Discussion de bar


- C'était horrible, tu sais. Probablement le pire moment de mon existence.

- Je suis désolé. Si je paye la prochaine tournée, tu me pardonnes ?

L'agent Clint Barton considère un instant la proposition qui émane du jeune homme à sa droite. Pietro a un pâle sourire d'excuse, qui illumine sa mine fatiguée. Le teint grisâtre, les cernes prononcées, tout indique qu'il sort d'une période difficile.

Et pour cause : il est mort.

Pietro interpelle le serveur de l'autre côté du bar et commande deux nouvelles chopes.

Il règne une atmosphère chaleureuse et intimiste dans le petit bar de Hell's Kitchen où se sont retrouvés les deux hommes. Quelques fauteuils en cuir poli par l'usage, des appliques en laiton jetant une lueur cuivrée sur le grand comptoir d'ébène, une collection de bouteilles en cristal accrochant la lumière et la reflétant dans le large miroir au fond de la pièce. La gazouillis des conversations est léger, et une femme vient de s'installer au piano pour jouer un morceau de jazz aux accents mélancoliques.

Le serveur dépose deux pintes brunes napées d'une belle couche de mousse devant eux. Les deux hommes trinquent et goûtent le breuvage. Un silence gêné s'installe entre eux. Pietro sent que l'archer a besoin d'en parler, de crever l'abcès.

- Je suis désolé, répète-t-il. Je sais que ca a été dur pour tout le monde. Surtout pour Wanda... Et pour toi.

Clint se perd dans la contemplation de sa bière, semblant vouloir compter chaque petite bulle remontant à la surface.

- J'en fait des insomnies depuis des mois, finit-il par lâcher. Je revis la scène. Sans pouvoir intervenir. Exactement comme... Exactement comme cela s'est passé. Je revois les balles qui foncent vers toi, et je me dis « Tout va bien. C'est le gamin, il est rapide. Il est assez rapide, il va les éviter... ». Mais tu ne les évites pas. Tu ne les évites jamais, dans mes cauchemars, Pietro. Et je te regarde, une fois, dix fois, mille fois, mourir devant moi. Encore.

Pietro est rigide comme une statue, ses mains tremblantes serrées autour de son verre. Il fixe Clint Barton, attendant de sa part un regard qui ne vient pas. L'agent refuse obstinément de lever les yeux vers lui.

- Dans ma tête, poursuit l'espion d'une voix si basse qu'elle est à peine perceptible, je rejoue le scénario en permanence. Je cherche toutes les solutions, tous les autres moyens, tout ce que j'aurais pu faire, ce que j'aurais dû faire pour éviter cela. Ca m'obsède. Je regrette tellement... Et parfois je me dit que le pire, c'est que je n'ai jamais eu le temps d'apprendre à te connaître.

Clint est sur le point de craquer, Pietro le sent. Même si son regard le fuit, il y voit les prémisses brillantes des larmes contenues. Lentement, Pietro avance sa main vers celle de l'archer. Il l'attrape, la serre, avec force. Ses doigts gelés recouvrent ceux de son aîné.

Sa voix n'est qu'un murmure lorsqu'il lui chuchote à l'oreille :

- Tu n'y es pour rien, Clint. C'était mon choix. Mon destin. Tu n'y es pour rien et tu ne pouvais pas l'éviter. Tu dois me laisser partir, à présent...

Clint sent la pression sur sa main diminuer, et la voix de Pietro s'effacer, disparaître, absorbée par les notes traînantes du piano, le chuintement des verres et le brouhaha des conversations.

Il se mort la langue jusqu'au sang pour ne pas relâcher les sanglots silencieux qui le hantent depuis des mois. Il cherche machinalement un billet dans sa poche et le pose sur la table, puis il enfile sa veste et se lève. Il quitte les lieux sans se retourner.

La chaise à côté de la sienne, au bar, est désespérément vide.  

***

@Owl_and_Moon, @Adelphee, ce texte-là est pour vous (mais on ne peut mettre qu'une dédicace je crois ?!). Merci de m'avoir fait découvrir ce duo :D 

La bise,

Charlie 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top