Jemini entra dans la salle d'une démarche féline, ses Louboutin marquant chacun de ses pas et suivant à la perfection le rythme de la musique joué par le jazz-band.

Tous les yeux étaient rivés sur elle et ses longs cheveux lisses rouge cerise arrivant jusqu'à ses hanches. Sa frange parfaite sublimant ses yeux aussi noirs que le charbon et son rouge à lèvres appelant aux baisers.

La femme habillée d'une jupe tailleur noir et d'une chemise blanche s'installa par habitude à sa banquette préférée, seule. Elle n'eut pas besoin de faire un geste qu'un serveur lui apportait déjà son Singapour Sling.

Du gin, du kirsch, du jus de citron, du sirop de canne à sucre et de l'eau gazeuse : le mélange parfait pour commencer sa soirée.

« Bonsoir. »

À peine installée que l'on venait la déranger.

Jemini leva la tête vers son interlocuteur masculin, un homme en costume bien propre sur lui qui devait avoir au moins une dizaine d'années de plus qu'elle. Un type qui la déshabillait du regard et qui s'était dit naïvement qu'il avait sa chance avec elle.

Sauf qu'elle n'était pas une proie. Elle était une prédatrice.

— Vous êtes seule ? Je peux me joindre à vous ?

— Pourquoi ?

— Pour vous tenir compagnie dans la solitude.

— Peut-être que j'aime être seule.

— Laissez une si belle femme comme vous dans son coin, c'est un crime.

— Deux nous deux, c'est moi la criminelle.

— Ah oui ? Pourquoi ça ?

— C'est vous que je vais tuer si vous ne déguerpissez pas de ma vue dans la seconde.

Le regard assassin de Jemini prouva le sérieux de sa réplique et l'homme repartit immédiatement, la queue entre les jambes. Elle soupira en se massant les tempes avant de se laisser porter par la musique tout en fermant les yeux.

Elle avait passé une journée exécrable. Entre les conférences téléphoniques avec ses partenaires à l'autre bout du monde, ses réunions chronophages et son assistant incompétent, elle n'avait envie que de deux choses : l'alcool glissant dans sa gorge et une bonne baise.

Mais en regardant son téléphone portable, elle savait qu'elle n'aurait que l'une d'entre elles.

Lorsqu'elle saisit enfin le verre apporté par le serveur, elle fut surprise d'y trouver sur le dessous de table un minuscule papier qu'elle déplia avec précaution : un numéro.

Jemini tourna la tête vers le bar avant de chercher des yeux celui l'ayant servi, sans succès.

« Ne puis-je pas avoir la paix deux secondes ? » pensa-t-elle en reposant le papier et en buvant une gorgée du breuvage alcoolisé.

C'est au cinquième morceau et au deuxième verre qu'elle s'y intéressa à nouveau, plus par ennui qu'autre chose.

Elle sortit son téléphone, entra le numéro sur Whatsapp et envoya un message clair et sans ambiguïté :

« Qui que vous soyez, vous n'êtes qu'un trouillard. Peur de m'aborder directement ? Je n'ai pas de temps à perdre avec les hommes qui ne portent pas leurs couilles. »

La réponse ne tarda pas à arriver et manqua de la faire recracher sa boisson :

« Femme féline intouchable, imprenable, impénétrable, toi et moi, nous allons jouer. »

Jemini fixa son téléphone, à la fois curieuse et las. Son interlocuteur voulait jouer avec elle... Après tout, pourquoi pas ? Elle s'ennuyait, avait besoin de se détendre et cet inconnu était sa seule distraction ce soir.

— Ma maman m'a dit de ne pas jouer avec les inconnus.

— Tu écoutes tous les conseils de ta mère ? Bonne fille. Mais ce soir, je te propose de faire ta crise d'adolescente et de te rebeller.

— Qu'est-ce que j'y gagne ?

— Un orgasme.

— Tu es direct, pervers.

— Appelle-moi monsieur M.

— Appelle-moi Jemini. Je préfère te donner ma véritable identité mais qui me dit que tu n'es pas un psychopathe ?

— Tourne la tête. Le troisième homme en partant de la gauche accoudé au bar, c'est moi.

Elle hésita un instant avant de se retourner et d'observer le fameux « M » dos à elle. Un homme en costume, les épaules larges et visiblement musclé, la peau noire et le crâne rasé, ses doigts jouant avec sa chevalière.

Sans le voir de face, Jemini savait déjà qu'il était à son goût.

— Me montrer ton dos, ça n'enlève pas le fait que tu puisses être psychopathe.

— J'ai payé ton Singapour Sling.

— Je suis une grande fille capable de payer mes propres consommations.

— Cadeau de la maison pour une habituée.

Elle tourna à nouveau la tête, observant l'homme et espérant qu'il se retourne après lui avoir annoncé l'information : c'était lui. Le patron du club.

Jemini avait entendu des tonnes de rumeurs de ses amies sur cet homme possédant cinq grands clubs de renom dans la ville, allant du bar jazzy à la boite de strip-tease. Mais pourtant, elle n'arrivait plus à se souvenir de son nom.

— Une preuve ?

— Le prochain morceau joué par « mon » jazz-band est « Fallin' » de Dr. Saxlove.

Et bien évidemment, il avait eu raison. Jemini n'avait pu s'empêcher de sourire avant de se lever de sa place et de quitter la boite tout en tapant frénétiquement sur son écran tactile.

« Parfait monsieur M, je suis joueuse alors jouons ensemble. »

À suivre...

https://youtu.be/gJZnhCZrgYo