VI • On a échangé nos tombes
Vincent patientait dans la file d’attente depuis une bonne quarantaine de minutes.
Il soupira.
- Chaque année, c’est le même bordel, marmonna-t-il en lançant un regard méprisant aux autres qui tentaient de contenir leur impatience et leur agacement.
Victor Richard était mort. Le teint blafard, les cheveux noirs courts et plaqués en arrière, il avait des yeux verts pâles. Grand, plutôt mince, il portait un simple pantalon et une chemise noirs ainsi que des chaussures de cuir assorties à sa tenue.
Il semblait se morfondre dans la file d’attente et plusieurs trépassés avaient une sale mine. La règle ici était simple : une fois l’âme du défunt arrivée à l’entrée du monde des morts, tous se voyaient attribués une tombe où ils pourraient se reposer pour l’éternité.
L’attribution d’une tombe dépendait de tout un tas de critères : date de décès, siècle d’appartenance (soit l’époque à laquelle avait vécu le défunt), classe sociale dans laquelle il avait été de son vivant, la liste de ses crimes et de ses bonnes actions, etc.
Victor jeta un coup d'œil aux autres défunts. Certains attendaient leur tour depuis 80 ans, d’autres un siècle et d’autres encore patientaient dans l’Allée de l’Au-Delà depuis plusieurs centaines d’années tant il y avait de trépassés…
Originaire du XIXème siècle, Victor en avait vu passé des morts…
Il avait été choqué et horrifié en entendant parler de la Première et de la Seconde Guerres Mondiales, et il avait d’ailleurs longtemps redouté de voir Hitler ou Staline débarqué dans l’Allée. De nombreux juifs et tziganes morts pendant la Seconde Guerre Mondiale avaient craint de se retrouver face à leurs bourreaux alors qu’ils n’aspiraient qu’à la paix et non à revivre l’enfer qu’avait été cette période historique trop sombre au goût de Victor Richard…
Ce dernier était bien content d’être décédé avant l’arrivée du XXème siècle car cette époque lui avait tout l’air d’être un véritable cauchemar.
Le trentenaire avait également eu vent de l’apparition du droit de vote pour les femmes et devait admettre que c’était un des changements qui l’intriguait quelque peu. A son époque, la politique était une affaire d’hommes après tout. Décédé en 1850, il avait à peine connu les débuts du droit à l’éducation pour les femmes. Il se rappelait en avoir été plutôt satisfait et avait même rencontré dans l'Allée de l'Au-Delà Jules Ferry qui s’était fait une joie de converser avec cette âme un peu sombre qu’était Victor.
Ce dernier avait découvert l’invention de la télévision, du téléphone portable, des ordinateurs et de tout autre gadget issu des avancées technologiques du XXème et XXIème siècles.
Le trépassé avait également fait la connaissance de quelques âmes du XXIème siècle et devait admettre que cette époque-là l’inquiétait autant que les périodes de conflits des années 1900…
Soudain, il perçut de l’agitation et mit fin à ses pensées pour se préoccuper de ce qui se passait derrière lui.
Un couple de personnes âgées essayait de calmer une jeune femme qui semblait en proie à la panique et au bord de la crise de larmes.
Encore une âme qui débarque…, comprit-il, las.
Il reconnut Monsieur et Madame Gonzalez. Intrigué par ce soudain divertissement, il tendit l’oreille pour suivre la conversation.
- Allons, ma chère, reprenez-vous…, disait Monsieur Gonzalez. Je reconnais que cette situation a de quoi être quelque peu angoissante mais ce n'est tout de même pas la fin du monde…
Victor ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire nerveux. Le couple de défunts le fusilla du regard et l’homme prit la parole.
- Ça vous fait rire ? Vous trouvez ça drôle ? râla-t-il.
Victor sourit et répondit calmement :
- Honnêtement ? Oui et non.
Madame Gonzalez soupira. Son mari allait sûrement encore se prendre la tête avec le Coeur de Pierre comme le disaient les défuntes qui considéraient Victor comme étant plutôt mignon.
- Votre incapacité à rassurer cette pauvre enfant vous rend ridicule, si vous voulez mon avis. Et cela m’amuse beaucoup de constater que vous êtes toujours autant dépourvu de tact qu’il y a 70 ans, lors de notre rencontre.
