Chapitre 24
Je regarde Clara incrédule.
- Néron ? Comme l'empereur romain, je lui demande en chuchotant.
- C'est exact ! Enfin c'est le dernier nom mortel pour qui je suis le plus connu, s'exclame fort l'homme en cuirasse. Et ce qui m'a permis d'accéder au trône est le grand incendie de Rome et depuis personne n'a réussi à me détrôner même si beaucoup on essayé, ils ont tous échoué.
Des rires gutturaux se font entendre. Les hommes assis s'esclaffent tel des charognards.
-Bienvenue dans mon humble demeure mesdemoiselles. Lilith, fait préparer la salle de réception, nous allons diner.
La femme qui jusque-là était assise à l'autre bout de la longue table fait racler sa chaise contre le sol et part sans nous dire un mot.
- Ne faites pas attention à mon épouse. Elle a du mal à se remettre de la perte de sa dernière enveloppe corporelle. Marie Tudors a été une femme de pouvoir très charismatique. Approchez, ne rester pas planter là ! Cela fait longtemps que je n'ai pas vu de mortel !
- Si je me souviens bien, le dernier à avoir bravé ton courroux n'est pas ressorti indemne, ricane un homme tout de rouge habillé. Pourtant je l'aimais bien, il a réussi à faire régner la terreur sur terre pendant quelques années.
- Je m'en souviens très bien, Bélial. Il était excellent, dit son voisin tout en se léchant les doigts comme s'il suçait les os d'un poulet.
- Belzébuth est le démon de la gourmandise, mais il ne vous fera rien, n'est-ce pas, insiste l'incendiaire romain.
Ce dernier claque des doigts et deux chaises apparaissent autour de la table. D'un geste il nous invite, Clara et moi à nous installer avec lui.
Hésitantes, nous n'esquissons aucun geste. Le roi des Enfers réitère sa demande et mes jambes bougent toutes seules vers les sièges. Il nous pose des questions sur le monde du dessus, son fonctionnement. Clara répond tandis que j'observe les personnes autour de la table. Huit hommes et deux femmes siègent. Une des femmes m'observe. Je sens son regard inquisiteur sur moi. Elle est habillée en noir et un fin voilage couvre des bras. Son aura sombre m'enveloppe mais étrangement je n'ai pas peur. Ses cheveux noirs tombent en cascade sur son buste, son visage ne m'est pas inconnu. Elle porte un énorme collier autour du cou qui semble se mouvoir. Une de ses mains est posée sur la tête d'un chien tout aussi noir que ses vêtements. D'un coup ses yeux changent de couleur et elle me sourit. Surprise je sursaute et relâche mon attention d'elle pour écouter parler Clara qui d'une petite voix explique la création d'Internet.
La femme qui est sortie plus tôt revient en faisant un signe de la tête à son mari avant de disparaitre à nouveau.
-Il est l'heure pour moi de recevoir ses deux jeunes femmes. Mesdemoiselles, si vous voulez bien me suivre, fait Néron d'une voix enjôleuse.
Il se lève et Clara en fait de même, nullement impressionnée. Il est vrai que je m'attendais à rencontrer un homme cruel, habillé de peau humaine avec des sabots à la place des pieds. Bref, un roi des Enfers comme décrit dans de nombreux textes. Alors que mon amie trottine derrière lui, elle lui demande qui était les personnes assis à la table.
-Ce sont les personnes en qui j'ai le plus confiance ici-bas. Il s'agit des princes de l'Enfer qui représente chacun l'un des sept péchés capitaux, à savoir Asmodée, Azazel, Bélial, Belphégor, Belzébuth, Mammon et Miphistophélès. A ma droite c'était Charon, mon premier ministre et les deux femmes sont Céridwen qui règne sur l'Occident des Enfers et sa meilleure amie, Hécate mais vous la connaissez déjà, petites sorcières.
Alors que nous allions franchir une porte, la femme au chien retient l'empereur romain pour le faire se retourner vers elle. Elle est grande, plus grande que je le pensais et ses yeux ont à nouveau changé de couleur, ils ont la même couleur que la première fois que mon regard s'est posé sur elle. Ce que je prenais pour un collier tout à l'heure s'avère être en fait un serpent enroulé autour de son cou. Il siffle doucement à l'attention de Lucifer comme pour l'avertir.
- Elles sont sous ma protection.
- Je ne leur ferai aucun mal, Hécate. Je vais juste m'entretenir avec elles. Histoire qu'elles n'aient pas fait tout ce chemin pour rien.
- Ne t'avise pas de les retenir, le menace-t-elle.
- Les règles sont les règles. Maintenant, si tu me le permets, j'aimerai que tu me lâches.
Elles yeux noirs de la femme lancent des éclairs, son nez est plissé et sa bouche ne laisse apparaitre qu'une fine ligne de chair. Elle retire sa main du bras de son roi et ses yeux changent à nouveau de couleur. Ils sont bleus mais pas n'importe quel bleu. Un bleu roi, sombre, envoûtant. Maintenant que je la vois de plus près, je reconnais ses traits, ce sont les mêmes que ceux de la déesse Hécate dont la statue m'accueille tous les matins à la Trinity College depuis presque un an et demi. J'aimerai lui parler, mais je suis poussée en avant.
