Hécate est partie depuis plusieurs minutes de la pièce à l'issue de secours unique suivit de près par Lucifer et Lilith. Clara est assise à mes côtés alors que je sers Alexandre dans mes bras. Je me balance d'avant en arrière doucement afin de le bercer. Nous sommes tous les trois seuls, dans cette pièce trop luxueuse. Personne n'ose prendre la parole. Clara a voulu me sermonner mais quand mon frère a commencé à pleurer elle n'a pas osé le faire. Depuis, seules nos respirations comblent le vide et le silence. Dans un froissement de vêtement mon amie pose sa tête sur mon épaule et expire bruyamment. Je peux l'entendre penser, je peux sentir ses neurones s'activer pour me sortir de ce pétrin. Elle réfléchit aux différentes possibilités qui peuvent s'ouvrir à nous. Mais aucune ne nous sauvera.

La seule porte d'entrée et de sortie s'ouvre à grand fracas nous faisant sursauter tous les trois. Lucifer s'est changé et est désormais habillé d'un trois pièces bleu roi. Il s'avance vers nous et la porte se ferme derrière lui dans un claquement sec.

- Cette porte de sortie est à portée de main si vous vous exécutez rapidement, il fait en me regardant tout en pointant du doigt la porte derrière lui.

- Vous êtes un monstre, éructa la blonde.

- Je n'ai jamais prétendu le contraire, jeune fille et pourtant j'ai été un ange autrefois.

Sa bouche s'incurve vers le haut quand il remarque la lueur tueuse dans le regard de son interlocutrice avant de reporter son attention vers moi.

-Pouvons-nous commencer ? J'ai d'autres affaires à traiter qui demandent une attention particulière de ma part.

Contre moi je peux sentir mon petit frère qui essaie de raffermir sa prise autour de moi. Je passe alors ma main dans ses cheveux pour le calmer. Je l'entends renifler. Il pleure à nouveau. Ce qu'il a dû vivre ces dernières heures ont dû le traumatiser. Il n'a que dix ans. C'est un jeune enfant et pourtant si j'avais été dans son cas, je pense que j'aurais réagi de la même manière. Être arraché d'un environnement familier pour atterrir dans un environnement hostile rempli d'inconnu a de quoi tourmenter l'esprit et alimenter les cauchemars. J'essaie de paraitre le plus calme possible quand je passe une main tremblante dans ses cheveux blonds, et quand j'embrasse la peau laiteuse de son front. Mon cœur se déchire en deux quand je dois me détacher de lui pour le confier à la sorcière à mes côtés.

Je me lève pour faire face au diable. J'avance d'un pas mal assurer. Je commence tout juste à me questionner et à regretter mon choix.

Vais-je avoir mal ?

Vais-je survivre ?

L'homme me montre un endroit invisible m'incitant à m'y rendre. Je suis désormais au milieu de la pièce. Mes vêtements prennent feu et les cris stridents de mon frère vrillent mes oreilles. Je ne ressens pas la chaleur des flammes et les hurlements d'Alexandre ne cessent de résonner. Clara tente tant bien que mal de le retenir. Alors que les flammes se stoppent je peux toujours l'entendre gémir mon prénom. Sa voix est cassée mais il continue de m'appeler.

-Disons que c'est juste pour la forme, s'exclame Satan.

Je suis désormais vêtue d'une légère robe blanche à manches courtes qui m'arrive aux chevilles. Je suis en tenue sacrificielle. Quand je m'en rends compte une larme s'échappe de mes yeux. Je me tourne alors vers mon frère et remarque les joues humides et les yeux rouges de Clara. Un sanglot la traverse lorsque nos regards se croisent.

-Je vous aime.

Elle ferme les yeux comme pour ressentir le poids de mes mots tandis que mon petit frère reste inconsolable. J'inspire, puis expire aussitôt pour me donner du courage. J'ancre mon regard sur notre hôte. Ce dernier a un demi-sourire sur les lèvres et semble regarder par-dessus ses lunettes invisibles.