Outré, Monsieur Gonzalez marmonna quelque chose dans sa barbe grisonnante mais tous les défunts aux alentours pouvaient voir que la réplique de Victor ne lui plaisait pas.
- Mais d’un autre côté, je suis peiné pour vous, mademoiselle, reprit-il en tournant la tête vers la jeune femme.
Celle-ci, surprise qu’il lui adresse la parole, le fixa, les yeux rougis.
Encore larmoyante, elle avait des yeux bleu-gris, des cheveux blonds avec les pointes teintes dans un blond miel que Victor trouva intriguant. Il n’aurait su dire si c’était étrange ou si le mélange des deux couleurs sur sa chevelure était ravissant. Elle ne devait pas avoir plus d'une vingtaine d'années.
- Bref, bienvenue dans le monde des morts, ajouta Victor qui faisait déjà demi-tour pour regagner sa place dans la file. J'espère sincèrement que vous vous habituerez à votre nouvelle situation le plus rapidement possible.
L'homme bouscula un trépassé qui avait failli lui prendre sa place.
- Pierre, n'y pense même pas, dit-il d'un ton impérieux en rivant son regard dans celui du mort. Ça fait 70 ans que j'attends d'accéder au repos éternel, j'vais pas laisser un couillon comme toi me prendre une place qui me revient de plein droit.
Le dénommé Pierre s'excusa, gêné de s'être fait prendre. Ici, dans l'Au-Delà, on tenait énormément à obtenir le droit au repos éternel et personne ne se laissait prendre sa place car l'attente était déjà beaucoup trop longue au goût de tous.
Alors qu'il regagnait sa place, la file avança, se rapprochant de plus en plus du guichet où chacun recevait le numéro de sa tombe.
- Suivant ! lança une voix rauque un peu plus loin.
La jeune femme tout juste arrivée chez les morts courut vers Victor en criant :
- Attendez ! C'est pas possible ! Il y a forcément une erreur !
- Malheureusement, miss, la mort se trompe rarement, murmura Victor en lui jetant à peine un regard, s'approchant du guichet.
- Mais…, elle voulu dire autre chose mais l'émotion bloquait le son de sa voix.
Victor fut pris de remords en la voyant ainsi, au bord des larmes, l'air plus que bouleverser.
- Eh…ça va aller, vous verrez, on s'y fait…, dit-il dans une tentative maladroite de réconfort. C'est compliqué et douloureux au début si on est seul mais...si vous vous lier d'amitié avec quelques âmes, ça ira un peu mieux.
Il avait dit cela d'un ton doux et son air compatissant mit en confiance la jeune femme.
- Victor Richard, fit son interlocuteur en se présentant, la main tendu vers elle.
- En...Enchantée, répondit la jeune femme. Je suis Émilie. Émilie Blanchard.
Il lui offrit un petit sourire et inclina même un peu la tête avant de lui faire un baise-main et de lui dire poliment :
- Ravi de faire votre connaissance, mademoiselle Blanchard.
Émilie lui rendit son sourire, quelque peu gênée par ses manières qui trahissaient son appartenance à un autre siècle.
- Je…je peux vous poser une question un peu...délicate ? demanda-t-elle en tournant la tête vers lui.
Il sourit. Derrière eux, quelques défunts se plaignaient car Émilie avait dépassé tout le monde pour rejoindre Victor.
- Allez-y, lui dit ce dernier d'un ton calme.
- Qu'est-ce qui se passe une fois qu'on est...euh...mort ?
Cette fois-ci, Victor ne chercha pas à fuir son regard et riva ses yeux verts dans les siens.
- Vous voyez le guichet droit devant ? Le type qui s'en charge va sûrement pas tarder à prendre sa pause et c'est leur p'tit stagiaire qui va prendre le relais. Que ce soit les employés ou les stagiaires, tous sont formés pour accueillir les défunts. Ils ont tous nos dossiers. Ces derniers contiennent le récit de nos vies. Pas dans les moindres détails, bien entendu, ils préservent notre intimité. Tout ce qui intéresse les employés de la Mort — les Guides comme ils disent — c'est notre classe sociale, nos crimes ou nos mauvaises actions, l'époque d'où on provient, notre date de décès ou quelques autres détails du même acabit.
