II • Un cadavre dans la maison

1923
Imatra, Finlande

La couverture tirée sur elle, Louise avait les yeux rivés sur un petit objet posé sur le meuble en face de son lit. Allongée, les draps remontés jusqu'à son nez, l'adolescente fixait la boîte à musique. Son portable allumé, elle filmait depuis au moins sept bonnes minutes, attendant avec nervosité que minuit sonne.

Gabriel et Rose Leroy avaient emménagé dans une grande maison, située un peu à l'écart de la ville finlandaise. Issu d'un milieu bourgeois, Gabriel ― son beau-père ― avait acheté le bien avec sa nouvelle épouse, Rose Leroy, la mère de Louise.

Conquis par la beauté des lieux et les paysages de la Finlande, le couple avait fait une seconde visite avec l'adolescente. La convaincre de quitter la France où elle était née, avait grandi, eu des amies, etc., n'avait pas été chose aisée mais Louise avait fini par céder en voyant la grande salle de réception de la demeure.

Richement décorée, ornée de tapisseries magnifiques, de meubles pourtant anciens mais très bien conservés malgré le passage du temps, le tout dans un style architectural rappelant beaucoup l'époque baroque, nul doute que cette pièce avait dû accueillir du beau monde.

En fermant les yeux, Louise aurait presque juré entendre le son du piano qui trônait dans un coin de la salle, de douces notes mélodieuses s'échappant de l'instrument. Elle s'était plu à imaginer des couples de danseurs en train de valser. Laissée seule un instant tandis que l'agent immobilier conversait avec ses parents dans la pièce d'à côté, Louise avait presque cru apercevoir les silhouettes de belles Ladies vêtues de robes somptueuses tandis que de beaux nobles tout aussi bien habillés leur offrait leur bras dans une tentative de galanterie pour amener ces dames sur la piste de danse.

La jeune fille de 16 ans avait sursauté en entendant la voix de sa mère qui l'appelait, l'arrachant à la contemplation des lieux mais surtout aux griffes de son imagination débordante.

Cela faisait à présent quatre jours qu'ils étaient installés dans leur nouvelle maison qui avait plutôt l'air d'être un manoir et Louise commençait à regretter de ne pas avoir tenu tête à sa mère plus longtemps avant de se résigner à ce que le couple achète le bien.

En vidant les cartons et en faisant un peu de rangement, Louise avait découvert une petite boîte à musique qui devait bien dater des années 1700 ou 1800.

De forme plutôt ovale, on aurait dit une sphère un peu ratée. Peinte en bleu outremer, elle était incrustée de minuscules diamants disposés d'une manière qui permettait d'identifier les constellations les plus connues. En ouvrant la boîte, on découvrait un tout petit piano noir et blanc près duquel un petit bonhomme semblait s'être installé pour jouer. L'ensemble formait une petite sculpture dont le travail était absolument magnifique. Tout avait été fait avec minutie et nul doute que le créateur de l'objet devait être un véritable maître en la matière.

Plutôt que de jeter une si belle création, Louise avait décidé de conserver la précieuse boîte de musique et, à présent, celle-ci occupait une place sur un meuble en bois juste en face du lit où elle tentait de dormir.

Cela faisait à présent deux nuits d'affilée qu'elle était réveillée par la mélodie qui s'échappait de l'objet. Apeurée, elle avait vérifié à chaque fois que personne ne s'était aventurée dans sa chambre, espérant secrètement que ce soit sa mère qui avait mis en route la boîte après être venue la border. Cette mauvaise manie qu'avait Rose Leroy avait souvent agacé sa fille unique qui ne cessait de lui rappeler qu'elle n'était plus un bébé. Pourtant, après vérification, Louise avait dû se rendre à l'évidence : sa porte était fermée, personne n'avait pu entrer. Angoissée, elle avait demandé à Gabriel d'examiner l'objet. Après tout, peut-être que la boîte à musique souffrait d'un quelconque dysfonctionnement et se mettait en route toute seule ?

Mais dans ce cas-là, pourquoi joue-t-elle uniquement à partir de minuit ? se demanda Louise.

Elle regarda anxieusement l'heure sur son portable. Elle filmait à présent depuis 11 minutes et toujours rien. Louise avait tenté d'expliquer l'étrange phénomène à sa mère. Si son beau-père avait cherché à se montrer rassurant, à l'écoute et compréhensif, sa génitrice, elle, s'était contentée de secouer la tête en sermonnant sa fille, lui répliquant que ce n'était que son imaginaire ou qu'elle regardait tout simplement beaucoup trop de séries fantastiques ces derniers temps.

