4# Miettes

Léonard avait appris la mort de Denis deux jours après son décès, en voulant lui rendre visite. Quand il arriva devant la boutique, le jeune garçon trouva un groupe de policiers qui lui expliqua qu'on l'avait assassiné pendant la nuit. Son cœur se serra et il se retint de pleurer : le vieil homme représentait beaucoup pour lui, et il ne s'attendait pas à ce qu'il se fasse tuer. C'était un antiquaire simple, à qui on n'avait pas de raison d'en vouloir. Le lycéen voulait lui annoncer qu'il était maintenant en couple avec Amandine, suite à sa lettre, et qu'il devait se retrouver au cinéma cette après-midi. Ce n'était pas son premier rendez-vous avec elle, néanmoins : mais il ne voulait annoncer ça sans savoir si ça durerait.

Ils étaient déjà fou amoureux l'un de l'autre avant que cette lettre ne les pousse à faire le pas. Ça se ressentait dans leur regards, dans leur gestes, dans leurs paroles. Ils paraissaient sortir ensemble depuis plusieurs années déjà, tant ils se complétaient et pourtant, ça ne faisait que quelques jours.

Léonard se rendit donc à son rendez-vous la boule au ventre. Il était dévasté par la mort de son ami, mais devait en faire abstraction pendant le temps qu'il passerait avec sa petite amie ; et après tout, c'est ce que le vieillard aurait voulu. Alors il prit sa mine la plus enjôlé et embrassa Amandine.

— Alors, qu'est-ce qu'on va voir, comme film ? demanda-t-elle, enroulant ses bras autour du sien.

— Oh, c'est "Demain, on se reverra", je crois. C'est un film d'amour, ça devrait être sympa.

La jeune fille acquiesça, toute sourire. Elle se fichait un peu du film : tout ce qu'elle voulait, c'est passer du temps avec son copain. Ce dernier paya les places et ils s'installèrent au centre de la salle, pour profiter au mieux de la diffusion. Le cinéma se trouva particulièrement vide : quelques personnes, surtout des couples, étaient aussi présentes, mais ce film n'avait pas l'air d'attirer grand monde. Néanmoins, les deux tourtereaux ne s'en plaignirent pas. Après tout, ça leur donnait plus d'intimité qu'il n'en voulait.

Le film commença, et l'introduction fut particulièrement long. On montrait des trains bondés de soldats quitter la gare, avec comme annotation : "Août 1914 : la guerre est déclaré, tout français apte à combattre est mobilisé". S'ensuivit une présentation brève du personnage principal, Jean Couturier, un ouvrier qui quittait sa femme, Anne, pleurant son départ. Le chef de gare agita une cloche.

Le train est prêt à partir ! s'écria-t-il pour que ça voix porte plus haut que le brouhaha des soldats et de leur famille.

Puis il répéta cela quelques pas plus loin, s'arrêtant devant chaque wagon pour répéter son avertissement. Jean décrocha un dernier baiser à Anne.

— Je ne veux pas que tu partes ! sanglota-t-elle, le tenant fermement, comme si elle empêcherait le train-même de quitter le quai.

Jean colla sa main sur sa joue et vissa son regard confiant dans les yeux de sa bien-aimée.

— Je t'aime, dit-il simplement, tout aussi bouleversé qu'elle. Mais demain, on se reverra.

À ces mots, le train siffla, et les roues se mirent en marche. Lentement, le train quittait la gare, embarquant à son bord des centaines d'hommes vers une issue incertaine, une guerre que beaucoup redoutait, et qui signait déjà la mort de plusieurs d'entre eux. Les femmes et les enfants suivaient leur mari ou père au pas de course, jusqu'à la terminaison du quai, agitant leur mouchoir, criant le nom de leur amant, ou simplement "Papa !" avec une innocence qui fendait leur cœurs des parents qui s'en allaient après un dernier au revoir. Mais Anne, elle se tenait droite, et regardait le train partir au loin, sans dire un mot.

Le reste du film se concentrait principalement sur l'épouse qui tentait de ne pas sombrer suite au départ de son mari. On la suivait dans son quotidien devenu maussade, dans son effort de guerre quand elle devait travailler à l'usine et de son combat pour ne pas oublier l'homme qu'elle aimait et la promesse d'un lendemain où il reviendra sain et sauf au foyer. Elle était accompagné de ses amis, qui était pour la plupart non-mariés et que la guerre n'avait donc pas vraiment affecté, en contradiction avec l'enfer que vivait Anne.

