- Et lui, c'est qui ?

Cassie observa attentivement la petite pièce de bois blanc que lui tendait son père. Elle l'attrapa du bout des doigts et effleura la surface lisse.

- C'est le fou ! s'exclama-t-elle.

Elle le posa un peu brutalement sur une case du plateau d'échec qui se tenait entre eux.

- Il délire complètement. Il sait pas du tout marcher droit ! expliqua-t-elle.

Elle le déplaça d'un bout à l'autre du plateau, suivant une diagonale précise et renversant tous les pions qui osaient se dresser sur son passage.

- Quelle violence, nota Scott, amusé par les pions noirs et blancs qui voltigeaient autour d'eux, bousculés par la fièvre destructrice du fou. Il a l'air fort en tout cas, s'il peut sortir tous ses ennemis du jeu comme ça...

Cassie hocha la tête.

- Oui, c'est le plus fort de tous, approuva-t-elle. Il est devenu fou car il a mangé trop de champignons.

Scott sourit et attrapa un ourson en guimauve dans le sachet à ses pieds. Il savourait à sa juste valeur cet instant partagé avec sa fille. La chaleur douce et confortable de la chambre, c'était leur cocon. Ils avaient construit un château fort à l'aide d'oreillers et s'y étaient enfermés avec des sucreries et une valise de jeux. Cassie lui donnait désormais une leçon d'échecs très instructive. Dehors, une pluie triste battait les vitres, mais les lumières orangées installées dans leur château-fort dissipaient la brume et le froid pernicieux de novembre.

Une odeur de chocolat chaud et de châtaignes grillées venait de la cuisine ou Peggy préparait le goûter.

- Il est plus fort que lui ? vérifia Scott, en pointant le roi du doigt.

- Mais bien sûr, répondit Cassie en levant les yeux au ciel. Lui c'est un roi. Il sert à rien. Il marche tout lentement et il laisse tout le boulot à sa femme la reine.

- Typique des hommes politiques, reconnut Scott, et Cassie pouffa de rire.

Elle gratifia le roi d'une pichenette et il s'envola en dehors du plateau de jeu.

- Et eux, alors ? Les types à cheval ? demanda Scott en plaçant les cavaliers noirs face à Cassie.

Elle les étudia longuement, concentrée.

- C'est Arthur et Josh. Ils chevauchaient des licornes avant, mais toutes les licornes ont été tuées.

- C'est horrible, frissonna Scott, attrapant un coussin pour le serrer contre lui alors que Cassie poursuivait l'histoire.

- Oui, horrible, approuva-t-elle, les pupilles dilatées. Du coup, Arthur et Josh parcourent maintenant le monde en bateau pour vérifier qu'il ne reste pas quelques licornes sur les autres continents.

- En bateau ? Mais ils sont à cheval...

Cassie fusilla son père du regard, peu satisfaite qu'on ose remette en question la légitimité de son histoire.

- Papa, t'es nul... C'est des cavaliers pirates. Ils ont des bateaux, et en attendant de retrouver des licornes et ben ils montent sur des chevaux, c'est moins classe mais c'est quand même plus pratique qu'un bateau pour aller fouiller les forêts magiques !

- Oui, pardon, tu as raison, s'excusa platement Scott. Ca tombe sous le sens...Bon, j'espère qu'Arthur et Josh vont réussir leur quête.

Cassie hocha gravement la tête et ils partagèrent un silence respectueux, interrompu par une voix féminine qui provenait de la cuisine :

- Le goûter est prêt !

- C'est un piège ! chuchota Cassie en incitant son père à ne pas bouger pour ne pas attirer l'attention. L'ennemi essaye de nous faire lever le siège et sortir du fort, ajouta-t-elle, toujours à voix basse.

- Ah, zut. On fait quoi alors ? répondit Scott sur le même ton.

Cassie hésita, se tapotant la joue du bout des doigts.

- Ben, j'ai un peu faim quand même... Les réserves de nourriture sont basses et les paysans vont mourir de faim, ajouta-t-elle en avisant tristement le paquet de guimauves vide à côté d'elle.

- Bon, ben on y va, alors, trancha Scott.

Il rampa jusqu'à la sortie du château et se redressa. Il s'étira en grimaçant, fourbu d'avoir dû se tenir voûté, alors que Cassie s'extirpait à son tour de leur cachette.

- Espérons que ce ne soit pas un piège, souffla-t-elle.

- Si jamais, tu n'as qu'a emmener Arthur et Josh pour te protéger, proposa Scott en tendant les bras vers elle.

Cassie grimpa sur lui et il en profita pour la recoiffer un peu et effacer les traces de chocolat au coin de sa bouche. Disparition des preuves.

- Pas besoin d'eux, lui sourit Cassie, gigotant entre ses bras. J'ai mon héros personnel pour me protéger des ennemis.

Elle lui planta un baiser sonore sur la joue et ils quittèrent la chambre, les yeux de Scott soudain étrangement humides...

***