XI • Rendez-vous en Terre Inondée
Frissonnant, Archibald Anderson referma la porte de sa maison après avoir été faire son habituelle patrouille autour de la Ruine. La Roue était toujours à sa place, elle ne bougeait pas mais le maître des lieux n’était pas serein pour autant. La tempête allait probablement faire trembler les arbres et Moïra ne pouvait pas prendre le risque de rentrer chez elle par un temps pareil.
En apprenant que leur mère allait devoir rester pour la nuit, les triplés n'avaient pu s'empêcher de soupirer de soulagement, ravis de ne pas se retrouver seuls avec cet étrange personnage qu'était "Oncle Archi" pour eux. Le temps d’une soirée, ils allaient pouvoir profiter de la présence rassurante de leur mère.
La peur passée, ils s'étaient changés et, en voyant leurs pyjamas blancs ornés de petites têtes grises de Trolls en guise de motifs, Archibald n'avait pu s'empêcher d'esquisser un léger sourire, lorsqu'il était passé devant leurs chambres, avant de s'enfermer dans son bureau.
Moïra ayant insisté pour préparer le repas du soir malgré les protestations d'Archibald, celui-ci s'était résigné à la laisser faire comme chez elle.
Une fois isolée des autres, la créature soupira, les yeux clos, et son apparence changea.
Du Gnome d'une cinquantaine d'années aux airs de vieux grincheux ne restait plus rien si ce n'était une paire de griffes noires et ses iris couleur d'encre.
A la place, il y avait un homme qui ne paraissait pas avoir plus de 35 ans, aux cheveux noirs ébouriffés qui encadraient un visage plutôt agréable à regarder. Un nez fin et des sourcils qui l'étaient tout autant, il avait une peau assez pâle sans pour autant lui donner un teint maladif.
En observant durant quelques instants son reflet dans un petit miroir posé sur un meuble en bois de chêne, Archibald Anderson remit quelques-unes de ses mèches sombres en place, effleurant ses oreilles pointues au passage.
Le changement d'apparence n'était guère épuisant pour lui et était même d'une simplicité enfantine.
Il s'agissait du premier pouvoir qu'il s'était découvert. Qu'elle avait été sa surprise en se réveillant un jour avec l'apparence de Monsieur Pétrus, son professeur d'école ! Même sa voix en avait été modifiée !
A ce souvenir, Archibald eut un petit sourire avant de poser son regard sur son bureau.
Grande, la pièce principale devait bien faire aux alentours des 30m². Plus qu’un bureau, l’endroit avait tout l’air d’un refuge. Plusieurs rouleaux de parchemins s’étalaient sur le bureau en bois sombre. Un encrier qui n’avait pas pas été refermé correctement était posé dans un tout petit coin du meuble, une plume de corbeau taillée pour pouvoir écrire reposait sur une pile de vieux bouquins dont certains étaient encore ouverts mais mal empilés les uns sur les autres. A droite, une grande et large bibliothèque mangeait une grosse partie du mur recouvert d’un papier-peint rappelant la forêt. Chaque rangée semblait correspondre à un genre littéraire ou à une quelconque catégorie, voire hiérarchie que seul Archibald connaissait par cœur et pouvait décrypter étant donné que chaque indication pour les différentes rangées étaient écrites dans un langage codé qu’il avait mis au point. Au fond de la pièce, il y avait deux petites marches d’escalier qui permettaient d’accéder à la partie “atelier” cachée uniquement par un pan de mur.
On toqua à la porte et Archibald, perdu dans sa contemplation des lieux, sursauta avant de se passer la main dans les cheveux. De manière inaudible, il récita un sort et la pièce fut instantanément rangée en plus de masquer les titres véritables de sa collection de livres et grimoires, cachant par la même occasion le vrai contenu de ses derniers.
- Je peux entrer, Archi ? demanda quelqu'un.
Il identifia la voix de Moïra et alla ouvrir la porte.
- Entre, dit-il avec un léger sourire.
Il recula pour la laisser passer et la Lutine lui offrit un doux sourire qu’il voulut effacer tant la tendresse qui se dégageait d'elle lui faisait mal au cœur, sachant pertinemment qu'elle n'avait jamais partagé les sentiments qu'il avait longtemps nourri à son égard…
- Décidément, c'est mieux rangé que la dernière fois que je suis venue te voir ! s'exclama la mère des triplés en souriant.