C'est alors que, pendant une scène avec Jean, à l'aube de la guerre des tranchées, abrité dans un des fossés, Léonard fut prit d'une douleur insoutenable au bras gauche. Il serra les dents pour ne pas qu'Amandine ne le remarque mais heureusement, elle était tellement absorbée par le film qu'elle ne remarqua rien. Il se pencha vers elle quand la douleur s'apaisa un peu et lui dit qu'il devait aller aux toilettes. Il quitta la pièce, faisant mine de rien, puis se précipita jusqu'aux cabinets. Il se dressa face à un évier et releva la manche de son pull : son avant-bras était ensanglanté presque jusqu'au coude. Heureusement, son haut était pourpre, et on ne voyait pas la tâche qui s'était sûrement formé. Ce qui inquiétait surtout le jeune garçon, c'était que la blessure semblait s'être taillée seule. Le cœur battant, il passa la plaie à l'eau, mais, quand le sang dégagea l'entaille, elle avait l'air déjà cicatrisée. Le lycéen fut pétrifié en voyant ce que formait cette blessure : elle faisait les mots "TUE-LA" en lettres maladroitement tracés à même sa chair. Il commença à trembler, les yeux fixés sur son étrange blessure. Mais quand il leva les yeux, son cœur fit un bond : dans le miroir, il aperçut une silhouette à la place de son reflet, comme s'il était lui-même cette ombre étrange.

Tue-la, dit alors une voix d'outre-tombe.

Il sursauta, un frisson lui parcourant l'échine. Les lumières se mirent à clignoter, et les portes des stalles à battre lentement. "Tue-la", répéta l'esprit malfaisant.

— Non, bafouilla-t-il, fixant peureusement la silhouette immobile qui se dressait en face de lui.

À ce simple mot, les battants des stalles s'ouvrirent brusquement, faisant bondir Léonard. Il se retourna vers la glace, mais la silhouette avait disparu. Il en profita pour s'enfuir. Pourtant, la porte ne s'ouvrait pas, et la lumière se ralluma soudain. Sur les murs, de longs filaments noires se dirigeaient vers le jeune garçon. Il continuait de forcer la poignet, mais rien n'y fit. Alors, il se recroquevilla au sol, impuissant face à ce qui ressemblait à des veines conscientes, qui finirait par l'atteindre et sûrement le tuer. C'est alors qu'il vit par où elles semblaient venir : les filaments sortaient de par derrière le verre réfléchissant. Alors il se releva, serra les poings et frappa violemment dans la glace, la réduisant en miettes. Par chance, il ne se coupa pas, ni ne se brisa les doigts contre le carrelage. Sur ce dernier, un message tracé au sang noirci, qui composait également les veines disait "PROCHAIN". Soudain, au même moment, ces dernières cessèrent de longer les murs et s'étalèrent en flaque à leurs pieds. Déboussolé, le lycéen put enfin s'enfuir. Il regagna sa place devant le film, qui était en train de se terminer : Jean était rentré chez lui, tenant sa promesse, et jurait à Anne qu'il ne la quitterait plus jamais et que leur amour ne fanerai pas même après leur mort.

Les quelques minutes de plus qu'il passa en ces lieux le mettaient mal à l'aise : et s'il se faisait attaquer ici ? Il se retournait sans cesse, et Amandine remarqua ce comportement étrange. Il lui assurait que ça allait, en prenant son sourire des plus convaincants. Les crédits apparurent enfin et il s'empressa de quitter le cinéma en tenant fermement la main de sa petite amie.

Il la quitta devant chez elle, avec un profond regret, puis courut à perte d'haleine jusqu'à chez lui. Il ignora sa mère, qui lui demandait comment son rendez-vous s'était passé et s'enferma à double-tour dans sa chambre.

Il inspecta sa plaie en espérant qu'elle avait disparut, mais elle était toujours aussi profonde. Il se recroquevilla dans son lit et serra son crâne entre ses mains, les yeux humides : qu'est-ce qu'il allait advenir de lui ? Mais surtout, il pensait à Amandine. La silhouette qui l'avait attaqué n'était pas morte ou n'avait pas disparut.

Au fond de lui, il savait qu'elle était là, quelque part, qu'elle le suivait, l'épiait sans répit, et peut-être se trouvait-elle déjà dans sa chambre, prête à lui tordre le cou. Mais le reste de la nuit, ses seules compagnons ne furent qu'une peur immense et un silence effrayant.

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