1# Timbre

Léonard avait enfin terminé la lettre pour sa dulcinée : une jeune fille aux cheveux blonds qui lui tombait juste sous les épaules tels une cascade d'or, qui brillait de joie de par son sourire lumineux et sa mine parfaitement douce. Elle répondait au doux nom d'Amandine, que le jeune lycéen trouvait parfait quand il voyait qui le portait. Il n'avait jamais vu de fille si belle auparavant, et il voulait lui faire savoir de la plus romantique des manières, bien que démodée maintenant : une lettre parfumée dans laquelle il avait posé ses pensées avec délicatesse. Il devait avoir noirci trois pages avec son amour fou pour la belle blonde et il les relisait avec crainte. Si cette déclaration ne lui plaisait pas, il n'aurait plus aucune chance avec elle.

Il arrêta de réfléchir, plia les pages et les mit dans une belle enveloppe dont il avait prit grand soin. Mais quand il la ferma, il remarqua qu'il avait oublié de mettre un timbre. C'est alors qu'il se mit en tête de trouver un timbre parfait, un timbre qui symboliserait sa flamme : éclatant, unique et surtout, qui lui rappelait la fille de ses rêves.

Léonard connaissait bien l'antiquaire de la ville : M. Bourdet, un vieil homme sympathique qui s'était lié d'amitié avec lui, car il lui rappelait sa jeunesse. En entrant dans la boutique, "Les trésors de Marianne", le gérant leva joyeusement les bras au ciel et serra le lycéen.

— Léonard, mon bon Léonard ! s'enjoua-t-il. Qu'est-ce qui t'amènes ici, mon garçon ?

Ce dernier expliqua son idée, et plus il avançait dans son récit, plus Bourdet écarquillait les yeux d'émerveillement, ému. Il invita Léonard dans l'arrière-boutique et ils s'assirent tout les deux à la table pour boire un jus de pomme que l'homme avait pressé le matin-même.

— Tu sais, commença le vieillard, j'avais une femme, bien avant de m'installer ici et d'ouvrir cette boutique. La première fois que je l'ai vu, au lycée, elle ne m'ait pas sorti de la tête pendant des jours et des jours et, une fois, j'ai décidé de franchir le pas. J'ai rédigé une lettre, je l'ai parfumé, et je lui ait envoyé. Quelques jours plus tard, elle s'est approché de moi, m'a montré la lettre et m'a embrassé. Depuis ce jour, on ne s'est pas quitté jusqu'à ce que... jusqu'à ce qu'elle décède. On a bien passé une soixantaine d'années ensemble, et je n'en regrette aucune. Mais cette lettre, je l'ai encore avec moi. Viens.

M. Bourdet se leva difficilement et emmena Léonard dans le sous-sol du magasin. Là-dessous, tout était poussiéreux, comme on pourrait l'imaginer pour une cave au plancher grinçant. Mais une lumière brillait entre les étagères, dessinant les toiles d'araignées qui se dressaient entre les bibelots gris et anciens. Sous la lampe se dressait une petite table sur laquelle reposait un coffre. Le vieil homme saisit une clé dans la poche de sa chemise, la plaça soigneusement dans la serrure, l'encocha et ouvrit la boîte. Dedans se trouvait une enveloppe, parfaitement bien conservé, blanche comme à sa création et qui contrastait sérieusement avec le reste de la pièce. Sur cette enveloppe, un timbre, brillant, lumineux sous le faisceau pâle, dont les bords étaient dorés et qui représentait une femme à la chevelure blonde. Le jeune garçon resta béa de surprise : ce timbre était parfait. Le vieil homme aperçut la lueur dans les yeux de Léonard et, souriant, il décolla lentement le timbre, pour ne pas abîmer la lettre. Il lui donna non sans quelque regret : ce timbre représentait pour lui un souvenir de toute une vie. Mais en voyant le lycéen, M. Bourdet comprit qu'il devait passer la main à la nouvelle génération, et c'est avec fierté qu'il léguait cela à son jeune ami. Il pensa à sa femme, qui devait le regarder de là où elle était avec amour, et se prit à laisser couler une petite larme.

— Elle s'appelait Marianne, lança ce dernier à Léonard. C'est de la que vient le nom de cette boutique, aussi bien que le nom du bateau qui m'a donné l'envie de l'ouvrir.

Le jeune garçon se retourna et prit le vieil homme dans ses bras.

— Merci, je ne pourrai jamais assez vous remercier ! dit-il, presque en pleurs.

— Allez, va ! Tu ne me feras jamais plus plaisir qu'en envoyant cette lettre ! rétorqua le vieillard avec amusement.

Léonard le salua et s'élança chez lui. Il colla le timbre, qui était encore assez bien conservé pour tenir sur la nouvelle lettre et s'empressa de l'amener à la poste. Trois jours passèrent, et enfin, il reçut un appel de la destinataire.

— J'ai reçu ta lettre, dit Amandine avec timidité. Je... Je suis désolé de ne pas l'avoir remarqué avant. Tu sais, en la lisant, je me suis rendu compte que... que c'était réciproque. (Elle prit alors une grande inspiration) Je t'aime.

Le cœur du jeune homme tressaillit de bonheur : il avait l'impression de rêver. Le couple fraîchement formé parlèrent durant des heures de tout et de rien et, avant de raccrocher, Léonard posa une dernière question :

— En fait, qu'est-ce que tu en penses, du timbre ?

— Le timbre ? Attends. (Elle sembla saisir l'enveloppe et l'examiner) Ah oui, il est très joli, je ne l'avait même pas vu !

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