Moïra s'avança, laissant la porte ouverte derrière elle et effleura le dos de couverture de quelques livres bien rangés dans la bibliothèque d'Archibald.
Ce dernier, quelque peu nerveux, la laissa faire. Il restait debout, bien droit, attendant qu'elle lui explique la raison de sa venue dans cet endroit qui était aux yeux d'Archi comme un sanctuaire, un lieu sacré, un temple du savoir et de tant d'autres choses.
- Tu comptes le leur dire ou je dois m'en charger ? finit par lancer Archi en croisant les bras avant de river son regard dans celui de Moïra.
Cette dernière, mal à l'aise, se tritura les mains et répondit :
- Écoute, Archi… Je...je ne crois pas que dire aux enfants que tu es à moitié Vampyr soit une bonne idée… Ils ont l'air assez apeurés…
- Je ne parlais pas de ça, le coupa l'hybride. Tes enfants ne savent rien de moi. Ils ne sont même pas au courant que toi, moi et Arthur étions proches ! Savoir cela les aurait au moins mis un tout petit peu en confiance, à défaut de les rassurer !
A l'évocation du nom de son défunt mari, Moïra baissa la tête, les larmes aux yeux. Archibald sentit son cœur se serrer en la voyant touchée par ses mots. Il s'en voulut et s'approcha d'elle avant de tendre sa main vers la sienne. En serrant doucement sa paume contre la sienne, il fit attention à ne pas la blesser avec ses petites griffes noires.
- Je suis désolé…, murmura-t-il avec peine. Je n'aurais pas dû...
- C'est rien, l'interrompit Moïra en relevant la tête.
Elle avait les yeux légèrement rougis. Un sourire forcé ornant ses lèvres, elle poursuit avec calme et douceur :
- Tu n'y es pour rien, Archi. Je dois avouer que c'est compliqué pour moi comme pour les enfants depuis sa mort… Je n'arrive même pas à savoir lequel des triplés vit le plus mal la situation…
- C'est normal que ce soit dur, souffla Archi en la prenant doucement dans ses bras. Vous devez faire votre deuil à votre manière… C'est compliqué pour toute ta famille...et pour moi aussi...
Elle eut un petit sourire triste et serra brièvement Archibald dans ses bras avant que ce dernier ne la relâche doucement.
- Si tu savais à quel point, c'est compliqué pour moi d'interagir avec eux… James ne le montre pas mais, ses farces, ses mauvais tours, tout ça, il le fait pour avoir de l'attention. On dirait presque qu'il cherche à combler un vide, un manque, et il rejette toute figure d'autorité en plus de se montrer provocateur… Il agit de cette façon depuis le décès d'Arthur et je ne sais plus quoi faire…
Archibald l'écoutait silencieusement, caressant de temps en temps le dos de la Lutine dans une faible tentative de réconfort.
- Ewen, lui, se contente de suivre James, de l'imiter parfois aussi. Il pleure quelques fois tandis que James, lui, cache sa douleur… Il est devenu très protecteur envers moi mais aussi envers ses frères. Si tu savais le nombre de fois où il s'est battu à l'école…
Archibald sourit légèrement en imaginant le gamin jouer les bagarreurs avec ses petits camarades. L'enfant lui avait plutôt l’air un peu effrayé par sa présence alors Archi avait un peu de mal à l'imaginer en train de se battre.
- Lui et James deviennent également un peu agressifs quand d'autres Lutins s'approchent de moi, lui avoua Moïra dans un murmure. Ils ont peur que je remplace leur père… Et puis, Lewis...Lewis, je ne sais plus du tout comment faire avec lui… Je n'arrive pas à communiquer avec mon propre fils ! Il s'est complètement renfermé sur lui-même et nos échanges ne durent généralement pas plus de dix minutes avant qu'il ne se mure à nouveau dans le silence… Il pleure beaucoup, fait pas mal de cauchemars et je ne sais plus comment l'aider dans la gestion de ses émotions tant elles me semblent décuplées…
- Eh, tu vas y arriver, lui murmura doucement Archibald. Tu es forte, Moïra. Vous allez traverser ça ensemble et, avec le temps, tout s'arrangera.
