Chapitre 29
Un léger frisson parcourt mon corps mais pas suffisant pour me réveiller. Pourtant j'ai senti le retour dans notre monde, ma peau heurtant un sol dur et froid. J'avais cru entendre mon frère avant de sombrer de nouveau.
Un frisson plus intense me secoue. Cette fois ma peau est parcouru d'une chair de poule. Cette fois j'ai froid. Je ne sens ni mes doigts, ni mes orteils. S'en ai douloureux. J'essaie de bouger pour réchauffer mon corps mais il est totalement ankylosé. Je me sens partir.
Des voix me réveillent mais pas totalement. J'ai conscience des bruits qui m'entourent. Clara et Alban parlent entre eux à voix basse. Je ne saisi pas la teneur de leur discussion mais je comprends que c'est grave. Je veux pouvoir leur dire que je suis réveillée mais mon corps est lourd et mes paupières refusent de s'ouvrir. Je n'arrive pas à bouger non plus. Je n'arrive pas à me situer dans l'espace, savoir si je suis debout ou pas. J'entends une porte s'ouvrir et se refermer. Une troisième personne vient de faire irruption. Des ombres m'entourent et m'emmènent loin.
Une vive lumière me fait ouvrir les yeux. Elle me brule la rétine à m'en faire pleurer. L'éclairage cru me donne envie de me rendormir. Autour de moi un jardin luxuriant fait d'un verger à perte de vu avec des fruits lourds au bout de chaque branche. M'habituant à la lumière, je me rends compte que je suis adossée à un tronc d'arbre à l'ombre du soleil qui semble être à son zénith. Une douce brise, chaude caresse mes bras nus. Je suis toujours vêtue de la robe blanche dont m'a revêtu Néron. Mon enveloppe corporelle ne semble pas m'appartenir. Comme si j'étais dans un rêve. Je place mes mains devant mon visage et mes doigts bougent selon ma seule volonté. Mon poignet gauche attire mon attention. Celui-ci est vierge de cicatrice et d'encre noire. Le croissant de lune a semble-t-il disparu. Un vide se fait sentir au creux de mon ventre et mon cœur semble battre plus lentement. J'essaie de me relever mais un vertige m'en empêche. Je fais une nouvelle tentative cette fois plus doucement en faisant attention à ma respiration. Une fois debout je chancelle avant de me stabiliser. Une fois sur mes deux pieds je me rends compte de la nudité de mes pieds. Je sens chaque brin d'herbe sous cette peau si sensible. L'hiver semble bien loin. Comme disparu.
Autour de moi, des arbres fruitiers, surtout des pommiers à perte de vue. J'entendais les oiseaux chanter et les abeilles bourdonner. L'odeur caractéristique des fruits gorgés de soleil emplissait mon nez. Etait-ce là le paradis ? Ou alors d'un entre-monde ?
-Tout faux, nous sommes dans ton subconscient, tes rêves si tu préfères.
Surprise je sursaute et m'éloigne d'un pas de l'inconnu qui se trouver derrière mon dos. Je lui fais face. Il s'agit une femme dont sa voix ne me permettait pas de le deviner avant de la voir. Elle sourit alors qu'elle croise ses mains dans son dos.
-Je suis désolée, mon intention n'était pas de te faire peur.
Je la détaille de la tête aux pieds. Elle est habillée d'une longue robe bleu roi, qui me semble légère de loin. Ses cheveux blonds sont coiffés d'une couronne de tresse et ses yeux translucides sont maquillés d'or. Ses épaules sont légèrement musclées, un peu carrées.
-Je suis Artémis, déesse grecque de la chasse. Hécate, que tu as déjà rencontré m'a indiquée où te trouver. Je suis surprise que tu es décidée de te réveiller ici. Nous sommes au jardin d'Eden, si tu veux savoir. Mais si cet endroit ne te convient pas, tu peux aller où bon te semble et façonner tes rêves à ta guise. Par exemple, tu peux changer tes vêtements ou alors changer de saison, de corps et tout autre chose improbable.
