🔥 Semaine 1 : souvenir vécu

Oui, en effet, nous avons commencé fort. Et, je vous l'avoue, quand on m'a parlé d'un souvenir suffisamment fort pour mérité d'être raconté, j'ai pensé à celui-là. Vous comprendrez vite que ce fut douloureux à écrire, encore plus à partager. Mais souvent, les meilleures catharsis sont celles qui font mal.

***

On croit souvent que la mort est la pire épreuve que nous pouvons subir. Depuis la nuit des temps on ne cherche qu'à la fuir, la repousser, s'en cacher et s'en protéger. Mais la vérité est que la mort, ce n'est pas le plus dur. Le pire, c'est la vie de ceux qu'il reste. Le pire, c'est de devoir affronter en peu de temps la tristesse, le dénis, la colère, la détresse, la nostalgie et la solitude. Le pire, c'est les émotions qui parcourent notre cœur bien vivant, qui embrument notre esprit et humidifient nos yeux. Le pire, c'est de devoir vivre avec l'absence, c'est d'apprendre à évoluer dans un nouveau monde où une de ses composante a disparu. Le pire, c'est de repenser à cet instant, cet infime seconde où tout a basculé, où le monde a définitivement changé.

Voilà le genre de sombres pensées qui ne cessaient de tourmenter Audrey en cette longue nuit de février, assise devant un verre de whisky. Elle avait déjà souffert dans sa vie, ça oui. Qui donc peut se vanter de n'avoir jamais souffert ? Mais cette détresse qui lui sert le cœur quand elle repense à cette journée, ce désespoir qui fait trembler son verre entre ses doigts, cette détresse qui fais couler des larmes sur ses joues ça, c'est sans aucun doute le pire. Du bout des doigts, elle essuya une poussière invisible sur la table et poussa un long soupir qui résonna longtemps dans la pièce sombre et déserte.

- Ça craint, la vie, murmura-t-elle.

À qui parlait-elle ? À personne. À tout le monde. À sa chambre vide et toutes les chambres vides du monde. À ceux qui ne pouvaient l'entendre et ceux qui ne le voulaient pas. Au monde entier, dans sa profonde désillusion. Parfois, Audrey essayait de repousser ce souvenir le plus loin possible au fond de son esprit. Parfois, elle croyait qu'en cessant d'y penser suffisamment longtemps, il disparaitrait. Oui, parfois, elle était naïve. Mais elle aimait ça. La naïveté, c'est de l'optimisme déguisé. Et être optimiste, souvent, ça fait du bien.

Mais elle avait beau disclaimer la puissance de l'optimisme en journée, il n'en restait rien la nuit. La nuit et son lot de larmes noyées dans l'alcool, de désespoirs accumulé dans les cernes et de chagrin au fond du cœur. On parle souvent des plus grands jours de notre vie mais on oublie souvent que les plus important sont généralement des nuits. Quand Il est mort, c'était la nuit. Du moment où il a disparu dans les bois jusqu'à celui où il s'est retrouvé sur cette route, il n'avait que la lune et les étoiles comme seuls témoins. Mais, de fait, les jours qui ont suivis et ceux qui ont précédés ont gagnés en importance.

Ce jour-là, il faisait beau, se souvint Audrey. Un peu humide, certes, et les températures n'étaient pas bien hautes, sommes toutes un mois de février on ne peut plus normal. Juste une journée au milieu des autres, un lever de soleil semblable aux précédents, des sourires, des rires et des bavardages. Évidemment, ce matin-là, aucun d'eux ne se doutait que la soirée allait finir en drame. Mais les drames n'arrivent jamais quand on les attends, songea-t-elle. Ils nous prennent pas surprise quand on s'y attends le moins pour ensuite nous détruire et nous mettre plus bas que terre.

C'était l'anniversaire d'une de ses plus proche amie, Lila. Et ça avait été une journée super. Ils étaient cinq, non, six peut-être. Audrey compta sur ses doigts, les sourcils froncés. Non, ils étaient sept. Sept acteur du premier vrai drame de son existence. Sept joueurs dans un match qui allait droit à la défaite. Évidemment, Audrey se considérait comme le protagoniste principal mais elle savait qu'elle ne l'était pas. Elle n'était que ce personnage secondaire, cette fille en arrière-plan qui avait dit à sa meilleure amie « vous ne pouvez plus continuer comme ça ». Qu'est-ce qu'elle avait pû regretter ! Elle avait beau savoir que ça n'aurait fait que repousser l'inévitable, elle ne cessait de penser à ce qui ce serait passé si les choses ne avaient été différentes. Pas grand-chose, juste un mot, un sourire, un geste de plus. Parfois, il ne suffit que de ça.

