Et si on se rencontrait ?

Le 1er mai était un jour férié. Et il n'y avait qu'une chose qu'Anathéa détestait plus que les jours fériés qui l'obligeaient à rester cloîtrée dans sa chambre : c'était la chaleur étouffante qui y régnait. Combien de fois lui avait-on promis qu'un ingénieur spécialisé viendrait réparer cette foutue climatisation ? Ce n'est que quand elle ôta la dernière couche de vêtements qu'elle pouvait enlever, se retrouvant enfin avec son uniforme le plus simple : un débardeur et un short beaucoup trop moulant, qu'elle décida d'agir. Si elle restait là, elle allait finir en tas de cendres fumantes. Elle se leva et se dirigea droit vers le mur dénudé, d'un blanc aveuglant, et appuya sur le bouton noir qui y était posé.

— Je dois aller aux toilettes, clama-t-elle tout haut.

Elle croisa les bras et, le pied tapant nerveusement sur le sol, attendit. Après une, deux, trois minutes à suer toutes les gouttes de son corps, elle entendit des bruits de pas. Elle se précipita vers la porte, qui s'ouvrit pour laisser apparaitre un des gardiens. Elle s'arrêta net, pencha la tête, observant l'homme, ses cheveux courts d'un blond cendré, sa mâchoire carré et ses yeux vert brillant. Tiens, remarqua-t-elle, un petit nouveau. Au cours des deux mois passés enfermée ici, elle avait eu l'occasion de voir à peu près tous les gardes assignés à son service et elle parierait que celui-là venait d'être récemment affecté.

L'homme, habillé tout de noir, fit un pas dans la pièce et plissa le nez. Peut-être à cause de la chaleur, probablement davantage à cause de l'odeur de transpiration ambiante. Anathéa, quand à elle, poussa un long soupir alors que l'air frais du couloir s'engouffrait dans la pièce. L'homme sortit une tablette, y jeta un coup d'œil puis regarda à nouveau la femme, perplexe.

— Vous êtes allée aux toilettes il y a deux heures déjà. Vous connaissez la règle.

— La règle ? répéta la jeune femme, à bout de souffle. Ecoutez, ce que ne dit pas votre règle, c'est que ma foutue clim est cassée et que je crève de chaud ici. Alors je transpire tout ce que je peux transpirer, et je suis obligée de boire deux fois plus pour compenser. Seulement, ce que je bois, je dois aussi le vider, nan ?

Elle arqua un sourcil interrogateur. Elle savait qu'avec certains gardes, jouer la carte des émotions pouvait la faire obtenir ce qu'elle voulait, tandis qu'avec d'autres, c'était plutôt celle de la logique. Elle espérait avoir fait le bon choix en optant pour la seconde option, mais tenta tout de même un peu d'émotion :

— S'il vous plait, murmura-t-elle. Juste quelques minutes hors d'ici.

Le garde, qui commençait lui-même à transpirer sous son uniforme, finit par hocher la tête d'un coup sec. Il se contenta d'un « allez, venez », puis se recula d'un pas pour la laisser passer. Anathé se fendit d'un grand sourire et, entre l'instant où elle commença à avancer et celui où elle arriva dans le couloir, le remercia une demi-douzaine de fois. La porte se referma derrière eux et elle avança dans le couloir, le garde sur ses talons. Elle se mura dans le silence, sachant que les gardes appréciaient rarement sa loquacité, et profita de l'air frais qui régnait dans ce couloir blanchâtre. Elle marchait doucement, consciente que plus tôt elle arriverait aux toilettes communes, plus tôt elle devrait retourner dans son enfer personnel.

— Qu'est-ce qu'il lui arrive, à votre clim ?

Anathéa sursauta et leva la tête vers le garde à ses côtés, pas certaine que ce soit lui qui ait parlé. Elle plissa les yeux, hésita, puis dit calmement :

— Cassée, depuis des semaines. Tous les jours, on me dit qu'on viendra me la réparer demain. Il faut croire que ce « demain » n'arrivera jamais.

L'homme resta impassible, le regard planté droit devant lui. Anathéa se mordit la lèvre, continua à avancer, comptant chacun de ses pas. Elle était déjà à vingt-sept quand l'homme reprit la parole, la faisant à nouveau sursauter :

— Je connais un mec qui travaille aux machines. Je lui dirais de passer.

Pour le coup, la jeune femme en perdit le compte. Elle papillonna des yeux, fronça les sourcils, esquissa un sourire qu'elle essaya de contenir.

— Demain ? demanda-t-elle, espiègle.

— Aujourd'hui.