Elle continue de parler, me laissant sans voix. Je ne sais décidément plus quoi en penser. Oui, je suis une sorcière et oui la magie existe. Satan est en fait Néron et sa femme Lilith est une ancienne reine britannique. Alors pourquoi une déesse grecque n'existerait pas ? Après tout j'ai bien vu Hécate dans les Enfers.
- Vas-y, essaie, elle me dit.
- Que j'essaie quoi ?
- De changer de vêtement ou d'endroit.
Je pense alors à mon appartement et en effet, le décor se trouble pour laisser place à un lieu familier qui m'est réconfortant. Je souffle doucement, soulagée, même si je ne sais pas ce que cette déesse attend de moi. Elle inspecte mon petit salon.
- Comment te sens-tu ?
- Bien je suppose. J'ai eu de la chance, je dis soucieuse du pourquoi cette question.
- Ce n'était pas une question superflue que je te posais. Elle mérite plus de réflexion et donc une réponse plus approfondie de ta part, dit-elle en se tournant vers moi et en ancrant son regard dans mes yeux. Je te repose donc la question. Comment te sens-tu ?
Je veux ouvrir la bouche pour répondre de nouveau la même chose mais un poids énorme s'abat sur moi, m'empêchant de répondre.
Le vide dans mon estomac se fait ressentir de nouveau. J'ai cette impression qu'il me manque quelque chose, comme si j'avais perdu une part de moi-même. Pourtant je me sens physiquement bien. Or, ce n'est pas totalement vrai. Je me sens essoufflée, courbaturée. Chacun de mes mouvements commencent à me faire mal. Je regarde Artémis qui semble impassible, attendant que je mette des mots sur mon état de santé. Je suis prise de fatigue et n'arrive pas à aligner mes pensées dans le bon ordre. Je suis acculée par tous les maux du monde. Mes émotions sont à fleur de peau me faisant presque pleurer. Cette rapide introspection de moi-même me fait comprendre que je n'ai plus la protection du loup-garou qui était lié à moi et que par conséquent, je suis désormais seule et mourante, dans mes rêves.
Je m'écroule au sol, le souffle court que je peine à reprendre. Ma gorge est irritée et chaque déglutition est une douleur insoutenable. Des souvenirs lointain, perdus à tout jamais dans ma mémoire d'enfant remontent à la surface. Je suis consciente de ce fameux jour d'été qui a fait basculer ma vie. De ce second jour où j'ai revu ce petit garçon pour la dernière fois de ma vie. Enfin je me rappelle ce jour qui semble à la fois être hier et aujourd'hui. Ce contact qui m'a donné un sursis.
-Voilà ce que je voulais. Tu n'arrive peut-être pas à mettre des mots sur tout ça mais c'est exactement ce que j'attendais de toi.
Elle s'accroupit devant moi et relève mon menton d'un doigt pour que je puisse me noyer dans son étrange regard.
- Tu as ma bénédiction depuis que tu es liée à ce loup. Ainsi que celle de Perséphone et Hécate. Ce qui s'est passé en Enfers n'aurait jamais dû arriver. Tu es née pour diriger Aglaé, pour diriger une meute. Tu es une sorcière comme il en existe très peu. Tu es douée d'empathie et ça ton Grand Prêtre ne l'a pas compris. Tu es une dirigeante, un leader, et les loups te reconnaissent comme tel. Tes parents se sont sacrifiés pour toi car ils connaissaient ton potentiel même s'ils voulaient te le cacher. Ils voulaient que tu vives et c'est ce que tu vas faire.
- Je suis seule, j'arrive à bredouiller.