-Commençons, si tu le veux bien.

D'un claquement de doigt je suis entourée de fils rouges. Mon corps en est enveloppé et tous semblent partir de mon cœur. Au creux de mon poignet les entrelacs noirs, formant la lune, brillent doucement. La blancheur de ma robe devient rose pâle avec tous ces liens autour de moi. J'ai envie de tous les regrouper en une grosse pelote que je garderai toujours auprès de moi.

Je suis des yeux de chemin que prend ce lien sur mon corps. J'effleure de mes doigts les lignes rouges, me faisant frissonner au passage. Ce lien qui m'unit à un souvenir d'enfance fait partie de moi, il est marqué au fer rouge sur ma peau. Une marque indélébile qui m'a façonné et m'a construite telle que je suis aujourd'hui. Ce lien imperceptible qui régit mon futur depuis bien des années, me liant ainsi à une personne vivante.

Une étincelle me fait relever les yeux et dans les mains de Néron je peux apercevoir une énorme paire de ciseau en argent., il fait claquer les lames entre elles avant de s'avancer vers moi et franchir les quelques mètres qui nous éloignaient. Face à sa prestance je recule d'un pas, puis de deux avant que mon dos ne rencontre le mur. Mes poumons expirent d'un coup tout l'air et comme pour me protéger je serre mes bras contre mon buste. Alexandre réussit, je ne sais comment à échapper à Clara et accoure vers moi. Son petit corps s'abat sur le mien. Je sens ses mains s'enrouler autour d'un des liens qui longent mes côtés. Je le sens qu'il l'entortille au bout de ses doigts. J'ai envie de lui demander d'arrêter car son toucher est insupportable.

- Je veux rentrer à la maison, Aglaé.

- Je te promets que l'on va rentrer à la maison mais il faut que je règle une dette avant.

- Non, je veux rentrer maintenant.

Je regarde un peu plus loin Clara qui n'avait pas bougé. Ses yeux sont toujours aussi rouges et maintenant son nez aussi. Je ne suis même pas sûre qu'elle arrive à voir distinctement devant elle à cause de ses larmes. La voir ainsi me fait mal. Je lui impose ça alors qu'au départ je voulais juste récupérer mon frère, le dernier membre de ma famille.

Je sens une tension sur le lien qui m'unit au loup. Un fil se tend me faisant gémir de douleur. Je vois alors le diable en personne jouer avec un des fils entre ses doigts. Il fait courir la partie tranchante des ciseaux contre ce fil. Les sorcières sont immunisées contre mais pas les loups-garous. Je sens la brûlure que provoque l'argent contre le lien. C'est de la torture.

Je me retiens de hurler pour ne pas apeurer Alexandre qui est toujours accroché à moi. Des points noirs dansent devant moi. Mes muscles sont contractés au maximum et ma respiration s'est accélérée au fur et à mesure que les ciseaux se rapprochent de mon cœur. Je l'entends battre dans ma poitrine mais il n'y a pas que le mien. Un deuxième battement se fait entendre, à l'unisson du mien. C'est la première fois que je ressens ça. C'est à la fois magique et douloureux. Je fais souffrir quelqu'un qui n'a rien demandé.

Et c'est à ce moment-là que je sais que je suis en train de faire une énorme erreur. La plus grosse bêtise de ma vie.

- Non, je hurle.

- Trop tard.

D'un coup sec, j'entends les lames couper les fils.

Net et précis.

Seuls restent le battement de mon cœur et ma respiration.

Effrénés et chaotiques.

Comme un coup mortel je m'effondre sur le sol emportant mon frère avec moi.

Légère et perdue.

J'essaie de ramasser les fils rouges à mes pieds mais ils s'évaporent comme de la fumée dans mes doigts. J'essaie de nouveau mais ma vision se floute. Les points noirs reviennent et envahissent rapidement ma vision. Je sens mon corps partir.

Loin.

Ailleurs.