23 🎧 Catching Up
Ses yeux n'arrêtent pas d'alterner entre sa montre et la nappe de la table. Il regarde parfois en direction de la fenêtre, espérant que la pluie ne dure pas.
J'ouvre la bouche pour tenter une simple discussion avec lui mais son soupir d'exaspération me retient.
Il a grandi. Il dégage une certaine assurance qui me troublerait presque si je n'avais pas cette image de lui en garçon gras et peureux.
Il a maigri depuis... Il a remplacé la graisse par le muscle. Ses vêtements ne sont pas ceux d'un homme d'affaires, mais avec sa chemise et son pantalon noir, il a une certaine prestance.
Ses cheveux courts et bruns, presque noir selon la lumière, ont toujours été indiscipliné mais il a réussi à les dompter pour en faire quelque chose de potable et s'accordant avec sa barbe de trois jours.
Il a tant changé physiquement que je n'ai plus aucun doute sur son pouvoir de séduction... Si seulement il n'avait pas autant changé au niveau du caractère.
Cet air méprisant, un regard dédaigneux à chaque parole, des soupirs énervants et sa manie de jouer avec ses doigts sur la table quand il est pressé ou stressé.
C'est bien un truc qu'il a hérité de sa mère.
« Ça fait longtemps. Tu pourrais me parler un peu de toi ? » tenté-je en croisant les doigts devant moi.
Il arque un sourcil et pose sa tête dans sa paume, fixant la cheminée et les cadres photo où il ne figure pas. Un fin sourire se dessine sur son visage mais si cela devrait me rassurer, j'ai bien compris à la minute où il est entré chez moi que ça ne serait pas pour se réconcilier.
— Arrête, commence-t-il, tu t'en fiches. Si ça t'importais vraiment de savoir comment je vais, ce que je fais, tu m'aurais appelé depuis longtemps.
— Ne sois pas aussi amer, Andréa.
— Je dois tenir ça de maman. Tu sais ? La femme que tu as abandonnée alors qu'elle avait un cancer du sein et un adolescent perdu en pleine obésité morbide.
Il frappe fort, sans retenue et c'est légitime.
J'ai été un salaud, je le sais. Je n'ai pas arrêté de m'en vouloir toute ma vie. À l'époque, je n'avais pas de courage... Et je ne pense pas en avoir plus maintenant.
— Écoute, je me suis déjà excusé auprès de ta mère et-
— Je m'en fiche. Je ne suis pas ici pour t'écouter.
— Andréa Camille Br-
— C'est Simon, m'interrompt-il en me foudroyant du regard. Andréa Simon. Comme si j'allais garder ton nom de famille après la trahison que tu nous as infligée.
Les mots sont coincés dans ma gorge, toujours par manque de courage mais aussi d'intimidation. Comment est-ce que mon propre fils, la chair de ma chair, arrive à me déstabiliser à ce point ?
Tout est de ma faute mais je n'arrive pas à le lui dire.
De longues minutes passent, installant un silence que seul moi perçois comme gênant, lorsqu'il se décide à le briser, surement par ennui.
— J'ai bougé sur Paris. Je suis photographe en free-lance et assez bon pour n'avoir aucun souci, mais ça tu t'en fou. Que ton fils galère dans la vie par manque de moyen, ça ne t'a pas effleuré une seule fois l'esprit.
— Tu as eu des soucis ?
— Pas croyable, répond-il en retenant un rire mauvais, à ton avis ? Tu crois que c'est facile de faire de sa passion son métier ? Il n'y a qu'une chose pour laquelle je peux te remercier, c'est de m'avoir appris tout ce que tu sais sur la photographie quand tu étais encore à la maison.
— Andréa, je suis désolé. Vraiment j-
— Par contre, je pense que c'est à cause de toi qu'à 30 ans je n'arrive pas à m'attacher aux gens. Que je ne ressens plus le moindre amour et que je vis avec cette peur d'être abandonné et trahi.
Ces dernières paroles, il les a dit calmement mais pourtant j'ai bien senti un trémolo dans sa voix. Comme s'il avait préparé ses mots toute sa vie mais que le moment était trop intense pour que ce soit parfait.
— Mon fils, j'aimerais vraiment me faire pardonner, ou du moins tenter de te rattraper. De faire quelque chose pour toi et ta mère. J'ai été le pire des enfoirés mais mets-toi à ma place... À ton avis, pourquoi autant d'hommes quittent leurs femmes atteintes d'un cancer du sein ? Ils sont comme moi, ils ont peur. Ils n'ont pas assez de courage pour supporter la pression...
— Et tu crois qu'un gamin peut y arriver mieux qu'un adulte ? Visiblement, oui.
— Quand je te vois aussi bien, aussi équilibré, je suis rassuré et à la fois profondément triste. J'aurais dû m'occuper de toi, venir te demander des nouvelles, te soutenir, t-
La porte d'entrée claque, interrompant notre discussion et poussant Andréa à se lever de son siège pour se poster devant la fenêtre. Le bruit d'un parapluie que l'on secoue et le claquement des talons sur le parquet confirment l'arrivée de celle pour qui il était venu : ma petit-copine. Sa « belle-mère ».
« Oh Andréa ! Je pensais que tu arriverais plus tard ! Ne bouge pas, j'ai ce que tu m'as demandé ! Je file à l'étage et j'arrive ! » dit-elle, ses cheveux noirs frisotant à cause de l'humidité.
Mon fils hoche la tête en la voyant partir avant de se tourner vers moi en me jugeant : « Ça ne te pose aucun problème de sortir avec une fille qui a à peine cinq ans de plus que ton fils ? »
C'est à mon tour de le fusiller du regard mais je n'ai pas le temps de préparer une réplique que ma chérie redescend les escaliers avec un bac en plastique qu'elle tend à Andréa après lui avoir fait la bise.
— C'est quoi ? demandé-je en me levant.
— Tu t'en soucis vraiment ? me répond-il avant de faire un sourire franc à ma copine. Merci, ça va m'être utile pour ma prochaine exposition.
— Je t'en prie, n'hésite pas à m'appeler s'il y a un souci. Tu ne veux pas rester un peu, j'imagine ?
— Tu imagines bien. Bon, je file.
Pas un regard vers moi, mon fils s'en va sans un au revoir quitte à prendre le risque d'être complètement trempé par la pluie. Je me laisse tomber dans mon siège, las et vidé par notre maigre échange avant de plonger ma tête dans mes mains jusqu'à ce que ma copine vienne caresser mes cheveux grisonnants.
— Il voulait les albums photo que tu as gardés.
— Comment ça se fait que tu sois en contact avec mon fils ?
— On s'est rencontré avec mon travail il y a quelques mois. Quand on s'est rendu compte de qui on était l'un pour l'autre, il y a eu une période de gêne mais au final tout va bien entre nous. Je ne voulais pas t'en parler parce que...
— Quoi ?
— Il a dit « Mon père s'en fiche pas mal de moi ».
Andréa... À quel point ai-je brisé ton cœur ? Est-ce que c'est irréparable ?
[Notre Andréa Simon de Food Porn Lover qui revoit son père après des années de silence. Peut-être le retrouvera-t-on dans le tome suivant encore en préparation ?]
https://youtu.be/5cCgQXzn-a4
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