Le protagoniste, c'était lui, Alex. Grand, brun, un énorme sourire toujours plaqué sur le visage. Délégué de la classe depuis sans doute aussi loin qu'il s'en rappelait, l'un des élèves les plus populaires du lycée, il connaissait tout le monde et été apprécié autant des élèves que des professeurs. Avant de le connaître, Audrey ne s'était jamais rendu compte que ceux qui semblaient les plus heureux en public sont souvent les plus malheureux. À cette époque, elle ne connaissait pas exactement son histoire. Et, à bien y réfléchir, elle ne la connaissait toujours pas vraiment. Elle savait que son père était mort il y a quelques années, et ça s'arrêtait à peu près là. Elle but une nouvelle gorgée de whisky, le cœur serré.
Ensuite, s'il devait y avoir un deuxième personnage principal, ce ne serait toujours pas elle mais Lila.

Lila, un peu plus jeune qu'eux tous, mais une énergie et une joie de vivre qui en faisait une amie en or. Entre elle et Alex, c'était allé très vite. Peut-être même trop vite. Ils avaient plusieurs années d'écarts. Il était déjà un jeune adulte alors qu'elle n'était encore qu'une adolescente. Après recul, Audrey était la première à dire que ça n'aurait jamais marché bien longtemps. Il aimait tout contrôler, ne jamais transgresser les horaires et vivre selon un emploi du temps bien clair. Elle, elle avait toujours été un électron libre. Essayez de la contrôler et elle vous fuiras. Et dieu sait qu'il a essayé !

Ce jour-là, ils étaient tous venus passer l'après-midi et la nuit chez Lila pour son anniversaire. Audrey, elle, était arrivée un peu plus tôt. Le privilège des meilleures amies, sans doute. Et elles avaient discuté d'Alex. Lila voulait le quitter. Pas aujourd'hui, non, pas alors qu'il venait jusque là pour fêter son anniversaire, ce serait horrible ! Mais plus tard, à la rentrée. Et Audrey, bien sûr, l'avait encouragé. Alex avait beau être un super ami, elle détestait la façon dont il dictait à Lila sa façon d'agir, la manière dont il la disputait quand elle ne respectait pas les horaires de l'internat, avec son air sévère et ses bras croisés. Oui, il était peut-être temps que leur histoire prenne fin.

Mais ce jour-là, au début du moins, ils avaient décidés de mettre le sujet de côté. De profiter tous ensemble de la présence des autres. Et, encore à cet instant, des années plus tard, seule devant son verre, Audrey sourit en y repensant. La journée avait été excellente, songea-t-elle. Une des meilleurs de sa vie, peut-être, mais elle ignorait si le bonheur de ce jour là n'était pas juste accentué par le malheur qui avait suivi. Oui, peut-être bien. Mais qu'est-ce que ça y changeait, au fond ? Ils s'étaient amusés. Ils avaient cuisiné, discuté, joué. Ils s'étaient posés dans une petite pièce remplie de couettes et de coussins, qui avait dégénéré en salle de combat à coups d'oreillers. Ils avaient ris, qu'est-ce qu'ils avaient ris !

Oui, ce jour-là, Audrey était heureuse. Pour une des premières fois de sa vie (n'était-ce pas la première d'ailleurs ?) elle était au milieu d'un groupe d'amis qu'elle adorait, qui l'estimait et l'aimait aussi, avec qui elle pouvait être elle-même, rire, jouer et parler comme s'ils étaient sa famille. Et, alors qu'ils s'effondraient tous sur les coussins, épuisés et débraillés, qu'elle-même s'endormait sur les genoux d'un garçon, elle ne savait pas encore qu'elle était au milieu d'un groupe qui, dans quelques heures, allait imploser.