- Et...à quoi ça leur sert ? osa demander Émilie.
- Ça leur permet de pouvoir nous attribuer une tombe qui nous correspond.
- Une...une tombe ?!
Elle était devenue encore plus pâle qu'elle ne l'était déjà à son arrivée et Victor se mordit la lèvre, gêné de l'avoir effrayé.
- On ne va pas nous enterrer si c'est ce qui vous inquiète ! se reprit-il. Ici, les Guides emploient le terme de "tombe" pour parler de la "maison" qui nous sera attribuée. C'est notre "Dernière Demeure" comme ils disent. C'est là où nous allons vivre une fois que nous aurons dépassé la Place de la Mort. Après, nous pourrons "vivre" comme autrefois. La seule différence, c'est que les vivants ne seront pas là…
Il avait prononcé la dernière phrase avec un brin de tristesse et Émilie eut de la peine pour lui.
Elle le remercia et ressentit soudain le besoin de parler de son trépas.
- Vous...vous souvenez de comment vous êtes...arrivé ici ? demanda-t-elle avec hésitation.
Le regard de Victor changea pour s'assombrir et le sourire qu'il s'était efforcé de lui offrir disparut au profit d'une mine chagrinée.
- Malheureusement, oui… Profitez du fait que vous, vous ne vous en souvenez pas encore. La mémoire vous reviendra dans quelques jours… Sachez que le jour où les réminiscences commenceront, je serais là pour vous si vous avez besoin de quelqu'un à qui parler.
Elle sourit tristement et le remercia à nouveau.
- Euh...excusez-moi, fit timidement un des employés.
Les deux trépassés fixèrent le gringalet en face d'eux. Avec son uniforme, il avait plus l'air d'un employé de la Fnac qu'un type travaillant pour la Mort…
- Vous êtes ? demanda l'employé en regardant l'homme.
- Victor Richard.
Le jeune Guide ouvrit un fichier dans son ordinateur et lu à voix haute :
- Victor Alexandre Thomas Richard, c'est bien cela ?
- Oui, répondit lassement le défunt.
- Siècle d’appartenance : XIXème. Classe sociale : bourgeoisie ?
Le trentenaire hocha la tête en signe d’affirmation, invitant silencieusement le Guide à poursuivre sa lecture du dossier.
- Né le 15 Octobre 1820 et décédé le 3 Juillet 1850, c'est cela ?
- Exact.
A côté de lui, Victor devinait qu'Émilie était tendue et nerveuse, probablement parce que la seule personne à lui faire la conversation allait bientôt être amenée à sa "tombe" contrairement à elle qui devrait attendre son tour comme tous les autres.
- Richard et Blanchard. Vous avez remarqué, nos noms de famille riment ?
Elle tenta de rire mais cela sonnait beaucoup trop faux et la pauvre avait conscience que sa remarque était idiote.
- Oui, j'ai remarqué, répondit tout de même Victor avec beaucoup de douceur.
Il lui prit même la main pour la rassurer et elle se laissa faire docilement.
- Tout ira bien, mademoiselle, lui assura-t-il. Vous verrez, on perd rapidement la notion du temps, ici. L'attente vous sera probablement moins longue que ça n'a été le cas pour moi. Et puis, il y a toujours les Gonzalez. Certes, le vieux grincheux ne représente guère la compagnie idéale mais en comparaison, son épouse est un ange.
Elle sourit et, pendant que l'employé semblait perdu au milieu de son fichier Excel, cherchant le nom de Victor et la tombe qui lui avait été attribuée, elle murmura :
- Vous êtes gentil mais je ne crois pas que cela sera suffisant pour me calmer...
Il pressa sa paume contre la sienne et Émilie fut surprise de remarquer qu'il avait la peau chaude.
- Vous croyiez que les morts avaient le corps glacé, peut-être ? lança-t-il comme s'il avait lu dans ses pensées.
Il y avait comme de la taquinerie dans le son de sa voix et son sourire chaleureux lui fit chaud au cœur.
- On dit que la peau se refroidit quand on est mort, lança-t-elle en guise de réponse.
Elle lui rendit son sourire et ils restèrent ainsi, main dans la main, à attendre que le jeune employé de la Mort s'y retrouve dans le long tableau Excel qui affichait les tombes attribuées à chaque trépassé.