Louise avait décidé de tout enregistrer, allant même jusqu'à porter la clé de la boîte à musique autour du cou pour prouver que celle-ci n'était pas entrer en contact avec l'objet qui désormais l'inquiétait.

Sous son pyjama d'un bleu-gris plutôt moche au goût de Louise, l'adolescente sentait le métal froid de la clé et de son pendentif, un petit croissant de lune argenté en acier inoxydable relié à une chaîne.

Elle regarda à nouveau l'heure : 23h59...minuit !

Elle fixa l'objet et aussitôt la musique s'en échappa. Elle avait quelque chose de mélancolique mais aussi de doux. C'était probablement le piano qui donnait cette impression. Bien qu'elle trouvait la mélodie vraiment belle, Louise aurait préféré que la boîte ne se mette pas à jouer toute seule car ce curieux et étrange phénomène l'angoissait petit à petit.

Son portable enregistrait tout : le son, l'image, tout !

Retenant son souffle, Louise savait déjà que la boîte à musique allait résonner dans sa chambre pendant 3 minutes. Elle avait fini par chronométrer. A chaque fois, l'objet se mettait à jouer trois fois dans la nuit pendant le même laps de temps. Il s'écoulait en général une vingtaine de minutes entre chaque reprise.

Quand la mélodie cessa, Louise s'autorisa enfin à souffler mais trouva très vite le silence oppressant. Il lui fallait du bruit ! Elle s'était habituée à la présence de cette musique qui se répétait en boucle jusqu'à avoir retenti pour la troisième fois.

Louise arrêta l'enregistrement de la vidéo et vérifia que tout avait bien fonctionné avant de river ses yeux noisettes sur la boîte à musique. L'objet semblait presque la narguer.

Fébrile et fatiguée, elle regarda à nouveau la vidéo. Son casque posé sur ses oreilles, elle distinguait parfaitement le son de la boîte à musique et on pouvait voir le piano et le musicien tourner doucement. Pour plus de luminosité, l'adolescente avait allumé sa lampe de chevet et l'avait déposé tout près de la boîte. Ainsi, on voyait parfaitement sur la vidéo que la boîte jouait toute seule...

Quand vingt minutes se furent écoulées, la musique reprit, faisant sursauter Louise qui ôta son casque en vitesse pour filmer à nouveau. La même mélodie retentit alors pour la deuxième fois. Sur la vidéo, on pouvait voir que l'enregistrement durait depuis 1min47 quand soudain, la musique cessa. Louise, inquiète, attendit encore un peu.

Rien.
Plus un seul son...

Puis, subitement, la mélodie se fit à nouveau entendre...mais la musique ne provenait pas de la boîte...

La salle de réception ! pensa la jeune fille en sortant du lit.

Inquiète, elle ouvrit la porte de sa chambre et descendit prudemment les marches de l'escalier qui la mènerait au rez-de-chaussé.

Le cœur cognant contre sa cage thoracique, le sang battant ses tempes, les pieds froids, Louise arriva enfin près de la salle de réception.

La musique s'échappait bien de la pièce !

Maman ne sait pas jouer...Gabriel non plus..., pensa-t-elle.

Cela ne pouvait pas être quelqu'un de sa famille, elle avait même entendu son beau-père ronfler légèrement quand elle était passée devant la chambre du couple, aussi était-elle certaine que celui-là dormait profondément.

Marchant à pas de loup, Louise avait l'impression que son cœur allait cesser de battre à tout moment. Les mains glaciales, elle serrait son portable entre ses doigts, prête à fuir en courant et à appeler les flics...

Elle attendit quelques minutes, cachée derrière un pan du mur, avant d'oser jeter un œil vers la pièce. Tout était en ordre, rien n'avait bougé mais la musique résonnait toujours.

Son regard se posa sur le piano et elle se figea. Près de l'instrument se tenait un jeune homme.

Comment a-t-il fait pour entrer ? s'interrogea Louise en sentant l'inquiétude montée d'un cran.

Comme il se tenait de dos, elle ne pouvait qu'apercevoir sa silhouette élancée, ses cheveux bruns noués sur sa nuque et ses étranges habits sortis tout droit d'un manuel d'Histoire.

Maman a raison, je regarde vraiment beaucoup trop de séries...ce type est vêtu comme s'il venait du XVIIIème siècle ! se dit-elle en l'observant.

Il jouait merveilleusement bien et Louise oublia un bref instant que cette personne n'avait rien à faire dans la maison.

Un bâillement lui échappa et la musique cessa. Elle se figea. Le mystérieux pianiste s'était tourné vers elle et la dévisageait.