Peu après, au milieu d'un après-midi humide mais ensoleillé, ils avaient quitté la maison pour aller se balader dans les environs. Bottes de pluies chaussées, manteaux enfilés, ils avaient filés comme des gamins, à sauter dans les flaques d'eaux et se courir après. Ils étaient entrés dans le domaine d'une maison abandonnée, sous la désapprobation d'Alex, qui s'étaient contenté de les regarder de loin. Lila et Audrey adoraient sortir du cadre, frôler l'interdit, jouer avec le feu... Alex détestait ça.

Audrey fit tourner son verre entre ses doigts fins, le cœur au bord des yeux. Quelle journée ! Ils étaient ressortis par le portail et avaient continué leur promenade. C'est à peu près au moment où ils avaient traversé la rivière sur un petit pont que tout a commencé à partir en vrille. Audrey se rappelait parfaitement qu'elle n'avait rien compris, sur le moment. Dans son humeur joviale et festive, elle n'avait pas compris que, si Lila et Alex étaient accoudés à la rambarde du pont, à l'écart, c'est qu'ils discutaient. Elles n'avait pas compris le regard que lui avait adressé son amie en lui faisant signe de ne pas approcher. Elle n'avait pas compris qu'elle et Alex semblaient au bord de la crise. En général, Audrey s'estimait assez intelligente mais, parfois, elle était totalement à côté de la plaque.

C'était Anna, une de ses amies les plus proches, qui lui avait attrapé le bras et l'avait entrainé loin du pont pour laisser les deux tourtereaux discuter. Quelle erreur ! Mais ils étaient tous partis, en riant et blaguant, sans se douter qu'ils étaient sur une passerelle en bois auquelle les planches commençaient à tomber l'une après l'autre et que, au pas suivant, ils sombreraient tous dans le vide. Ils avaient quitté le chemin, un peu plus loin, pour s'aventurer dans la forêt. Audrey croyait se rappelait que c'est elle qui les avaient entrainé là, dans les bois, loin, si loin du pont où se déroulait le cœur de l'intrigue.

Ils étaient restés là à discuter, rire, monter sur des troncs d'arbre, sauter au-dessus des ronces et s'échanger des piques sans méchanceté. Combien de temps ? Peut-être dix minutes. Les instants qui suivirent, elle ne s'en rappelait pas exactement. Encore une fois, elle avait été longue à la détente. Elle n'avait pas compris. Ce dont elle se rappelait c'est que, quelques minutes plus tard, ils étaient de retour sur le pont, avec une Lila effondrée et un Alex disparut.

De ce qu'elle avait appris plus tard, ils avaient discuté tous les deux, Alex craignant que quelque chose n'aille pas au vu de la distance que Lila mettait entre eux. Une chose en entrainant une autre et, sans même le vouloir, elle lui avait dit que ça ne pouvait plus continuer entre eux. Il avait essayé de la résonner, elle n'avait rien lâché. Ils avaient pleurés. Puis il était parti en courant, fuyant les démons qui le pourchassaient, fuyant les gens, fuyant eux, ses amis, fuyant la détresse et la peine, fuyant des sentiments qui menaçaient de le submerger. Quand ils sont revenus au pont, il était déjà loin.

Son meilleur ami était presque aussitôt parti en courant à sa recherche. Là, les autres sont restés un moment à consoler Lila puis se sont divisés en deux groupes pour rentrer, chacun suivant un des deux chemins. Ils ne s'étaient pas pressés. De ce qu'elle s'en rappelle, ils imaginaient tous qu'ils retrouvaient Alex à la maison, bien sagement assis dans le salon à les attendre. Audrey se souvient -oh, comment ça peut être dur de se souvenir !- qu'elle avait chanté à tue-tête un air entrainant sur le chemin du retour. Oui, ils avaient tous sombrés dans le vide mais, étrangement, ils n'en avaient pas vraiment conscience. La nuit commençait à tomber.

Les uns après les autres, ils sont tous revenus à la maison. Et, l'un après l'autre, ils emmenaient la même conclusion avec eux : « je ne l'ai pas vu ». Non, il n'était nulle part. Ni à l'intérieur, ni aux alentours. Et peut-être, peut-être bien qu'à ce moment là il n'était pas loin. Peut-être qu'il se trouvait dans les bois à côté, qu'il attendait ses amis l'appeler mais qu'il n'avait pas assez de force pour revenir et faire face à la réalité. De maintes fois déjà, la vie l'avait détruit, broyé, mis à terre et frappé, encore et encore. Chaque fois, il avait réussi à se relever. C'était peut-être simplement le coup de trop.

