Assise sur un siège du Terminal N, je tente de chasser la boule désagréable qui s'est créée en moi. Mes jambes sont toujours agitées et je ne peux pas me retenir de me ronger les ongles.

Pourquoi est-ce que j'ai accepté ça ?

J'aurais dû rester chez moi, à pleurer sous ma couette.

Impatiente et stressée, je me lève et commence à faire les cent pas devant ma place lorsque je remarque qu'un couple est intéressé par mon siège et celui que je garde avec une valise.

Je me rassois immédiatement et fais comprendre qu'elles ne sont pas libres d'un sourire crispé.

J'ai chaud. C'est insupportable. Je pue la transpiration alors que ça ne fait qu'une heure que je suis là, immobile.

En fait, c'est long. Trop long.

Je sursaute en entendant mon prénom. Ma meilleure amie arrive avec nos cafés beaucoup trop chers dans les mains, un grand sourire aux lèvres. Elle est impeccable, la chevelure parfaite et le teint frais, tout mon contraire.

C'est elle qui part et c'est moi qui angoisse.

— Désolé, il y avait une queue monstre ! Tiens.

— C'était combien ?

— Je te l'offre. C'est peut-être notre dernier café ensemble et on le prend à l'aéroport ! On aurait dû mieux gérer ça.

J'approuve en hochant simplement la tête avant de boire le breuvage chaud et réconfortant me rappelant nos agréables souvenirs ensemble.

Quand nous jugions les passants, tranquillement posées en terrasse.

Quand nous attendions avec hâte qu'il fasse plus chaud pour sortir nos belles paires de lunettes de soleil.

Quand nous dévorions du regard le serveur du restaurant d'en face et son fessier parfait.

Quand nous avions savouré une tournée de shot offerte par le patron lors d'un soir d'hiver neigeux.

Quand tous ces moments nous réunissaient, nous qui n'avions quasiment rien en commun. Nous qui étions tellement opposées.

Et maintenant, c'est elle qui part. Elle est arrivée comme une tornade dans ma vie il y a deux ans et maintenant elle repart en emportant tout avec elle.

Faire sa vie dans un pays à l'autre bout du monde. Avoir un nouveau travail, de nouveaux amis et une nouvelle « moi ».

« Les passagers du vol 3788 à destination de... »

Je n'entends déjà plus la suite. Elle s'est instinctivement levée en attrapant la poignée de sa valise, l'air tout excité.

« Tu m'accompagnes jusqu'au bout ? » me demande-t-elle joyeusement.

Je réponds d'un haussement d'épaules avant de la suivre, elle et son entrain, alors que je broie déjà du noir.

En tant qu'amie, je veux son bonheur mais je suis égoïste : je ne veux pas qu'elle parte.

Je ne veux pas qu'elle me laisse seule.

Elle a une capacité à se faire des amis en quelques minutes qui est autant impressionnante qu'inquiétante pour moi qui aie peur de me faire remplacer.

Arrivées devant la file pour la zone d'embarquement, elle se tourne vers moi et me fait un câlin qui me gêne plus qu'autre chose... Mais dont je profite car ce sera peut-être le dernier.

— Bon, ben j'y vais hein ! dit-elle en se retournant.

— Ouais...

— Dès que j'ai du wifi en arrivant sur place, je t'envoie un message. D'accord ?

— Comme tu veux.

Ma réponse un peu trop froide la force à se tourner vers moi et à m'éloigner de la file d'attente. Elle met ses mains sur mes joues avant de les presser pour m'obliger à faire la grimace et de me dire ce que j'attends depuis que j'ai appris son départ :

« Je ne t'oublierais jamais. »

Les larmes me montent aux yeux, ses bras viennent m'enlacer alors que je fonds en larme près d'elle.

Elle me connait bien. Elle sait que je garde tout pour moi mais elle a su trouver les mots justes.

Un dernier bisou sur la joue et la voilà partie, séchant une de ses larmes avant de me faire un grand sourire et de s'engouffrer dans le flot de passagers.

Je reste une bonne demi-heure de plus à l'aéroport pour voir son avion partir mais aussi pour bien garder en mémoire ce moment.

Elle ne m'oubliera pas et je ne l'oublierais pas. Jamais.

https://youtu.be/KRFHiBW9RE8