- Non, tu n'es pas seule, tu ne l'as jamais été. Moi et mes sœurs avons surveillé tes moindres faits et gestes depuis ton enfance et sache que jusqu'à présent tu t'es débrouillée comme une cheffe. Tu es une jeune femme merveilleuse et puissante mais ça tu ne le sais pas encore car tu te caches derrière ce que la société attend de toi, ce que tes pairs attendent de toi mais ce n'est pas vers tes pairs qu'il faut de tourner mais vers les loups, tu exploiteras tout ton potentiel à leur contact. Ce vide que tu ressens en ce moment, ce n'est pas la perte de ton loup mais la découverte de ta puissance. Fais-la exploser. Exploite-la et veille à ne jamais faire mourir ce feu qui l'anime.
Elle fait une pause dans son charabia.
-Ton loup n'est pas mort, mais je sens qu'il commence à perdre pied comme toi. Il se meure comme toi. Appelle-le à toi, renoue le lien et fais de lui ton égal, ton âme-sœur.
Je suis perdue, désorientée. La faucheuse est toute proche. Je sens son souffle contre ma nuque, la lame froide contre ma joue chaude et fiévreuse. Je me sens vacillée, prête à abandonner. Artémis prend mes mains dans les siennes et souffle doucement sur le bout de mes doigts.
-Nous ne t'abandonnons pas Aglaé. Je ne t'abandonne pas.
Je me sens vaciller, partir de nouveau. Je ferme les yeux un instant. Et quand je les rouvre je suis à nouveau dans le verger rempli de pommiers aux fruits gorgés d'eau. Je suis assise au pied d'un arbre, à l'ombre des feuilles. Le soleil est à son zénith, sûrement. Il n'a pas bougé. Une brise légère vient balayer mes cheveux et rafraichir mon front trempé de sueur. Je veux me relever mais mon corps est plus lourd que prévu, à moins que je m'affaiblisse. Je pense à mon appartement mais rien ne se passe. Je suis coincée au jardin d'Eden. Au loin un aboiement se fait entendre et quand je tourne ma tête vers le bruit, je vois derrière mes paupières lourdes un chien courir vers moi. Plus il se rapproche et plus je remarque son allure élancée, musclée, son poil ras, noir et brillant. Un Doberman. Ce dernier renifle mes mains avant d'en lécher mes doigts. Il s'ébroue avant de repartir en courant. C'est alors qu'une fleur de cerisier se pose sur le jupon de ma robe blanche, plus très blanche d'ailleurs. J'attrape cette délicate fleur entre mon pouce et mon index. A peine je touche l'une de ces pétales qu'elle s'évapore laissant une trainée de poudre rose sur mon index.
Ma vue se brouille. Je bats mes paupières à plusieurs reprises pour faire partir ce voilage de ma vision mais celui-ci semble devenir plus opaque. Je commence à paniquer et ma respiration s'accélère avant de finir par me manquer. Dans un élan de survie je me lève alors que cela était impossible il y a quelques minutes de cela. Trop faibles, mes jambes ne me soutiennent pas et je me sens tomber en avant. Avant même que mon corps ne touche le sol brutalement, je ferme les yeux par instinct, pour me protéger. Ma tête cogne contre le sol faisant répercuter le coup dans ma mâchoire et chaque os de mon corps. C'est tellement violent que je perds pied.
D'un sursaut je me redresse et inspecte chaque endroit de mon corps avant même de voir où j'ai atterri. Je semble intacte mais mes pensées sont toujours emmêlées.
-Aglaé, fait une petite voix surprise sur ma droite.
Je tourne vivement la tête mais celle-ci tourne. Je gémis et observe la personne qui a prononcé mon nom. Clara. Elle se jette sur moi et encercle mon cou de ses bras.
-Cela fait plusieurs jours que je veille sur toi et ton état s'empirait d'heure en heure. Tu as fait un malaise cardiaque, on a cru que jamais tu allais te réveiller. C'est inespéré.
Elle pleure. Je le sais car je sens comme de la pluie sur mon épaule. Je sers alors son buste contre moi pour m'ancrer dans la réalité.