Audrey se rappelle qu'ils l'ont cherchés encore un long moment, jusqu'à ce qu'ils fassent nuit noire. Anna leur a dit qu'il allait sans doute bientôt revenir et tous sont retournés à l'intérieur. Lila s'est effondré sur un lit et n'a pas arrêté de pleurer. Anna est restée avec elle. Mais Audrey et les garçons, eux, ont finis par s'asseoir autour d'une table et jouer aux cartes. Qu'elle ironie malsaine ! Leur ami était là, quelque part, dehors, dans le froid, dans l'obscurité, le cœur en miette, l'esprit entouré d'un brouillard effroyable. Et eux... ils ont joué aux cartes.

- Quel bande d'imbéciles... souffla-t-elle.

Elle ne se rends compte qu'à cet instant qu'elle pleurait à nouveau. Qu'elle importance ? C'était sans doute son plus grand regret, cette nuit-là. Ils n'auraient jamais dû arrêter de chercher. Ils auraient dû l'appeler, encore et encore, le chercher, remuer ciel et terre, qu'au moins l'un d'eux le retrouve pour lui dire qu'il s'en remettrait, que la vie continuait, que même les pires épreuves finissent par être franchies. Audrey aurait voulu le retrouver et lui dire que oui, c'était triste, que oui, il avait mal à en crever mais que, non, il ne devait pas s'arrêter à ça. Lui dire qu'il était fort et qu'il surmonterait cette épreuve. Qu'il était entouré de gens qui l'aimaient... mais elle ne l'avait pas retrouvé. Pour cause, elle était bien au chaud, à l'intérieur, à jouer aux cartes.

Cette nuit-là, elle a appris beaucoup de choses. L'une d'elle était que, au beau milieu d'un tel drame, on se raccroche à n'importe quoi. On essaye de dédramatiser, d'oublier un instant, de se réchauffer le cœur les uns des autres. Voilà à quoi servaient ces cartes. Aucun d'eux n'avait oublié la situation, aucun d'eux n'étais vraiment joyeux. Mais pourtant, ils avaient joué et rigolé dans l'espoir de, peut-être, retrouver un peu de chaleur. Tout était à nouveau parti en vrille un peu plus tard – Audrey n'avait aucune notion du temps cette nuit-là, peut-être était-ce une demi-heure plus tard, peut-être une heure. Toujours est-il que le père de Lilas avait débarqué et leur avait mis un sacré savon avant de les renvoyer dehors pour repartir à la recherche d'Alex.

Ils l'avaient fait. Armés de lampes, ils s'étaient disposé le long des plus grands chemins dans l'espoir que si Alex était dans le coin, complètement perdu, il les verrait ou les entendrait et reviendrait vers eux. Évidemment, ça ne s'était pas passé comme ça. Encore une fois, les évènements qui avaient suivis étaient assez flous dans la tête d'Audrey, elle ne se les rappelait que par bride. Des cris, une sirène de pompier au loin, Lila qui pleure, Anna qui passe en courant, de l'agitation dans la nuit, un téléphone qui sonne. Ils sont regroupés devant la maison, essayant de comprendre ce qu'il se passe. Audrey se rappelle être allé auprès de sa meilleure amie, plongée dans le désespoir le plus total, pour lui demander ce qui était arrivé.

Entre ses larmes, elle lui avait brièvement expliqué ce qu'ils avaient appris : Alex était bien plus loin, près de l'étang, dans la forêt, pas loin de la route. Il s'était jeté sous une voiture qui n'avait rien pû faire pour l'éviter. Les pompiers était arrivé et l'avaient emmené à l'hôpital. Audrey ne se rappelait plus vraiment du premier diagnostic. Quelque chose comme « Thorax perforé ». Mais elle était bien trop occupée par cette détresse qui lui serrait le cœur, par sa meilleure amie tombée dans le désespoir le plus total, par les « ça va aller, il va s'en sortir » qu'elle lâchait à tout va autant pour se convaincre elle que les autres, pour vraiment prêter attention à la source exacte du problème. Elle savait qu'Alex était à l'hôpital et qu'il avait peu de chances de s'en sortir. Et c'était déjà beaucoup trop.

