J'écrase mon mégot entre mes doigts, en ignorant la douleur de la brûlure. Les yeux toujours rivés sur ta pierre tombale, je te toise. Tu n'étais qu'une petite frappe – à peine revendeur, pas même consommateur. Ton CV de rue ne brillait d'une lueur obscure que grâce à tes liens au monde du proxénétisme – liens faibles puisque tu évitais comme la peste de t'impliquer dans les affaires de ton géniteur.

Les filles ne tombaient pas en avalanche sous ton charme, contrairement à ce que je pouvais penser à l'époque. J'en suis consciente maintenant, au moins. C'est drôle, nous étions au lycée quand tu avais fait de moi ta proie. Tu me tournais autour. Je me laissais fondre. Mais ce verbe est synonyme de « disparaître derrière ta silhouette ».

Je t'ai surpassé, Petite Frappe. Je suis mieux que toi, et que tout ce que tu aurais pu aspirer de ton vivant. Cela dit, ma supériorité ne fait pas de doute puisque c'est moi qui suis vivante et toi mort. Et vois-tu, la mort est ton échec le plus indélébile.

Tu avais disparu de ma vie – du jour au lendemain. Deux ans se sont écoulés avant que tu ne remontres un signe de vie. Pendant ces deux années, je me suis entraînée nuit et jour. Je ne m'attacherais plus. Je ne m'attacherais pas, à ton instar !

Tu sais, Petite Frappe, tu étais devenu mon modèle. Tu brillais de ton absence. Je me suis endurcie, je suis devenue une séductrice aguerrie, qui a fait succombé sans effort femmes et hommes. Je me suis endurcie, j'ai obtenu une position plus haute que la tienne. Je suis devenue technicienne chimiste pour l'industrie illégale pour qui tu travaillais. J'ai grimpé les échelons.

J'ai fais comme toi, j'ai déployé mon aura sombre, irrésistible. J'ai marché dans les traces de pas – du moins c'est ce que je croyais. Tes traces se sont effacés avec la pluie et le temps a naturellement fait son œuvre. Je suis allée beaucoup plus loin que toi. Mais tu as été mon modèle, Petite Frappe ; et tu le resteras. C'est pourquoi je suis la dernière à penser à toi, que je suis la seule à me rendre sur ta tombe.