Jour 4: De crocs et de poils
Le pommier d'amour avait, accrochées à ses branches, des billes de couleur.
Wolfgang les cueillait de sa main poilue, tout en prenant garde à ne pas en ingérer. Il avait appris d'expérience qu'il valait mieux ne pas goûter au jardin d'Agathe, car c'était grâce à lui qu'elle tuait. Enfin, pas directement. Contrairement à beaucoup de ses semblables, Agathe n'était pas vraiment une meurtrière: elle se contentait d'offrir le poison, et libre à l'acheteur d'en faire ce qu'il lui plaisait. Techniquement, elle n'avait tué personne.
Le loup-garou grimaça: l'argumentation fonctionnait bien mieux lorsque c'était Agathe qui la disait.
Qu'importe, Wolfgang la savait rieuse et généreuse, et c'était tout ce qui comptait. La bête récupéra le panier tressé par Agathe et s'aventura sur le chemin de la maisonnée, sourire aux lèvres. Elle serait contente, se disait-il, d'avoir ce qu'elle lui avait demandé. Elle serait heureuse, pensait-il, de voir que cette fois il ne s'était pas perdu dans son jardin de la taille d'une forêt. Comme à chaque nouveau jour, il oubliait que la dernière fois il avait fallu une dizaine de crépuscules avant qu'elle ne vienne le trouver; et encore, rien ne prouvait que c'était prémédité.
Après une heure de marche, le Soleil n'osait plus lever la tête au-delà de la cime des arbres.
Wolfgang pressa la patte. Celui qui n'était plus tout à fait humain, et ce depuis un moment déjà, sentait sous son pas la poussière terrestre valser, se compresser et repartir en fumée. Puis il sentit la boue et les flaques d'eau de la dernière expérimentation magique d'Agathe, et se dit qu'il aurait tout donné pour avoir, en cet instant, encore sa vieille paire de Doc Martens.
Il les portait encore, le jour où on l'avait transformé.
L'humain qu'il avait été s'ennuyait, dans ce nouveau quartier où les plus proches voisins était des vaches qui mâchouillaient les près. En y repensant, il y avait pleins d'idées à faire, mais qu'est-ce qu'on se fait chier quand on a dix-sept ans et une prison de cambrousse ! Et c'est quand on se fait le plus chier qu'on se met le plus en danger.
Il avait vu des ombres effrayantes courir sur les pins de la forêt. Des touffes de poils prises dans les branches mortes. Des vaches retrouvées éventrées. Puis était apparue Agathe. Agathe et ses sourires, Agathe et ses projets, Agathe et ses élixirs, Agathe et ses idées. Agathe et sa tignasse rutilante de dix-sept ans d'expérience.
Il y avait Pol, aussi, l'ancien propriétaire de la grange. Mais sur le moment, lui ne comptait pas.
Quand on tombe amoureux, on se fiche pas mal que notre bien-aimée ait kidnappé un fermier pour lui injecter on ne sait trop quoi dans l'espoir d'expérimenter sur sa nouvelle passion. Pour une année, Agathe avait adoré les loups. Et durant cette année, il avait voulu se faire remarquer.
On fait des choses stupides, parfois, mais l'animal qu'il était devenu n'avait jamais regretté.
Il avait pu voir Agathe chaque jour, et bien plus s'il le voulait. Elle lui souriait. Elle l'avait même nommé d'un affectueux sobriquet, que contrairement à son nom elle retenait: Wolfgang. Bon, Pol aussi avait été nommé Wolfgang, mais ça n'avait pas trop duré: il s'était empoisonné aux belladones. Et les années avaient fait oublié son cadavre enterré.
La chaumière fumante apparut, avec la chaleur réconfortant de ses mille bougies parfumées. Agathe adorait les bougies parfumées. Le loup lui en aurait bien offert, si on l'avait laissé en acheter. Malheureusement, les sac à puces n'étaient que rarement acceptés dans les supermarchés et en journée on avait besoin de lui. Agathe avait besoin de lui, alors il ne pouvait s'échapper.
Wolfgang déposa son panier toxique à l'entrée.
"Oh, merci Wolfgang !" S'exclama Agathe, sans se retourner.
Et aussitôt, le monstre sentit son cœur se réchauffer et palpiter. Tous les doutes qui auraient bien pu l'assaillir furent projetés à des kilomètres plus loin, là où il leur faudrait toute une année pour s'aviser de revenir. Oui, il l'aimait. Il l'aimait autant que l'on puisse aimer un être. Il l'aimait de son cœur d'humain et de son cœur de loup.
Mais pour Agathe, il n'était fait que de crocs et de poils.
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