paraissait étrangère.
Une douleur fulgurante me vrilla le crâne et je grimaçai. Qu'est-ce qu'il se passait ? Des flashs de couleurs firent disparaître ma mère et les cris des entraîneurs de la BPP m'assaillirent. Je hurlai avant de plonger dans de nouveaux souvenirs. Sauf que cette fois-ci, tout alla très vite. Je me vis avec Jase tirer sur des cibles, ramper, apprendre les différentes techniques de combats imposées... Je me revis assise sur une chaise, un homme posté devant moi me hurlant que je devais tuer tous les extraterrestres qui se présentaient à moi. Je vis les Chasseurs venir nous chercher, mon frère et moi, la nuit où mes parents avaient été assassinés.
Soudain, le visage de ma mère apparut devant moi :
« Reconcentre-toi, Lili. Tu n'es pas responsable, m'annonça-t-elle comme si elle savait que je me sentais coupable. La BPP t'a appris à agir comme cela. Elle t'a inculqué ces choses. On t'a fait devenir une Chasseuse, une vraie, comme tu le souhaitais lorsque tu n'étais encore qu'une petite fille, ajouta-t-elle en souriant, nostalgique. »
Je grimaçai. Les souvenirs douloureux de mon enfance à la BPP s'évaporèrent enfin et je me retrouvai à nouveau seule avec ma mère.
« Ce n'est pas grave, ma puce. Ne laisse pas à nouveau la haine t'envahir. Ton père et moi sommes morts pour une raison. »
Ma mère me regarda une dernière fois, sourit tristement et disparut. Je fus à nouveau plongée dans le noir, seule. J'avais toujours la sensation de flotter, mais, maintenant, j'avais mal. Des tonnes de questions vrillaient mon crâne. Jase avait-il lui aussi compris ce qu'il se tramait ? Depuis quand Kaden connaissait-il ma véritable nature ? M'avait-il parlé dans le but de me détourner de la BPP ? Plus rien n'était clair. Je ne savais plus où j'étais. J'avais l'impression d'être coincée dans mon propre corps. Je voulais me réveiller.
Tandis que je me battais pour sortir de ce coma et reprendre mes esprits, une seule chose me tourmentait : Kaden m'aimait-il réellement ou ne faisait-il que m'utiliser pour parvenir à ses fins ?
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Voici la fin du dixième chapitre. J'espère que ce petit passage explicatif vous a plu !
Et, bien entendu, je vous souhaite à toutes et à tous une bonne année ! Mangez bien, amusez-vous, ne buvez pas trop et soyez prudents sur les routes :D.
On se retrouve en 2018 pour un nouveau chapitre ^^.
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LosUnivers
Publié le 31 décembre 2017 / Modifié le 04 septembre 2021
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