XIV • Banquet mortel

Une immense salle vide. Un carrelage si clair qu’il paraissait translucide, des lustres en cristal, de magnifiques fresques ornées de motifs floraux et de feuilles d’or. Un buffet recouvert d’une nappe blanche avait été placé dans un coin. Des chandelles y avaient été déposées et l’on pouvait apercevoir des candélabres en argent et aux flammes bleutées disposés un peu partout dans la pièce. 

De toute évidence, il s’agissait d’une salle de bal et le riche décor que pouvaient contempler les domestiques ne laissait pas de doute quant à la classe sociale des invités. Ces derniers entraient tout juste dans la salle, tous vêtus de robes de satin ou de soie étincelantes, incrustées d’or ou de diamants, ou de tenues de soirées élégantes fais dans les tissus les plus coûteux pour certains.

Comme chaque année, l’Assemblée des Vampires et des Mages se tenait au Manoir des Anderson. Célèbre et noble lignée magique, les Anderson étaient réputés pour les nombreux Vampires présents dans la famille. La magie jouait également son rôle quant à leur bonne réputation au sein de la haute société. 

Accoudé dans un coin sombre de la pièce, Archibald Anderson, tout juste âgé de 15 ans, regardait ces gens s’échangeaient des banalités, des verres remplis de sang dans les mains des uns et des coupes de champagnes pour les autres. Entre les courbettes, les salutations, les belles paroles pour s’amadouer les uns et les autres, Archi avait l’impression que la soirée allait être interminable. Fort heureusement, lui et Tora avaient prévu de s’éclipser après que toute la famille Anderson aurait fait une apparition sur la piste de danse. 

Tora était la petite sœur des faux-jumeaux Archibald et Majvor Anderson. Seule fille dans la fratrie, elle avait 13 ans. Elle ressemblait en tout point à son grand frère. Même teint pâle, mêmes prunelles couleur d’encre, idem pour ses cheveux qu’elle portait longs et lisses, contrairement à Archi qui les avait toujours ondulés. 

Archi se sentait oppressé dans cette ambiance où tout n’était que jeu de regards. Chaque œil était braqué sur un invité ou plus, à l'affût du moindre faux pas, de la moindre erreur, de la plus infime imperfection qui ferait, aussitôt remarqué, l’objet des critiques et des jugements. 

Archi aurait aimé pouvoir fuir. Fuir loin, très loin. Partir ailleurs. N’importe où. Fuir avec Tora. L’emmener loin de cette famille où ils étouffaient, tous les deux. N’importe où, pourvu qu’il n’ait pu à s’incliner devant le moindre petit bourgeois. Partir quelque part où il n’aurait pas à jouer un rôle pour pouvoir exister. Aller dans un endroit sûr, réconfortant, rassurant où il pourrait être lui-même. 

Partir. Loin de leurs regards, loin de leurs jugements. 

La scène se flouta sous ses yeux et sembla même accélérer dans le temps, comme un film qu’on aurait fait avancer. 

Archi se retrouva sur la piste de danse, au cœur même de la salle. Une jeune fille aux cheveux roux flottant dans l’air. Aux yeux marrons et au teint clair. Elle portait une magnifique robe blanche ornée de roses rouges artificielles qui venaient décorer sa tenue. Il s’agissait de Moïra McDowell. 

La scène changea à nouveau, dévoilant cette fois-ci un groupe de Vampires qui étanchaient leur soif de sang, vidant des dizaines de verres contenant le précieux liquide écarlate. Archi et sa petite sœur passèrent devant eux avant de quitter la pièce en courant. Ils n’étaient plus au manoir. Ils passèrent devant des squelettes animés, des morts-vivants et des revenants qui faisaient la fête autour d'une grande table où se trouvaient toute sorte de nourriture, divers plats et boissons. La musique résonnait, contrastant fortement avec la tendresse de la harpe ou la douceur des airs de piano que devaient jouer les musiciens en ce moment-même, au manoir des Anderson. 

Archi fit tournoyer Tora qui riait. Tous deux avaient l'impression de revivre dans ce cabaret. Le Banquet Mortel était un lieu rempli de morts et pourtant plein de vie ! 

Le frère et la sœur étaient plus que ravis de s'être échappé de la demeure familiale pour participer à la fête. Ici, Archi savait qu'il pouvait pratiquer sa magie sans jugement. Il joua avec les Nécromanciens puis les Sorcières. Tora et lui continuèrent à danser,  à rire et chanter jusqu'au bout de la nuit. 

Ce n'est qu'à l'aube qu'ils rentrèrent discrètement, veillant à ne réveiller personne, et surtout pas leur père !

La scène accéléra à nouveau mais beaucoup plus que les fois précédentes. 

Un an s'était écoulé. Archi, désormais âgé de 16 ans, était dans le bureau de son père. 

Derrière lui, Majvor attendait, mal à l'aise. Il ne dirait rien. Comme toujours. Lui, le fils prodige, l'enfant parfait, était traité comme un vrai petit prince et n'avait pas à souffrir des critiques des membres de la famille Anderson. 

