Chapitre 59 - Déconnexion

Média : The Spoils – Massive Attack

Mardi 22 octobre 2019

En sortant des toilettes, j'informe Elisabeth que je rentre chez moi simulant une indigestion. Je sais que ce n'est pas bien de mentir surtout en étant la fille du patron mais je suis terrassée, émotionnellement incapable de retourner à mon bureau et reprendre le cours normal de la journée.

J'envoie un SMS à Nina pour la prévenir que j'arrive, j'ai besoin d'aller me réfugier auprès de mon amie. Je sais que Nate n'est pas encore rentré du boulot et ça m'arrange. Déjà qu'il n'estime pas beaucoup Robin, j'imagine très bien les commentaires désobligeants, et je n'ai pas besoin de ça pour le moment. Mon cœur est suffisamment meurtri par mon entretien avec l'autre.

Nina ouvre la porte en bondissant pour m'accueillir, enjouée par l'exaltation de me retrouver. Mais elle déchante vite en découvrant mon visage ravagé.

— Ma Loulette ça ne va pas ? Tu es malade ?

Je n'ai pas le temps de parler que j'éclate en sanglots en tombant dans ses bras. Je me suis retenue de pleurer depuis le bureau mais là devant mon amie je ne peux plus faire semblant.

— Oh la la, viens là ma puce, on va s'asseoir, me guide-t-elle en me soutenant jusqu'au canapé.

Je laisse couler le flot de larmes, libérant la douleur qui oppresse ma poitrine. J'aimerais que cela fasse moins mal, mais j'ai toujours cet étau qui me serre le cœur. Nina me tend un verre d'eau, je tente de boire une gorgée qui me permet de retrouver un semblant de raison.

— C'est Robin, tenté-je d'expliquer entre deux spasmes, il s'est bien foutu de ma gueule. Il a quelqu'un d'autre, elle s'appelle Amber...

Rien que de prononcer son prénom, mon estomac se noue à nouveau et je cours aux toilettes pour recracher le verre que je viens juste d'avaler. Nina me caresse le dos tandis que je me redresse tout doucement à bout de forces.

— Calme toi ma Loulette. Tu vas tout m'expliquer depuis le début car je ne comprends rien. Tu semblais si heureuse hier.

Le constat est amer, il y a à peine quelques heures, j'étais confiante et épanouie, pleine d'espoir dans ma relation avec Robin et à présent je suis une loque pitoyable. Je rassemble le courage qu'il me reste et commence mon récit depuis mon séjour en Angleterre. En me remémorant ces moments de complicité, mon cœur se fend et je me transforme de nouveau en fontaine.

J'arrive à retrouver mon calme et lui raconte mon retour ici, mes vêtements disposés dans son dressing. La tête me tourne à essayer de décrypter ce qui a bien pu m'échapper au fur et à mesure que j'explique à Nina le comportement attentionné de Robin jusqu'à ce matin. Lorsque j'aborde mon rendez-vous avec Amber, j'ai de nouveau des hauts le cœur. Même si cela me déchire, je relate le moindre détail de mon entrevue avec la grande blonde.

— Putain mais c'est incompréhensible, explose mon amie. J'ai vu comment il te dévore du regard, soit c'est un très bon comédien soit c'est elle qui ment. Donne-moi ton téléphone, on va l'appeler !

— Non laisse tomber, je ne veux plus jamais entendre le son de sa voix. Il s'est bien foutu de moi, c'est tout ce qu'il y a à comprendre. Il a dû lui sortir la même sérénade pour la charmer. C'est une victime elle aussi j'en suis sûre. J'en veux surtout à Daniel. On travaille ensemble, j'avais confiance en lui. Il aurait pu me mettre en garde.

— Et il était où cet après-midi ?

— Il est parti en déplacement avec ma mère pour acheter de l'or, ils rentrent jeudi. Quant à Natasha, j'avais l'impression qu'elle m'appréciait un peu plus depuis son rapprochement avec Sandro.

— Je suis désolée ma puce, conclut Nina en me serrant dans ses bras.

Mes larmes ne coulent plus mais la douleur n'est pas moins intense. Je ne veux plus essayer d'analyser les faits car ma tête va exploser comme mon cœur en mille morceaux.