Il n'avait pas l'air dangereux du tout. En dehors de son teint pâle, l'inconnu avait d'étranges yeux couleur ocre jaune. Quelques mèches brunes tombaient sur son front et il fallait avouer qu'il était vraiment bel homme.

- Je peux faire quelque chose pour vous, Mademoiselle ? demanda-t-il poliment.

Il lui avait dit cela avec un adorable sourire, un air bienveillant dans le regard.

- Je...Euh...Qui êtes-vous ?

Je devrais appeler Maman ou Gabriel, là... Pourquoi je ne le fais pas ?

Louise n'aurait su dire pourquoi mais l'appel à l'aide ne voulait pas franchir ses lèvres. A la place, elle ne pouvait pas bouger de l'entrée de la salle de réception et elle se retrouvait à faire la conversation avec cet étrange personnage qui lui semblait tout droit sorti d'un roman...

- Je suis le maître des lieux : je m'appelle Linus Lindström.

Le maître des lieux ? Il délirait, le pauvre... Et qu'est-ce que c'était que ce nom étrange ?

- Sortez...d'ici..., murmura Louise, terrorisée par la présence d'un inconnu.

Elle recula mais il lui attrapa doucement la main. 

- Je ne voulais pas vous faire peur, Mademoiselle, je suis sincèrement désolée si ma présence vous a effrayé...

Il semblait réellement peiné et Louise s'en voulu un peu de le traiter comme s'il était une menace. 

- Vous...vous n'êtes pas censé être ici…, souffla-t-elle en rivant ses yeux dans les siens. 

Intrigué, il haussa un sourcil, cherchant à comprendre ce qu'elle voulait dire par là. 

- Je suis navré, Mademoiselle, mais je vis ici depuis ma naissance. Êtes-vous une nouvelle domestique ? Votre chemise de nuit est bien étrange… 

Il la regardait avec un mélange de curiosité et d'incompréhension. 

La maison était très grande, peut-être y avait-il du personnel ? Après tout, ce n'était pas impossible, Gabriel avait parlé de faire venir du monde mais les personnes en question devait arriver à partir de lundi matin…

Ce Linus Lindström n'avait rien à faire ici. 

Celui-ci recula un peu et prit la parole : 

- Venez, je ne mords pas. 

Il avait dit cela avec un grand sourire et son regard semblait presque pétiller. 

Louise ne pouvait distinguer les formes, les objets et la pièce en elle-même uniquement grâce à la lumière de la lune qui éclairait les lieux, les rideaux n'ayant pas encore été installés dans la salle. 

Linus n'avait pas lâché sa main et Louise se laissa conduire jusqu'au piano. 

Le jeune homme s'installa confortablement près de l'instrument de musique et commença à jouer une douce mélodie. Étrangement, Louise se sentit détendue, l'angoisse se dissipant petit à petit. Linus lui lançait un regard bienveillant de temps en temps, lui souriant chaleureusement.

- Vous aimez ? lui demanda-t-il en tournant légèrement la tête vers l'adolescente. 

- Eh bien, c'est agréable à écouter, répondit Louise après un bref silence, hésitante. On aurait presque envie de danser !

Linus Lindström se leva en lui offrant un beau sourire avant de lui tendre la main. 

- Une valse vous plairait-elle ?

Surprise, ses yeux passèrent du visage du jeune homme à la main qu'il lui tendait. 

- Sans musique, on va avoir l'air ridicule, souffla la jeune fille en se levant dans une veine tentative de s'échapper de la salle.

Linus lui sourit et effleura le piano du bout des doigts. Une douce mélodie s'éleva et le pyjama de Louise fut remplacé par une robe mauve et noire qui lui allait à merveille. 

L'adolescente, sans voix, contempla le vêtement dont le tissu semblait être du satin. 

- Elle vous plaît, Mademoiselle ? demanda Linus avec un sourire tendre. 

La jeune fille hocha la tête en signe d’affirmation, incapable de dire le moindre mot. Elle en oublia même qu'elle aurait dû aller réveiller sa mère et son beau-père. 

Linus claqua des doigts et, comme par magie, la lumière s'alluma. 

Il lui offrit un petit sourire charmeur et en un instant, Louise se retrouva tout près de lui, au centre de la salle de réception. 

Étrangement, elle vit plein de personnes autour d'elle et remarqua que tous portaient des tenues similaires au style vestimentaire de Linus. 

- Mais...qu'est-ce que…

- Un problème, Mademoiselle ? s'enquit le jeune homme en rivant son regard ocre dans celui noisette de Louise. 

- Qui sont-ils ? D'où sortent-ils ? s'affola-t-elle. 

