Je suis une rose. Une rose violette foncée tirant presque sur le noir. Une rose que tout le monde admire mais que personne ne peut cueillir. Pourquoi ? Parce que quiconque me touche meurt aussitôt. Je suis une rose toxique, empoisonnée pour le plus grand malheur des amateurs de fleur rare. Me toucher revient à accueillir la faucheuse à bras ouverts. Ma tige inflige une mort lente et atrocement douloureuse. Mes épines quant à elle, provoquent une mort instantanée. Je suis la solution à beaucoup de problèmes insolvables. Les personnes qui s'intéressent à moi ne tiennent plus à la vie ou ne veulent tout simplement plus rester dans ce monde. Nombre d'âmes ont risqué leurs doigts sur mes épines pour m'offrir à leur dulcinée sans réel succès à part le décès au bout du chemin. 

     Je n'ai jamais désiré avoir ce pouvoir. Je n'ai jamais voulu séparer les gens qui s'aiment ni attirer ceux qui souhaitent se donner la mort. Je voudrais être une simple fleur, sans parfum ni réelle beauté. Juste une fleur que les enfants cueillent pour l'offrir à leurs parents. Je rêve du jour où un Homme m'arrachera à la terre qui m'a vu grandir, stoppant ainsi ma propagation de meurtre et ma toxicité. Comment pourrais-je continuer de vivre ainsi ? Pourquoi ne puis-je pas tout simplement arrêter de tuer ? Je n'ai jamais désiré cette vie. Pourtant c'est ainsi. Je dois faire avec. Ne pouvant que prier pour qu'un bourreau vienne rapidement m'exécuter. N'est-ce pas triste d'en arriver là ? Une simple rose avec une conscience qui au lieu de vouloir vivre préfère mourir. Personne ne devrait avoir ce genre de penser. 

     Ma toxicité détruit les autres mais revient à me détruire moi-même à petit feu. Je finirais bien par un jour me piquer avec ma propre épine, achevant ma vie. Les journées se ressemblent toutes, le jour devient nuit et la nuit devient jour. Les humains passent, cherchent à me cueillir pour certains avant de mourir pour que d'autres les remplacent rapidement à mon pied. Je finirai par ne plus rien avoir à faire et pourtant cela me touche toujours autant. Je finirai par ignorer les cadavres sous mes racines, leurs noms, leurs visages. Chaque chose qui a fait que l'être sous terre était humain avant d'essayer de me cueillir. Tout ça, je l'oublierai petit à petit. Comme ma conscience qui disparaîtra peu à peu, rongée par la culpabilité.

     Un nouveau jour commence. Il ressemble au dernier. Quelqu'un vient pour me cueillir. Il mourra lui aussi. Je suis toxique. Je ne peux que semer la mort autour de moi. Aucunement le bonheur. Ni le ressentir d'ailleurs. Pas depuis que les morts ont commencé à pleuvoir. 

     Il s'empare de la tige, prenant garde aux épines. Il veut donc mourir lentement. Mais là où les autres m'auraient déjà relâchée, lui sort une lame de sa poche et sectionne le cordon qui me reliait à ma mère. Il me porte à son nez et sens mon parfum. Je peux voir un sourire sur ses lèvres alors qu'une larme coule sur sa joue. Il s'allonge alors dans l'herbe, me posant sur son torse et commence à me parler. Il m'explique pourquoi il fait ça. Que pour lui, je devais souffrir atrocement de toutes ces souffrances que je provoquais autour de moi. Que je devais en avoir assez, avoir envie que tout se stoppe. Il me parle alors d'une vie à laquelle il avait toujours pensé sans pouvoir l'avoir. Ecorché cent fois sans pour autant connaître le bonheur. Culbuté de droite à gauche par de nombreuses personnes avant de cesser toute type d'attachement. Parce qu'ils étaient toxiques volontairement. J'ai envie de lui demander en quoi je suis différente et pourtant, aucun mot ne sort de moi. Après tout je suis une rose. Alors viens ma réponse sans que je ne puisse lui demander :

"Tu ne souhaites pas faire le mal. Et tu détruits toi-même. Autant mourir avec une personne qui veut la même chose que moi..."

     Sa voix devient faible. J'ai du mal à rester éveillée. J'ai atrocement soif. Mais c'est mieux comme ça. Je peux voir une dernière chose avant de perdre connaissance. Il sourit. Merci... Alors tu as vécu entouré de personne toxique, tu as décidé de te tourner vers moi pour pousser ton dernier soupire. Pour que nous fassions notre dernier voyage ensemble. Merci...