Moïra lui sourit et s'essuya les yeux en remarquant que des larmes s'étaient mises à couler.
- Désolée si je t'ai dérangé avec mes histoires, soupira-t-elle. J'avais besoin de parler…
- Ne t'excuses pas, répondit Archibald.
- Je vais vérifier que les enfants ne font pas de bêtises, fit la Lutine en s'approchant de la porte du bureau d'Archi. Je vais te laisser travailler en paix maintenant. Le dîner sera bientôt prêt !
Elle avait retrouvé son habituel petit air joyeux et Archibald ne put s’empêcher de sentir son cœur se serrer de douleur en la voyant porter ce masque de fausse joie pour ne pas que les enfants aient à la voir dévastée par la mort de leur père…
Moïra quitta la pièce en veillant à fermer la porte derrière elle, laissant Archibald seul. Ce dernier soupira et il partit s'installer dans la partie "atelier" des lieux.
Beaucoup moins grande que l'espace d'études où Archi s'adonnait à ses recherches magiques, cette partie-là comportait un autre bureau sur lequel reposait diverses petites créatures sculptées dans le bois ou la pierre. Une pile de lettres attendaient dans un coin du bureau. Une série d'étagères s'étendait sur plusieurs coins de murs où des carnets catégorisés selon les nuances de couleurs avaient été soigneusement rangés. Les espaces vides sur les étagères étaient comblés par la présence de plusieurs photos encadrées.
Archi se dirigea vers le bureau de son atelier et posa ses précieuses figurines sur une grande étagère où il entreposait ses créations.
La créature entreprit ensuite de faire un peu de rangement en commençant par la pile de lettres qui l'attendaient. Il rangea dans un tiroir du bureau celles qu'il comptait conserver car comportant un contenu important et jeta au feu de la petite cheminée celles qui ne valaient plus la peine qu'il les garde. Son regard fut alors accroché par une lettre en particulier.
Rendez-vous en Terre Inondée.
Voilà ce qu'il y avait d'inscrit sur l’enveloppe qui avait déjà commencé à jaunir. Archi pâlit en reconnaissant la lettre mais surtout l'écriture précipitée d'Arthur Davies…
Cette maudite lettre, Archibald Anderson ne la connaissait que trop bien et il savait pourquoi il se forçait à la garder…
Il s'agissait de la dernière missive du magicien Arthur Thomas Davies… La dernière lettre qu'il lui avait envoyée avant de mourir…
Il se souvenait encore de la raison qui avait poussé les Mages à envoyer Arthur là-bas. Cachés sous l'apparence de deux vieux Gnomes, Archibald et Arthur avaient déjà parcouru cette contrée. Seulement, ce jour-là, celui où tout avait changé pour les créatures magiques, Arthur Davies n'était pas revenu vivant de sa mission en Terre Inondée...
Archi ne put s’empêcher de repenser à ce que Moïra avait dit : Tu n'y es pour rien, Archi. Elle n'avait pas dit cela en parlant de la mort d'Arthur mais cette phrase résonnait encore dans l'esprit d'Archibald.
- Si seulement tu connaissais la vérité…, murmura-t-il pour lui-même, la voix serrée d'émotion. Tu ne dirais pas la même chose…
Ce maudit voyage en Terre Inondée avait arraché la vie à Arthur et Archibald n'avait jamais eu le courage de raconter ce qu'il s'était réellement passé ce jour-là… Ce jour où, lui, Archibald Anderson, aurait pu sauver la vie d'Arthur Davies…
Voilà la fin de ce nouvel extrait de l'histoire d'Archi et les triplés ! 🙂 Cette fois-ci, on est plus sur le point de vue d'Archi, on découvre son "refuge" mais aussi ses pensées.
Par rapport à l'image qui nous était donné de lui dans le 1er texte du Writober, que pensez-vous d'Archibald ?
Que pensez-vous de Moïra et de la relation entre ses deux-là ?
Un avis sur les triplés ?
La mort d'Arthur doit probablement vous intriguer, surtout au vu de la façon dont Archi en parle et y pense. 😁
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