- Alors, euh...Victor Richard...ou Blanchard, je ne sais plus trop…, marmonna l'homme, le nez presque collé à son écran.
- C'est "Victor Richard", imbécile, soupira le principal concerné en levant les yeux au ciel.
Émilie sourit devant son agacement. Elle espérait déjà secrètement que son tour viendrait rapidement afin de ne pas trop attendre pour rejoindre véritablement le monde des morts.
L'employé de la Mort mit fin à ses pensées en s'exclamant :
- Ça y est ! J'vous ai trouvé !
- Pas trop tôt…, murmura Victor.
- Bon alors...euh...tout est en règle, votre dossier est bien validé et vous avez rempli toutes les formalités administratives nécessaires à l'attribution de votre tombe. Votre emplacement est le numéro 172 ! Nous espérons que l'attente n'a pas été trop longue et vous souhaitons un joyeux séjour dans le monde des morts pour l’éternité ! Reposez en paix !
Il avait conclu sa tirade avec un grand sourire et il remit une petite clé en argent au trépassé.
Victor prit l'objet dans ses mains et les portes du monde des morts s'ouvrirent. Il se rappela que plusieurs avaient tenté de les franchir à chaque fois qu'elles s'ouvraient. Mais nulle âme ne pouvait pénétrer au sein de cette terre du repos éternel sans être passée par le guichet au préalable.
Victor avait tenté le coup une fois au bout de 37 ans d'attente, n'y tenant plus, et n'avait pas réessayé en comprenant que cela ne servirait à rien.
Il quitta la file d'attente, entraînant Émilie avec lui. L'employé ne dit rien, elle ne pourrait pas franchir les portes de toute façon, et accueillit la prochaine cliente.
- N'essayez pas de franchir les portes, mademoiselle, lui dit Victor en souriant. Tant que la clé de votre Dernière Demeure ne vous aura pas été remise, vous ne pourrez pas entrer. Croyez-moi, je parle par expérience.
- Je saurai m'en souvenir, répondit Émilie en lui rendant son sourire tant bien que mal.
- Ne vous en faites pas, nous nous reverrons sûrement, lui murmura Victor.
Il porta la main de la jeune femme à ses lèvres et lui fit un baise-main avec un petit sourire presque charmeur.
- Ravi d'avoir fait votre connaissance, Émilie.
- Moi de même, Victor.
Il lâcha enfin sa main et, avant de franchir les portes, lança :
- N'oubliez pas : je suis à la tombe n°172 ! Passez me voir dès que votre tombe vous sera attribuée.
- J'y veillerais, lui dit-elle avec un grand sourire.
Victor lui offrit un nouveau sourire avant de rejoindre le monde des trépassés.
Une fois sur la Place de la Mort, Victor regarda autour de lui. Cet endroit n'avait rien à voir avec l'Allée. Ici, ça grouillait de monde. Et de "vie". Les âmes résidant dans le coin depuis un bon nombre d'années se côtoyaient dans la joie et la bonne humeur. Victor entendit des rires et tourna la tête pour voir un groupe d'enfants qui jouait dehors. L'architecture des bâtiments avait également été choisie avec soin, afin que les lieux paraissent familiers aux nouveaux arrivants. Du soleil aux nuages, en passant par la fumée qui sortait de la cheminée ou encore des restaurants où plusieurs âmes étaient attablées, tout était fait pour donner aux morts l'illusion d'être encore vivants. Enfin, au centre de la Place de la Mort se dressait une grande statue en pierre de la Faucheuse. Droite, le visage masqué, vêtue d'un pantalon, de bottes, d'une tunique et d'une longue cape, elle tenait un crâne humain dans la main gauche et sa faux dans la main droite. La capuche de sa cape camouflait sa chevelure et le masque que la Faucheuse portait empêchait quiconque de savoir si la Mort était un homme ou bien une femme.
- Excusez-moi, fit un homme d'une vingtaine d'années en tapotant l'épaule de Victor. Vous venez d'arriver ?
Victor tourna la tête vers son interlocuteur qui l'avait arraché à sa contemplation de la Mort et remarqua tout de suite qu'il portait la tenue des employés.
