3# Pinces

La mort de Denis Bourdet restait un mystère pour les services de police. Un de ses clients avaient trouvé son corps ce matin, et ils avaient passé le reste de la matinée à quadriller le magasin en quête de chaque indice.

L'inspecteur George Marat arriva en début d'après-midi, attendu impatiemment par l'équipe des forces de l'ordre. Ce dernier était connu pour sa méticulosité et son efficacité, et on avait fait appel à lui car les circonstances de la mort du vieillard étaient pour le moins mystérieuses. 

— On dirait qu'il s'est fracassé le crâne contre cette horloge, expliqua le médecin légiste qui était sur place en montrant l'horloge détruite qui pendait encore au mur.

L'inspecteur enfila ses gants en latex et étudia la cabine du coucou. Les battants s'étaient brisés sous la violence du choc, mais il n'y avait rien à l'intérieur de l'horloge en bois : pas de mécanisme, pas d'oiseau ni même de poussière. Marat demanda aux policiers s'ils avaient touché à l'horloge auparavant, mais ils nièrent en bloc. Le médecin légiste s'approcha du corps.

— On pense qu'il est tombé et s'est cogné contre ça, mais...

— Mais un seul impact n'aurait pas suffit, finit George. Regardez comment le bois est solide.

— C'est ce qu'on a remarqué aussi, affirma le médecin. Vous pensez qu'on l'a assassiné ?

— C'est une piste. Je peux inspecter le corps ?

— Bien entendu.

L'inspecteur s'agenouilla à côté du vieil homme : il semblait ne pas avoir été manipulé depuis la veille. Il était allongé sur le dos, le visage tourné vers la gauche, cachant la fracture de son crâne qui se trouvait de l'autre côté de sa tête. Il retourna donc le vieil homme. C'était sur son front que se trouvait l'impact central, un trou énorme qui découvrait presque l'intérieur de son crâne. Malgré le nombre d'affaires sur lesquelles il avait enquêté, c'était bien l'une des plus violentes que l'inspecteur avait vu, et il se retint de ne pas vomir de dégoût.

Mais ce qui attira son œil également fut le haut de son pyjama, froissé au niveau du cou. Il se dit que l'agresseur présumé l'avait saisi par le col avant de le tuer, mais aucune trace de sang n'était à déplorer à ce niveau, alors que ses épaules en étaient imbibés.

— Regardez, dit Marat à l'inspecteur en montrant ce qu'il avait trouvé. On l'a attrapé par le col, donc on l'a attaqué. Mais... (il se tourna vers l'horloge fracassée) son agresseur le tenait en le tuant.

Le médecin tiqua.

— Vous voulez dire que le meurtrier l'a frappé contre le mur depuis le mur ? C'est insensé !

— L'horloge est vide, mais moi-même je ne comprends pas. Regardez, il n'y a pas de sang sous son col, alors qu'il aurait dû être totalement ensanglanté. Vous avez une lampe ?

L'un des policiers lui tendit une lampe de poche et il éclaira l'intérieur du petit cabanon : du sang séché recouvrait presque entièrement la paroi du fond. L'inspecteur n'en croyait pas ses yeux. Il fit part de sa découverte au médecin, qui était de plus en plus perdu.

— C'est comme si le tueur avait passé sa main à travers le mur et l'horloge pour attraper sa victime, constata ce dernier, abasourdi.

— Je ne sais pas quoi en penser, sincèrement. Peut-être qu'on trouva d'autres indices dans la boutique. Vous avez déjà fouillé les autres pièces ?

— Oui, on a trouvé une boîte avec une lettre à l'intérieur, sur un piédestal, et il manquait le timbre. Mis à part ça, on a rien trouvé d'autre. Ah si ! lança soudain le médecin. Il y a une porte fermée, mais on vous attendait pour l'ouvrir.

Avec l'aide d'un policier, qui possédait une clé universelle, Marat et le médecin légiste s'enfoncèrent dans la pièce. Avec la lampe, l'inspecteur l'éclaira rapidement : c'était un grand garage, sombre, au milieu duquel trônait un bateau blanc, dont on devinait la forme sous la bâche qui le couvrait. Sur son flanc était marqué "La Marianne" en bleu océan, effrité par l'âge. 

— Marianne ? Il me semble que c'est le nom de sa femme, indiqua le médecin.

— Et où est-elle, maintenant ? demanda George.

— Elle est morte depuis au moins 10 ans.

L'inspecteur s'approcha du battant rouillé du garage et appuya sur un bouton, qui l'ouvrit lentement dans un lourd fracas, laissant pénétrer la lumière du soleil dans la salle poussiéreuse. Il se dirigea vers le bateau et monta sur l'estrade. C'est alors qu'il tendit l'oreille.

— Vous entendez ? demanda-t-il au médecin.

Ce dernier se concentra et se tourna vers le bateau, l'air intrigué. Sous le bout de plastique, on entendait un léger brouhaha, comme des milliers de galets qui roulaient sur le plancher. Fébrilement, l'inspecteur retira la bâche. Des dizaines, centaines, voire millier de crabe en sortirent alors tel un flot, faisant trébucher Marat. Il fut enjambé par les crustacés, qui claquaient leurs pinces avec férocité, comme s'ils cherchaient à se venger d'un emprisonnement prolongé en tuant leur bourreau. Ils s'enfuirent par la porte de garage ouverte, rivière vivante qui cherchaient une source dans laquelle se jeter. George se releva et s'épousseta, bouche bée. Le médecin regardait les crabes s'en aller avec étonnement, et ne savait pas quoi dire. Sans attendre, l'inspecteur sauta de nouveau sur l'estrade du bateau et se pétrifia. Des pinces sectionnés y gisaient, surplombant des marques de sang. Il se rendit alors compte que les traces rouges formaient un seule et unique mot : "TRAHIE".

Il ordonna au médecin légiste d'envoyer un échantillon au laboratoire, à traiter en urgence. Ce dernier le rappela le lendemain même.

— Monsieur l'inspecteur ? C'est moi, le Dr. Quartaut. On a les résultats d'analyse... (Il prit une grande inspiration, et sa voix paraissait inquiète) c'est le sang de Marianne Bourdet.

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