Elle leva la tête et cru apercevoir, sur le visage si impassible du garde, un début de sourire. Elle le remercia du bout des lèvres et baissa la tête sur ses pieds, rougissante. Ils ne dirent plus rien, marchant en silence, et lui ne lui demanda même pas d'accélérer le pas. Une minute plus tard, Anathéa vit la seule fenêtre du couloir, donnant sur l'extérieur. Comme à chaque fois depuis qu'elle était ici et qu'elle passait devant, elle ralentit. Ses yeux étaient attirés par cette fenêtre comme un papillon par la lumière et, comme lui, elle savait qu'elle lui brulerait les yeux. Mais, inévitablement, on la forçait à avancer, et elle ne voyait l'extérieur que fugacement.

Mais cette fois était différente. Alors qu'elle tournait la tête, ralentissait, dévorait des yeux chaque parcelle du monde extérieur qu'il lui était donné de voir, elle remarqua du coin de l'œil que le garde fit de même. De lui-même il s'arrêta, face à la fenêtre, les traits du visage figés mais, brillant dans ses yeux, le même mélange d'espoir, de nostalgie et de tristesse que dans ceux d'Anathéa. Elle s'arrêta à ses côtés et, son épaule frôlant la sienne, laissa son regard vagabonder à l'extérieur. Ils restèrent silencieux, longtemps, d'un silence déplacé au regard de leur situation. Si quelqu'un les avait surpris ainsi, ils auraient tous les deux fini au trou.

Mais il n'y avait personne.

— Je n'ai jamais voulu être là, vous savez, murmura la jeune femme, des larmes dans les yeux, le visage contre la fenêtre. Je n'ai pas eu le choix.

— Tout le monde à le choix, rétorqua le garde d'une voix douce, sans la regarder.

— Je devais protéger ma famille. Ils... ils ont besoin de cet argent.

Nouveau silence. Elle repensa à ses parents, ses frères et sœurs, tous ceux qu'elle avait laissés derrière-elle. Elle regrettait d'être ici, oui, mais pour rien au monde elle ne changerait son choix si elle avait à le refaire. Elle jeta un coup d'œil au garde. Que pouvait-il comprendre de tout ça, lui ? Comme s'il sentait son regard accusateur sur lui, l'homme pinça les lèvres.

— Oui, murmura-t-il, on a tous le choix. Et j'ai choisis de partir, j'ai choisi de quitter ce monde qui n'avait plus rien pour moi. Quand plus personne ne vous attend le soir, quand plus personne ne rentre de l'école pour se jeter dans vos bras, quand tout ce que vous avez un jour aimé vous a quitté pour que vous vous retrouviez seul avec vos souvenirs... partir le seul choix acceptable. Partir, d'une manière ou d'une autre.

Une larme coula sur la joue d'Anathéa. Elle refusa de le regarder, interdisant à ses yeux de quitter une seule seconde le monde extérieur qu'elle voyait dans toute sa splendeur. Aurait-elle pu imaginer qu'un garde, si dur, si insensible, aurait pu un jour lui raconter ça ? Elle se rendit compte à quel point il était seul, plus seul qu'elle-même dans sa chambre étouffante, plus seul qu'il ne l'était même avant dans sa maison vide et triste. Et, subitement, elle eut envie de se retourner et d'enlacer cet homme juste pour qu'une seconde, il réalise qu'il n'était pas seul. Pour qu'il ne décide pas de partir à nouveau, définitivement, là où personne ne pourrait le rattraper.

Mais l'homme se détourna, lui attrapa le bras et la força à avancer.

— Allez, il faut y aller maintenant.

Anathéa obéit en silence, jetant un dernier regard à travers la fenêtre. Ses yeux s'attardèrent sur le vide intersidéral qui régnait dehors, d'une noirceur incomparable et, au milieu, de cette planète bleue qui s'éloignait, seconde après seconde, jour après jour. Sa planète, qu'elle avait quitté et sur laquelle elle ne reviendrait jamais. Et elle comprit que, oui, partir était parfois le seul choix acceptable. D'une manière ou d'une autre...

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Hello ! Je reviens après un looong moment pour vous partager un petit texte, écrit dans le cadre du concours PinkLock. Le principe ? Écrire de la romance, sortir des clichés, suivre des contraintes qui deviendront de plus en plus dures au fil des épreuves. Cette fois-ci, nous devions écrire la rencontre entre deux futurs amoureux dans un lieu imposé et (ceux qui connaissent mes écrits ne sont pas surpris), j'ai choisis le vaisseau spatial :)

Qu'en pensez-vous ? Si vous avez aimé, n'hésitez pas à laisser une étoile, ça sera important dans le concours ! Je vous laisse également aller faire un tour sur le profil de apprenti0auteur pour suivre le concours si ça vous intéresse, et voir ce que les autres ont fait sur le même thème !

Des bisous <3

Et merci à l'organisatrice du concours (qui ne me sanctionnera pas, je l'espère, pour mes quarante mots au-dessus de la limite) 🙄🥲

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