- Oui, répondit-il. J'imagine que vous êtes chargé de me conduire jusqu'à ma Dernière Demeure.
- Exact, répondit le jeune homme avec un sourire. Pouvez-vous me donner le numéro de votre tombe, s'il vous plaît ?
- 172.
- Suivez-moi, l'invita le Guide en s'engageant dans une rue.
Victor le suivit, tentant déjà de mémoriser le trajet pour pouvoir revenir sur la Place de la Mort.
- Vous avez de la chance, monsieur ! lança joyeusement l'employé. Il va bientôt y avoir une fête pour célébrer l'arrivée des dernières âmes des XVIIIème et XIXème siècles ! Vous êtes originaire de quelle époque ?
- XIXème siècle, justement, répondit Victor avec un léger sourire.
- Vous allez adorer alors ! Vous pourrez probablement revoir des âmes que vous avez côtoyé de votre vivant. De la famille peut-être ?
Marchant près de son Guide, Victor ne répondit pas tout de suite.
- Il y a très peu de personnes qui devaient m'attendre ici, soupira l'homme. A part mon grand-père, mon oncle et un vieil ami, je n'ai personne.
- Ah…eh bien, euh...je suis désolé pour vous, dit l'employé, mal à l'aise à l'idée d'avoir évoqué le sujet des retrouvailles post-mortem.
- Ne vous en faites pas, ce n'est rien, lui assura Victor.
Le reste du trajet se déroula dans le calme et une dizaine de minutes plus tard, ils arrivèrent enfin devant une grande maison au style architectural de l'époque victorienne. Tous les bâtiments aux alentours arboraient la même architecture.
Victor admira l'édifice pendant quelques minutes avant de remarquer un petit détail qui fit changer son humeur.
- Votre Dernière Demeure vous convient-elle, monsieur ?
- C'est quoi, votre nom ? demanda brusquement Victor sans accorder le moindre regard au Guide.
- Euh...Théo, monsieur…, répondit-il, intrigué.
- Dites-moi, Théo, vous pouvez m'expliquer pourquoi on m'a attribué une tombe qui n'est pas la mienne ?
Le Guide s'approcha du défunt et put lire sur un écriteau doré le nom d'Émilie Blanchard à la place de celui de Victor Richard, gravé en lettres d'or.
- Ce...ce doit être une erreur, balbutia Théo. Je suis vraiment confus, monsieur. D'habitude, ce genre de chose n'arrive pas !
- Réglez-moi ça avant que la maladresse de votre collègue ne me foute en rogne, gronda Victor.
Théo allait justement lui faire remarquer qu'il avait déjà l'air en colère mais préféra se taire.
- Je...je vais m'occuper de ce petit soucis maintenant.
- Vous avez intérêt, en effet, répliqua le mort.
De retour dans l'Allée une vingtaine de minutes plus tard, ils s'arrêtèrent au guichet.
- Victor ! appela Émilie en voyant le défunt de retour.
Celui-ci se retourna pendant que Théo engueulait le malheureux stagiaire qui avait bêtement confondus l'emplacement de la tombe de Victor avec celle de la jeune Émilie Blanchard.
- Qu'est-ce que vous faites ici ? s'inquiéta cette dernière. Il y a un problème ?
- Oui, soupira Victor. On a échangé nos tombes. L'idiot qui m'a filé mon emplacement s'est trompé et il m'a donné votre tombe…
Il jeta un coup d'œil au stagiaire qui se faisait sévèrement réprimander. Les employés de la Mort se vantaient de faire un travail impeccable aussi la moindre erreur n'était pas acceptable.
- Monsieur ? appela Théo. Venez, je vais vous donner le bon emplacement.
Victor s'approcha du guichet, Émilie le suivant. Il sourit. Elle avait vraiment l'air ravie de le revoir.
Il redonna sa date de naissance, son siècle d’appartenance, la date de sa mort et répondit à quelques questions supplémentaires, son Guide vérifiant par la même occasion que son dossier était en règle.
- Vous êtes au numéro 173, lança Théo en donnant la nouvelle clé au trépassé qui lui, avait discrètement glisser la clé de la Dernière Demeure d'Émilie dans les mains de cette dernière.