Les heures suivantes ont peut-être été les plus terribles. Faire face à un drame, c'est quelque chose. Ne rien pouvoir faire à part attendre le verdict, c'est autre chose. Les choses dont Audrey se rappelle sont vagues : les nombreux appels lancés pour trouver le numéro de la mère d'Alex, puis les appels à cette dernière, les coups de fil qu'elle avait elle-même lancé à ses parents, qui ne répondaient pas alors qu'elle avait besoin d'eux, là, maintenant, et qu'elle était seule face à un drame qu'elle n'était pas prête à affronter, qu'elle avait besoin d'aide et de soutien, d'eux, allez répondez bon sang, ne me lâchez pas, pas maintenant !
Puis ils s'étaient regroupés dans une petite pièce, allongés tous sur un lit. Et là, encore une fois, ils avaient recommencé à parler, à se chamailler, à faire des blagues, rire et se lancer des coussins dessus. Bien sûr, tous leurs éclats de rire sonnaient faux, aucune blague ne masquait les larmes au fond des yeux, aucune discussion n'effaçait la peur qui vrillaient le cœur. Que pouvaient-ils faire, à part essayer de se changer les idées ?

Les heures avaient passées, à la fois infiniment courte et infiniment longues. Puis aux alentours de deux heures du matin... était-ce vraiment deux heures ? Peut-être trois. Il était cette heure si tard dans la nuit qu'il en est presque tôt quand la mère de Lila était venue les voir. A son regard, chacun a aussitôt cessé de rire, de bouger, de parler, même de respirer. L'image suivante était, encore aujourd'hui, ancrée dans les yeux d'Audrey et le serait sans doute à jamais. Là, toute seule, des années plus tard, elle revoyait la mère de Lila aux yeux baissés, au visage pâle et au corps tremblant tomber sur les genoux pour leur annoncer d'une voix faible : « C'est fini ». Le silence qui suivit fut horrible. Souvent, les pires horreurs ne sont pas dans les mots, ni dans les actes, mais dans les silences. Dans les regards qui s'échangent sans un mot, dans les larmes qui coulent, dans les bouches qui s'ouvrent mais qui n'arrivent pas à sortir le moindre mot. Ce silence n'y échappait pas. Le reste s'était passé, dans les souvenirs d'Audrey, très vite.

Anna qui demande, entre la naïveté et l'espoir, si il va se faire opérer, c'est ça, c'est forcément ça, il va y avoir beaucoup de soin mais il reviendras vite parmi eux. Et à Lila de répondre que non, non il ne va pas se faire opérer, non il ne va pas revenir, il est mort, Anna, c'est fini, tout est fini.
Le meilleur ami d'Alex qui étouffe, sors de la maison, étouffe encore, crie, ce hurlement qui résonna dans la nuit noire en espérant laisser sortir tout cette détresse, ce désespoir, ce vide qu'il sent en lui.
Lila qui fond en larme, secouée par des tremblements hystériques.
Anna qui quitte la pièce pour aller pleurer un peu plus loin et les autres, qui suivent peu à peu.

Audrey, qui reste seule avec Lila et sa mère. Audrey, qui n'a quasiment pas pleuré. Non, à peine une larme ou deux. Elle doit rester forte encore un peu. Elle doit réaliser ce qu'il se passe. Elle doit aider son amie. Ce qu'elle fait, à maigre renforts d'étreintes et de mots de réconforts qui sonnent faux. Puis, quelques minutes plus tard, elle était sortie à son tour. La, seule dans la nuit froide, dans le silence, toujours ce silence, elle n'en pouvait plus du silence ! Elle avait téléphoné à ses parents, les seuls capables de lui apporter du réconfort. Et ces sonneries, dans le vide, dans le froid, dans le noir, auxquelles personne ne réponds. Forcément, ses parents dorment. Qui ne dors pas à cette heure-ci ? Et ce, message, simple et concis, qu'elle leur envoie : « Il est mort ».

