5# Messager
Quand les premiers rayons du soleil se montrèrent par sa fenêtre, Léonard osa enfin sortir de son lit. Il n'avait plus rien vécu de paranormal, depuis le rendez-vous au cinéma, mais sa maison était particulièrement calme, à part le sifflement de la cocotte sur le gaz. Sa mère était en train de cuisiner. Elle le regarda d'un air inquiet.
— Ça va, mon chéri ? demanda-t-elle. Tu es cloîtré dans ta chambre depuis ce matin...
— Ce matin ? Mais il est quelle heure ? lança le jeune homme, étonné.
— Il est bientôt midi.
Il avait donc dormi ? Il ne voulait pas le croire. La peur lui noua soudainement l'estomac et il pâlit à vue d'œil.
— Papa n'est toujours pas rentré ? dit le lycéen pour changer de sujet.
— Non, il est toujours là-haut, répondit sa mère en montrant le pic du mont qui surplombait la ville. Il a pu trouver de quoi m'appeler, là-bas, il m'a dit qu'il ne reviendrai pas avant un ou deux jours... Tu connais ton père : il peut rester là haut une semaine puis revenir à la maison comme si de rien n'était !
Léonard acquiesça et prétexta qu'il devait aller se doucher. En entrant dans la salle de bain, il retroussa entièrement ses manches, de peur d'avoir d'autres marques qui se seraient taillés pendant son sommeil. Heureusement, seules celles qu'il avait reçu hier y demeuraient. Il décida alors d'enlever tout ses vêtements : il voulait s'assurer qu'aucune autre partie de son corps n'en était couverte.
Il n'avait rien sur les jambes, rien sur le sexe, rien sur le ventre, mais c'est en parcourant son dos avec ses doigts qu'un frisson lui parcourut l'échine : il était taillé, Léonard pouvait encore sentir la bosselure des plaies, et la douleur que son simple toucher lui procurait ne pouvait se traduire que par une blessure du même type. Il se tourna tant bien que mal vers le miroir pour y deviner l'inscription, mais il ne voyait rien. Il saisit alors la petite glace qui appartenait sûrement à sa mère pour refléter celle accrochée au mur et ainsi voir ce que l'entaille disait. Il était écrit "VOLEUR", en lettres capitales, comme les autres messages que l'esprit étrange lui avait envoyé. Il sursauta quand il vit la silhouette dans le réflexion du grand miroir, au fond de la salle. L'ombre faisait face au jeune garçon, mais il ne la voyait pas. Elle était immobile, silencieuse, en attente.
— Qu'est-ce que vous voulez ? demanda fébrilement le lycéen.
— Vengeance, dit alors la voix qu'il avait entendu la veille.
— Vengeance de quoi, bordel !? J'ai rien fait, moi !
D'un geste désespéré, il jeta la petite glace qu'il avait en main là où était censé se trouver le fantôme. Quand elle se brisa au sol, Léonard fut violemment projeté jusque dans sa douche par une force mystérieuse et la lumière se mit à clignoter sévèrement. Il se releva d'un bond malgré la douleur du choc, mais la porte se ferma à son nez. Il criait de toute sa voix, appelait vainement sa mère comme un enfant perdu, frappait du poing sur les parois de la douche en espérant qu'elles se brisent, mais rien n'y fit : il était enfermé dans le petit carré, nu et misérable face à un démon.
— Tue-la ! dit ce dernier, d'une voix déconnectée de tout corps.
— Mais qui ? pleura le jeune garçon. Qui !?
— Tue-la ! répéta le monstre.
Soudain, la douche s'alluma. Le liquide qui en sortit n'était autre que du sang, qui aspergea le corps entier du lycéen, qui en recracha avec dégoût. Le jet en propulsait dans toute la douche, ne permettant pas à Léonard de l'éviter. Le seul moyen était de comprendre ce que l'entité lui voulait. Il pensait à Amandine, mais pourquoi devrait-il la tuer ? Il ne pouvait pas s'y résoudre, de toute manière.
— Tue-la !
— Pourquoi !?
— Vengeance ! s'obstina la voix.
Le jeune garçon réfléchit alors à tout ce qu'il pouvait. Il demanda plusieurs fois à l'entité de lui dire exactement, mais plus il posait de questions, plus le jet devenait puissant et le recouvrait de sang de la tête aux pieds. La douche se remplissait aussi petit à petit, et ses chevilles baignaient déjà dans le liquide. Soudain, Denis lui traversa l'esprit : il se dit que les événements étaient peut-être liés, et que ce n'était pas un hasard.
— Le timbre !? s'écria-t-il.