Nous buvons une tisane lorsque Nate rentre du travail. Mon ami m'embrasse l'air suspicieux, je lui fais un grand sourire pour masquer mon émotion même si mes yeux rougis doivent me trahir. Tandis qu'il prend place sur le canapé à côté de nous, Nina fait diversion en lui sautant au cou.

Mon téléphone émet un son me signalant l'arrivée d'un message, machinalement je consulte mes SMS. Une boule se forme dans ma gorge en découvrant l'expéditeur.

De Robin : « Pas de nouvelles de toi mais je sais que tu es avec tes amis. Profite bien de ta soirée. Je pars demain à Chicago, rendez-vous avec un client important. Je te téléphone dès que je peux. Hâte de te retrouver. Bonne nuit mon Ange.»

— Il va me rendre dingue, m'emporté-je en jetant mon smarphone sur la table basse.

— C'est l'autre prétentieux ? J'ai bien vu que ça n'allait pas. S'il t'a fait du mal, avec Sandro, on va le défoncer, s'emballe Nate.

—  Du calme chaton, temporise Nina. Il faut juste que Bella se repose. Tu dors là ce soir ma Loulette.

J'arrive ce matin au travail avec une tête affreuse. Il faut dire que je n'ai pas beaucoup dormi de la nuit. Après m'être couchée dans la chambre de Nina, j'ai été prise d'un gros coup de blues. Mes sanglots étaient tellement violents et incontrôlables que Nina est venue me rejoindre pour me cajoler. Avec sa présence rassurante à mes côtés, j'ai réussi à sombrer dans le sommeil mais je me suis réveillée à plusieurs reprises avec des bouffées d'angoisse, perdue dans les méandres de cette réalité cauchemardesque.

Je salue brièvement Elisabeth qui est au téléphone et cela m'arrange, je vais pouvoir me planquer dans mon bureau toute la matinée.

— Bonjour Bella, m'interpelle Alessandro. Oh la la ça n'a pas l'air d'aller mieux. Mais qu'est-ce que tu as bouffé pour être dans cet état ? On a pourtant mangé le même repas que toi hier et on n'est pas malade avec papa.

— J'ai grignoté un gâteau qui traînait dans mon tiroir avant de descendre en rendez-vous, ça doit être ça, mentis-je.

— Ouais j'espère surtout que tu ne couves pas un truc. Papa est fragile en ce moment, il ne faudrait pas que tu le contamines.

— Non t'inquiètes. Je vais rester enfermée dans mon bureau aujourd'hui comme ça j'éviterai le contact avec les collègues. Allez, je file. Bonne journée.

Je m'installe derrière mon ordinateur avec mon Thermos de café et me lance dans la création de la montre destinée à Robin. Après tout, Amber est une cliente comme une autre et je me dois d'honorer sa commande. Et puis, cette nuit entre les crises de panique, j'ai des idées qui me sont venues pour orner le cadran. Je connais bien Robin maintenant alors je vais lui composer un bijou qui correspondra parfaitement avec son caractère et ses passions, en plus d'être un présent pour son anniversaire de la part de sa compagne.

Après plusieurs heures de travail sur mon logiciel, je fais pivoter le prototype 3D sur mon écran. Comme Robin aime ce qui est épuré, je suis restée sobre. Une fine clé de sol en argent traverse le cadran de part en part. Du coup, j'ai eu l'idée de teinter le fond de blanc et de noir façon Yin et Yang autour de la note de musique. Le point noir du symbole étant l'écran numérique de la montre connectée et le point blanc une petite balle de golf. Les aiguilles sont des clubs de golf miniature. J'ai ensuite apposé la marque WithArmanini convenue par le partenariat sur le fond noir. Il aura ainsi mon nom sous les yeux lorsqu'il consultera l'heure. J'espère qu'il culpabilisera bien du mal qu'il m'a fait à chaque fois. Sur le fond blanc j'ai hésité à apposer mon logo avec les AA entrelacés formant des ailes d'ange mais je l'ai réservé pour le dos du cadran en gravure, il comprendra. A la place, j'ai mis ses initiales RV comme me l'a demandé Amber lors de sa commande.

Je suis assez fière de ma création, ce sera mon cadeau d'adieu.

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