Se tenant droit, les mains dans le dos, Archi fixait le sol, n'osant lever la tête par crainte de croiser le regard du Vampire qu'il détestait le plus. Son père… 

- Tu es la honte de notre famille ! criait celui-ci, visiblement en colère.  Non seulement, tu n'es pas foutu capable de te montrer exemplaire envers les autres mais en plus, il a fallu que tu sois un pratiquant des Forces Noires ! Un Mage Noir ! Dans ma maison ! Au sein de ma lignée ! Tu ne pouvais pas être apte à exercer la magie sous sa forme la plus pure, hein ?! Forcément, il fallait que tu sois ce genre de magicien ! Et puis, tu n'es même pas capable d'obtenir de bonnes notes à l'Académie ! Si au moins tu faisais un effort, peut-être que je pourrais tolérer tes petites escapades nocturnes mais non, même une chose aussi simple que cela t'est impossible ! 

Archi sentait la colère enflée dans son cœur. Elle l'oppressait, le comprimait, inondant peu à peu tout son être. Il était une bombe à retardement et bientôt, il exploserait… 

- Tu sais, Archi, parfois j'en viens même à me demander si tu es vraiment notre fils !

Archibald Anderson ne répondit rien. A la place, il sentit une vague d'émotions le submerger. De la douleur. De la colère. De la tristesse. De la jalousie. De la rancœur.
Le tout formait une affreuse boule d'émotions qui s'était logé dans son cœur, formant un mal-être tenace qui hantait ses nuits, ravageait son quotidien et assombrissait ses pensées pour faire de son esprit un nid de ténèbres…

***

- Archibald ! appela quelqu'un. Oncle Archi ! 

Archibald sursauta et ouvrit les yeux. 

- Oncle Archi ? appela à nouveau la voix d'un air inquiet. 

Bon sang, il s'était endormi !

Il tourna la tête et aperçut alors Lewis. 

Il savait comment différencier les triplés. James avait les cheveux ébouriffés un peu plus longs que ses frères. Ewen les avait plutôt lisses et lui couvrait la nuque. Enfin, Lewis était le seul à avoir la chevelure un peu ondulée. 

Le petit garçon avait d'ailleurs reculé pour lui laisser de l'espace mais Archibald remarqua qu'il tenait toujours sa main griffue dans la sienne, nerveux et anxieux à l'idée qu'il aille mal. Cela toucha Archi dont le cœur venait déjà d'être mis à rude épreuve par son cauchemar. 

Ces souvenirs cesseraient-ils de le hanter un jour ? 

- Lewis…, murmura-t-il d'une voix rendue tremblante par l'émotion. 

- Ma…Maman m'a dit qu'il fallait te prévenir quand...quand le repas serait prêt…, expliqua le petit Lutin en se mordillant la lèvre.

Il semblait inquiet à l'idée de pouvoir potentiellement se faire gronder pour être entré dans le bureau de son hôte et Archibald jugea bon de le rassurer.

- Tout va bien, Lewis. Tu n'as rien fais de mal, lui souffla-t-il avec douceur. 

- Maman, elle a dit que tu laissais personne entrer ici sans autorisation normalement…, murmura le petit Lutin. Tu n'es pas en colère contre moi ?

- Non, bonhomme. Tu étais inquiet car je ne répondais pas mais maintenant tout va bien !

- Je...je t'ai entendu pleurer...et gémir… On aurait dit que tu avais très mal quelque part ! Mais promis, je ne dirais rien à personne ! 

Archi offrit un léger sourire à Lewis et serra doucement sa main contre la sienne, en veillant à ne pas le blesser avec ses griffes noires.  

- Je t'assure que tout va bien, c'était juste un mauvais rêve, lui dit-il en tentant de paraître crédible.

Si Lewis ne sembla pas le croire, il se garda bien de le dire et se contenta d'examiner Archi du regard avant d'hocher la tête, visiblement satisfait de son inspection. Son geste amusa quelque peu la créature et celle-ci remarqua alors que le petit garçon n'avait pas l'air surpris de voir sa véritable apparence.

Moïra leur aurait-elle expliqué ? se demanda-t-il. 

Comme s'il avait deviné son interrogation, Lewis lança d'une voix un peu plus assurée :

- Maman nous a dit que t'étais pas un vrai Gnome. Que tu pouvais changer d'apparence et que ça, c'est le vrai toi. 

- Elle t'a dit pourquoi je faisais ça ? voulut savoir Archi. 

- Non. Elle a dit que ça faisait partie de tes secrets. 

La réponse du petit tira un sourire à Archibald. Lewis lâcha la main d'Archi et lui dit :

- Allez, viens ! Maman a fini de préparer le repas ! Faut vite manger avant que ça refroidisse ! 

Archibald sourit et, après avoir examiné son reflet dans le petit miroir, il arrangea ses cheveux, vérifia que ses yeux n'étaient pas rougis par les larmes, puis partit rejoindre Moïra et les enfants, faisant bien attention à ignorer les dernières paroles de son père qui résonnaient encore dans son esprit… 

Voici un nouvel extrait du roman sur Archi et les triplés où, à travers un rêve, on découvre un pan du passé d'Archi. Qu'avez-vous pensé de tout cela ?
Je suis curieuse de savoir si vous avez un avis sur les personnages mentionnés, surtout par rapport au père d'Archi et Archibald lui-même. 🙂

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