Inquiet de sa soudaine agitation, Linus répondit : 

- Allons, Mademoiselle, ce sont les invités. Vous voyez l'homme près du sofa ? C'est mon père, il a organisé cette soirée pour mon vingtième anniversaire ! 

Ainsi cet étrange jeune homme avait 20 ans, aujourd'hui…
Mais là n'était pas le plus important. Linus se comportait certes en gentleman mais il agissait comme si tout cela était normal !

Il l'amena doucement au centre de la piste de danse, la faisant valser joyeusement. Louise avait le cœur qui battait fort d'anxiété. Cette situation la mettait mal à l'aise et en même temps, Linus se montrait rassurant pour l'apaiser. 

Les minutes s'écoulèrent et elle se laissa aller par l'ambiance festive. 

Linus était charmant et vraiment très bon danseur. 

Au moins deux bonnes heures passèrent et Louise vint se blottir contre le torse de son partenaire de danse. Les paupières lourdes, elle sentait le sommeil pointer le bout de son nez. 

- Linus...je suis fatiguée…, murmura Louise. 

Malgré le bruit du piano et des bavardages de tout le monde, le jeune homme sembla l'entendre. 

- Alors fermez vos yeux, Mademoiselle Louise, lui susurra-t-il avec tendresse. Dès que la valse se sera achevée, je vous accompagnerai dans votre chambre. 

Son ton était calme, posé et empreint de beaucoup de douceur. 

Louise avait l'impression d'avoir été transportée dans une toute autre époque. Elle avait parlé avec de nombreuses personnes dont elle avait déjà oublié les noms. Mais elle était surtout restée aux côtés de Linus qui lui faisait la conversation pour l'apaiser. Il savait à présent son prénom, son âge, les raisons pour lesquelles elle vivait à présent à Imatra. 

Louise était certaine de rêver en ce moment-même tant tout cela semblait surréaliste. Elle ne savait même plus ce qu'elle avait fait de son portable, il n'était nul part ! 

Peu à peu, les yeux fermés, la tête posée près du cœur de Linus dont elle entendait les battements réguliers, sa respiration se calma. Apaisée, elle se laissa bercer dans les bras du beau jeune homme. Le sommeil la gagnait progressivement et elle n'était pas certaine qu'elle tiendrait jusqu'à la fin de la valse. 

- Louise ? appela Linus, soudain inquiet. Vos mains sont glacées ! Avez-vous froid ? 

Sa voix lui sembla lointaine et Louise ne répondit pas. Elle ouvrit une dernière fois les yeux pour contempler les prunelles d'ocre de son cavalier et grava son magnifique visage dans sa mémoire avant d'être happée par l'obscurité. 

*** 

Le lendemain, trois agents de police se tenaient dans la salle de réception. 

Le corps de Louise reposait là. Blême, elle était inerte mais semblait dormir. Quelqu'un l'a recouvrit d'un drap blanc et on entendit Madame Leroy sangloter dans les bras de son époux. 

Gabriel, sous le choc, racontait aux policiers tout ce qui s'était passé depuis leur emménagement dans la maison. Il était le seul à parler finnois aussi, c'était lui qui menait l'échange, sa femme n'étant pas en état de communiquer quoique ce soit. 

Un officier avait ramassé le téléphone portable de Louise. Celui-ci, déverrouillé, affichait les 2 vidéos dont une qui semblait plus courte. L'agent regarda attentivement mais il ne remarqua rien d'anormal. 

Elle a filmé sa commode vers minuit, expliqua-t-il à son supérieur. Le seul son qu'on entend, c'est sa respiration ou le froissement des draps. Rien d'anormal. Allez savoir pourquoi elle a filmé ça...

- C'est à cause de la boîte à musique, murmura Rose Leroy, les yeux rougis. 

Intrigués, les trois policiers l'écoutèrent raconter que sa fille avait affirmé que l'étrange objet jouait de la musique tout seul.

Et pendant ce temps-là, au premier étage, dans la chambre de Louise, la boîte à musique trônait toujours sur le meuble, ouverte. Rien n'avait changé si ce n'est qu'à présent, à côté du piano et du petit personnage qui ressemblait curieusement à Linus Lindström se tenait désormais une jeune fille vêtue d'une robe mauve et noire, aux cheveux châtain et aux yeux noisettes qui était le portrait craché de Louise Leroy… 

Et voilà le 2e texte pour le Writober ! Qu'avez-vous penser de Louise et de Linus Lindström ? 🙂
Comme pour le 1er texte, je vous met la liste de musiques/chansons écoutées pendant l'écriture. 🙂

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top