Brusquement, la douche s'éteignit, la lumière cessa de clignoter et la porte s'ouvrit, laissant échapper une coulée de sang. Léonard s'étala alors de son long sur le carrelage, en sanglot. Il se redressa et ralluma prudemment la douche : de l'eau en sortit, à son grand soulagement. Il se passa rapidement sous l'eau et se rhabilla sans même prendre le temps de s'essuyer. Il devait récupérer le timbre au plus vite. Si c'est cela que veut la silhouette, alors peut-être qu'elle ne fera pas de mal à Amandine et arrêtera de le tourmenter. Il s'élança jusque chez sa petite amie, mais tomba nez-à-nez avec sa mère, qui jonchait sur le sol du couloir de l'entrée. Elle avait été alerté par les cris de son fils, mais avait été blessé par des petits bouts de verre qui lui transperçaient le ventre. Il l'assit puis lui assura qu'il reviendrait au plus vite. Elle semblait tellement choquée qu'elle ne pouvait pas dire un mot : néanmoins, le jeune garçon savait qu'elle n'était pas en danger de mort. Il n'avait plus de temps à perdre.
Enfin arrivé chez sa copine, Léonard frappa à la porte. Amandine ouvrit, et il la poussa hors de son chemin, sous son regard étonné. Il monta à l'étage sans répondre aux questions de la jeune fille, ouvrit les portes en quête de sa chambre et y entra. Le lycéen fouilla partout, cherchant le timbre, tandis qu'Amandine, choqué, lui demandait ce qui n'allait pas.
— La lettre, lança-t-il, la voix tremblante. Elle est où, la lettre que je t'ai envoyé ?
— Pourquoi tu as l'air si mal ? demanda-t-elle, ignorant la question de son copain. Ça va ?
— Non, ça va pas ! s'énerva le garçon.
Il se tourna vers sa petite amie et fut soudain prit d'une grande envie de lui tordre le cou. Il se mordit les lèvres, n'arrivant pas à le croire : l'entité était en lui. Elle avait, par un quelconque moyen, pris possession de son corps, et lui insufflait de tuer sa copine.
— Donne-moi la lettre, vite ! Je t'en supplie ! sanglota Léonard.
— Pourquoi ?
— J'en sais rien, merde, arrête de poser des questions !
Il frappa violemment du poing sur le bureau qui se trouvait à côté de lui, laissant la jeune fille bouche bée. Nerveuse, elle s'exécuta enfin, sortit une petite boîte de sa penderie et la tendit au garçon, qui la saisit aussitôt. Puis il s'enfuit de la maison, s'excusant sincèrement à Amandine, en larmes, qui ne comprenait et qui, de toute manière, ne pouvait pas comprendre ce qui se passait.
Dehors, le ciel devint gris et la pluie tomba à grosses gouttes sur le visage du jeune garçon. Il serrait la boîte contre sa poitrine, comme un messager portant un message des plus important, dont sa simple livraison sauverait le monde. Il courut à en perdre haleine jusqu'à la boutique de l'antiquaire. Il passa au travers des bandes qui condamnaient l'entrée et entra dans le sous-sol. Il ouvrit la boîte qui contenait la vieille lettre de Denis et découvrit avec effroi qu'elle n'y était pas. Il se jeta à genoux à terre, criant à gorge déployée, puis blottit son visage dans ses mains.
— Tue-la, résonna alors la voix.
— Mais pourquoi !? s'énerva Léonard, serrant son crâne comme s'il pouvait tuer l'entité de cette manière. Le timbre te suffit pas !?
— Non.
Le jeune garçon lâcha alors sa tête, le regard écarquillé. C'était la première réponse directe que lui donnait l'esprit.
— Donc, qu'est-ce qui va se passer, si je remet le timbre sur la lettre ? demanda-t-il, d'un ton étrangement calme.
Il avait tellement l'impression que tout cela ressemblait à un rêve qu'il n'arrivait plus à sentir autre chose que de la haine, et avait l'impression d'être impuissant quoiqu'il arrive.
— Vengeance, lui répéta la voix.
— Et bien tu n'as qu'à me tuer moi, moi seulement ! Je m'en bat les couilles, de toute manière !
— Je sais.
Quand l'ombre dit ces mots, le lycéen bondit et sortit de la boutique à grandes enjambées. Instinctivement, il se tourna dans la direction où se trouvait sa maison et des larmes perlèrent sur ses joues. Quelques dixièmes de secondes plus tard, une grande explosion retentit, et un nuage de flammes orange s'éleva au-dessus des toits avoisinants sous la pluie battante. Sa maison venait d'exploser, tuant à coup sûr sa mère. Tout ça, s'était de sa faute.
Il accourut sur les lieux de l'explosion : la maison était réduite en cendres, mais toutes celles environnantes demeuraient intacts. Le lycéen erra dans les débris, totalement abasourdi. Tout ce qu'il reconnut au milieu de ce paysage de désolation fut le corps calciné de sa mère et la cocotte qui chauffait avant la détonation.
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