Et pour la première fois, elle fond en larmes, elle éclate, elle implose en envoyant ces trois mots. Elle pleure, pleure, elle déteste pleurer, elle déteste cette soirée, elle déteste tout ! Comment les choses ont bien pû dégénérer aussi vite ? Et sa sœur, qui ne réponds pas non plus, la laissant seule, si seule, si triste, cachée dans une nuit qui n'en finit plus, à se demander comment, pourquoi, POURQUOI ?

Qu'avaient-ils fait après ? Audrey s'en rappela avec un petit rire noyé dans un sanglot. Ils avaient dormis. Ou, du moins, ils avaient essayé. Et le lendemain, dès huit heures, ils avaient été convoqués au commissariat. Audrey se rappelait parfaitement ce moment où elle était sortie de la maison, ce matin. Ce moment où elle s'était rendu compte que la nuit était bien finie, que le soleil était bien de retour, que la vie continuait, qu'elle ne s'était pas arrêtée cette nuit-là. La terre continuait de tourner, les oiseaux continuaient de voler, les gens continuaient de sortir de chez eux, d'entrer dans leur voiture et de prendre le chemin du travail. Comme si rien ne s'était passé. Comme si personne ne s'était rendu compte que, cette nuit, quelqu'un était mort. Qu'un jeune garçon, à peine la vingtaine, a eu si mal au cœur et à chaque atomes de son corps que la seule solution qu'il a trouvée était d'en finir. De tout finir. Comme si personne ne se rendait compte qu'un groupe de jeune, juste des ados comme les autres, pas plus triste, pas plus heureux, pas bien différents, venait de vivre une des pire nuit de leur vie.

Audrey avait finit son verre. Elle se leva, se sécha les yeux, posa son verre dans l'évier. Elle ne cessait de penser à cette nuit. Oui, sans doute la pire de sa vie. Et pourtant, des drames tout le monde en vivait, et parfois même des biens pires que ça. Et pourtant, pourtant... c'était son drame. Ses amis. Sa vie à elle. Et elle n'était pas prête à ça. Si elle devait en parler à quelqu'un qui venait de vivre un évènement semblable et en tirer des enseignements, voilà ce qu'elle dirait : lors d'un tel drame, particulièrement lors d'un suicide, mais pas que, tout le monde se sent coupable. Chaque acteur se dit que, oui, d'une manière ou d'une autre, il aurait pû éviter ça. Qu'il aurai pû changé ce qui c'était passé et éviter le désastre. Et c'est peut-être vrai. Audrey aurait pû dire à son amie de ne pas quitter Alex tout de suite. Elle aurait pû resté à proximité, sur le pont. Elle aurait pu le chercher mieux, plus longtemps. Et peut-être qu'en fin de compte, il ne serait pas jeté sous cette voiture.

Mais peut-être aussi cela n'y aurait rien changé. Certains diront que le destin était écrit ainsi mais Audrey refusait de croire au destin. Alex était profondément mal jusqu'aux tréfonds de son être. Si Lila ne l'avait pas quitté ce jour-là, elle l'aurait quand même fait plus tard. Et même si elle ne l'avait pas fait, il n'aurait pas supporté encore bien longtemps le désordre dans son cœur.

Non, la culpabilité est une réaction normale. Mais il ne faut pas qu'elle vienne vous dévorer le cœur, grignoter votre esprit et agiter vos nuits. Car jamais ressasser un évènement à s'en détruire l'esprit n'a permis d'en changer la chute. Ce qui est fait est fait. Voilà ce que vous devriez comprendre. Il est dur de l'accepter, encore plus de le surmonter mais vous verrez, le temps finit par passer. Il n'efface rien mais adoucit les blessures et fait brûler à nouvelle cette étincelle de vie en vous. Peut importe à quel point c'est dur, peut importe à quel point vous avez mal : il y a encore quelqu'un part, souvent plus près que vous ne le pensez, de la lumière, de la vie et de l'amour. L'obscurité finiras par se dissiper et le soleil réapparaitras. La terre continuera de tourner, les oiseaux continueront de voler et les gens continueront de vivre leur vie et vous, oui, vous qui vous croyez si perdu, si loin de tout, si éteint, vous reprendrez part à ce monde et vous recommencerez à sourire.

Et, je vous l'assure, vous serez à nouveau heureux.

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