Celle-ci serra contre ses doigts la précieuse clé en souriant avant de jeter un rapide coup d'œil à Victor.
- S'il y a quoique ce soit que je puisse faire pour m'excuser du désagrément, je…
- Laissez-la franchir les portes, le coupa Victor en jetant un regard à Émilie.
- Je...je vous demande pardon ?! s'exclama Théo, les yeux écarquillés. Mais monsieur, on ne peut…
- Je veux que vous permettiez à madame Blanchard de rejoindre le monde des morts aujourd'hui même, l'interrompit à nouveau Victor.
Celui-ci se retenait de sourire, sachant pertinemment qu'il passait soit pour un enfant capricieux, soit pour un "client" grincheux au bord du scandale.
- Je...euh, c'est que c'est contraire au règlement, monsieur Richard…
- Vous voulez m'énerver ? gronda ce dernier en fronçant les sourcils.
- Victor...je peux attendre, hein, intervint Émilie. Ne vous en faites pas pour moi, ça va aller.
Victor la regarda, tout de même inquiet, puis soupira avant de dire :
- Très bien, comme vous voudrez.
Il se tourna vers Théo et lança d'un air quelque peu grincheux :
- Mais vous, vous avez pas intérêt à la faire attendre plus de 10 ans, c'est clair ! On a peut-être l'éternité mais je ne souhaite à personne de passer 70 ans dans la solitude, dans l'attente qu'on puisse enfin accéder à notre tombe.
- Je ferais au mieux, monsieur, lui répondit Théo.
Une fois le problème réglé, Victor pu donc enfin rejoindre sa Dernière Demeure après avoir dit au revoir à Émilie. Inquiet, il lui avait filé une liste de personnes qu'il estimait digne de confiance si jamais la jeune femme avait un soucis. Ainsi, elle aurait toujours de la compagnie en attendant de pouvoir franchir les portes du monde des morts.
***
4 mois plus tard…
Émilie courait dans les ruelles du monde des trépassés. L'employée de la mort, chargée de l'amener jusqu'à sa tombe, peinait à la suivre tant la défunte allait vite.
La jeune femme avait hâte de revoir Victor Richard.
Enfin arrivée dans le quartier où se trouvait sa Dernière Demeure, Émilie prit le temps d'admirer les lieux. Elle congédia l'employée avant de filer au numéro 173.
- Victor ! cria-t-elle.
L'homme était confortablement installé dans son fauteuil, en pleine lecture, quand une voix familière retentit dehors. Intrigué, il posa son bouquin sur une petite table et se leva avant d'ouvrir sa porte.
Il aperçu alors Émilie et un grand sourire se dessina progressivement sur son visage tandis que la jeune femme courait vers lui pour se jeter dans ses bras tant elle était heureuse de le retrouver.
Victor éclata de rire en la voyant faire, se rappelant que de son temps, ce genre de geste aurait été probablement mal vu.
- Moi aussi, je suis ravi de vous revoir, Émilie, lui dit-il en souriant.
- Vous allez bien ? demanda la jeune femme.
- En dehors du fait que je peine à garder la notion du temps ici, je vais très bien. Et vous ? L'attente n'a pas été trop longue ? Vous n'avez pas eu de problèmes ? s'enquit Victor.
- Tout va bien pour moi. Les Gonzalez m'ont tenu compagnie pendant presque 2 mois et le reste de l'attente est passé rapidement.
- Tant mieux, répondit l'homme avec douceur.
S'éloignant un peu de lui, Émilie le détailla du regard. Il n'avait pas changé du tout et portait toujours une tenue vestimentaire sombre qui faisait ressortir son teint pâle.
- Je vous préviens, on ne peut pas changer de voisin alors vous aller devoir me supporter tout le long de votre repos éternel, lança Victor d'un air taquin, un petit sourire aux lèvres.
- Oh, vous savez, je pense que je saurais tenir le coup, répliqua Émilie en ricanant un peu.
- Dans ce cas, mademoiselle, je suis ravi d'être à vos côtés pour l’éternité.
Émilie rougit un peu. Victor lui avait dit cela avec un air tendre et quelque peu charmeur et la jeune femme ne put s’empêcher de sourire.
Tant qu'il serait là, la défunte était sûre que son âme pourrait reposer en paix dans le monde des morts.
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