-Ton frère s'est endormi il y a peu, il est inconsolable, il pense que c'est sa faute. Alban vient tout juste de sortir de la chambre, dit-elle en sanglotant.
Je lui demande ce qu'il s'est passé depuis notre retour des Enfers. Elle m'explique le déroulé de ces derniers jours. Mais dans son récit il y a une chose qui ne colle pas. Elle ne fait pas mention de Gabriel. Jamais. Je lui demande un élastique pour attacher mes cheveux, elle m'en donne un de son poignet et fait un chignon lâche. Un petit cri sort de sa bouche et prend mon bras gauche avec empressement. Elle expose l'intérieur de mon poignet. Celui-ci est toujours vierge. Son regard fait des allers-retours entre ce bout de peau intact et mon visage. Je vois ses traits se déformer de douleur. Elle comprend trop vite ce que ça veut dire. Elle veut dire quelque chose mais je la coupe avant qu'elle n'ouvre la bouche.
-Qu'en est-il de Gabriel, je lui demande but-en-blanc.
Elle détourne le regard.
-Il est souffrant.
-Comment ça ?
-Il s'est affaibli depuis notre retour. Il s'est évanoui quand nous étions en train de te faire un massage cardiaque. Depuis son état s'empire d'heure en heure. Alban et le reste de la meute est très inquiète. Ils sont désarçonnés. Alban a appelé les parents de Gabriel et ils sont venus hier soir. Un médecin est venu l'ausculter mais personne ne sait ce qu'il a. Ses parents savent quelque chose mais ils ne veulent pas en parler. Ils ont essayé d'appeler quelqu'un en vain depuis hier soir mais cette personne ne répond pas.
-Où est-il ?
-Dans sa chambre.
Je me lève du lit encore faible.
-Tu fais quoi ?
-Je vais le voir.
-Mais il faut que tu te reposes, tu viens tout juste de te réveiller. Et en plus, la meute n'autorise personne à le voir. Même moi je n'ai pas le droit d'entrer dans sa chambre. C'est Alban qui me fait un rapport de son évolution.
-La meute ?
Elle ouvre grand les yeux et pose précipitamment mes mains devant sa bouche. Elle me fixe interdite. Elle sait qu'elle a commis une boulette.
-Quelle meute, Clara ?
Elle secoue la tête pour me dire non. Je lui ordonne de m'en dire plus. Elle s'excuse en disant que ce n'est pas à elle d'en parler. J'insiste mais elle s'efforce de rester bouche fermée. J'hausse le ton et la porte de la chambre s'ouvre sur Cillian qui me dévisage comme s'il voyait un fantôme. Je marche jusqu'à l'ainé de la fraternité pour me planter devant lui alors qu'il a toujours la main posée sur la poignée de la porte.
-C'est quoi cette histoire de meute, Cillian ?
Ses yeux me lâchent pour fusiller la sorcière du regard. Et là je comprends trop rapidement.
-Vous êtes tous des loups-garous ?
-Aglaé, il commence.
-Alors, toute la fraternité... Tout s'embrouille dans ma tête je n'arrive pas à savoir ce qui est vrai de ce que j'ai imaginé.
-Aglaé, m'averti le loup devant moi.
-Il faut que je vois Gabriel.
-Il en est hors de question, tu as déjà fait assez de dégâts dans nos vies. Je t'interdis de t'approcher de mon alpha.
Un doux fourmillement traverse mes doigts. Il sort et claque la porte tout en continuant de me dire ce qu'il me ferait s'il me surprenait dans la chambre de Gabriel. Sonnée, je regarde mes mains où je sentais comme des milliers de fourmis. Je sentais les mains chaudes d'Artémis, la langue douce du chien et la caresse de la fleur de cerisier. C'est alors que tout s'assemblait. Le puzzle était enfin complet. Je me tourne alors vers Clara qui était toujours près du lit. Mes mains à hauteurs de mon visage se regardais la blonde sans vraiment la regarder.
-Je sais comment sauver Gabriel.
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