Dans la pièce attenante à la grande salle du temple, l'éclairage est clair et les murs sont parés de tentures rouges, or et noires. Cette pièce est remplie de richesse. Les vases sont en or, rempli de pivoines écloses et les candélabres en bronze. Un des murs est caché par du cipres. La vaisselle posée sur la petite table centrale est en argent. Sur cette table, je peux y voir des mets à profusion. Des plats sucrés, salées, des fruits juteux, des pichets remplis. Une odeur enivrante empli mes narines. L'eau me monte à la bouche. J'essaie de retenir le plus d'information, de mémoriser chaque recoin pour ne pas oublier. Tout va trop vite. Une pression se fait sur mes épaules pour que je m'assoie à même le sol devant la petite table, Clara à mes côtés. Je ne me rappelle plus la dernière fois que j'ai mangé et mon ventre me le fait savoir en émettant un gargouillement. C'est tellement tentant de tendre la main et d'apporter ne serait-ce qu'un grain de raisin à la bouche.
En face de nous, Néron s'installe après avoir préalablement retiré son armure romaine. Ses cheveux noirs semblent briller de mille feux et flottent autour de son visage. Il est désormais seulement habillé de sa toge blanche et de ses spartiates qui remontent jusqu'aux genoux. Il nous sourit et d'une main nous invite à nous servir. D'un claquement de doigt de sa part, nos verres se remplissent de vin. Je n'ai jamais bu de vin pourtant j'ai bu toute sorte d'alcool durant mes soirées lycéennes et étudiantes. Pourtant, à cet instant, j'ai envie de porter le verre à mes lèvres et de gouter ce précieux nectar.
-Maintenant, parlez-moi de votre requête.
Je regarde Clara qui a son regard de vissé sur la jarre remplie d'eau. Elle a soif, elle me l'a dit dans le désert. Elle passe sa langue sur ses lèvres gercées. Je me racle la gorge pour détourner son attention de la jarre et la mienne de tout ce qu'il y a sur la table, mais surtout pour prendre la parole. Je pose mes coudes sur le rebord de la table et essaie de reprendre contenance. Ce n'ai pas le moment de flanché.
- Vous le savez donc je ne vais pas vous cacher notre condition. Si nous sommes ici, c'est pour récupérer mon petit frère qui a été envoyé ici contre son gré.
- J'ai eu vent de cette histoire. D'ailleurs, le côté oriental de mon royaume a failli disparaitre à cause de ça. Je crois que c'est même Charon qui est allé le récupérer.
- Il n'a rien à faire de ce côté, il est vivant, il ne peut pas rester là. C'est pourquoi nous sommes venues le récupérer.
- Quelle générosité de votre part, fait Néron avec un sourire carnassier sur les lèvres. Mais le marché que vous me proposez est déséquilibré. Vous me demandez quelque chose mais en retour je ne reçois rien. Malheureusement je ne peux accéder à votre requête.
- Qu'est-ce que vous voulez alors, demande mon amie d'une voix enrouée.
L'homme face à nous se passe les mains dans les cheveux. Il semble réfléchir puis un sourire sournois apparait sur son visage. Il claque ses doigts et derrière lui une cage noire apparait, mon frère à l'intérieur.
Je vais pour me lever mais une force invisible me force à me rassoir, faisant, par la même occasion tomber les fruits sur la table par terre.
- Alex, je crie.
- Aglaé, il me répond avec un sanglot dans la voix.
- Tout ce que vous voulez, je vous donne tout ce que vous voulez à condition que vous relâchiez mon frère.
- Tout ? Vraiment ? A ces mortels, très prévisible.
J'empoigne les grappes de raisins pour les reposer sur la table. J'en fais de même avec les oranges et la demi grenade dont les pépins sont parsemés sur mes jambes croisés. Le jus de grenade coule dans mes mains jusqu'à mes coudes que j'essuie sur mes vêtements du mieux que je peux.
- J'ai la richesse, l'amour, des terres et du pouvoir, qu'est-ce qu'une mortelle comme toi a à offrir au roi des Enfers ? Du divertissement et encore un rien vous tue.
- Je peux vous offrir ma dévotion la plus totale, je propose.
- J'ai entendue parler de toi Aglaé Spokman, dans les prières de ton Grand Prêtre, et ce n'est pas joli. C'est plutôt tentant mais cela ne m'intéresse pas.
Alexandre est assis sur les fesses, les bras entourant ses jambes, les yeux rouges et les cheveux en bataille. Ses cils sont collés à force d'avoir pleuré. Mon petit frère a subi ses cauchemars les plus terribles ces dernières heures. J'imagine parfaitement sa peur. Je veux juste le prendre dans mes bras, le réconforter, combattre à mains nues ses démons. Mon regard dévie vers Clara qui maintien un contact visuel avec mon frère. L'empereur romain déchu prend un verre de vin et le bois d'une seule gorgée. Il attend une meilleure proposition de ma part.
- Je n'ai rien à négocier qui puisse vous intéresser. Faisons un échange alors, sa liberté contre la mienne.
- Non, hurle Clara. Tu ne peux pas faire ça. On repart tous ensemble, c'était ce qui était prévu. On ne se sépare pas.
Je couvre mon visage avec mes mains, défaitiste. Je n'ai rien de mieux à proposer malheureusement. Mes mains sentent la grenade.
- Ne vous battez pas pour moi, rigole le roi sans couronne.
- Je n'ai rien d'autre à proposer et tu sais que je ferais tout pour mon petit frère, je dis à la blonde.
Je me mords la lèvre inférieure, chose que je ne fais d'habitude jamais mais le stress commence à me gagner et la pression de mes dents me permets de garder les pieds sur terre, enfin façon de parler. La pression est tellement forte qu'un goût métallique empli ma bouche, se mélange avec un petit goût sucré. Je me lèche donc les lèvres pour arrêter le saignement. J'essaie de me reprendre et demande au roi des mensonges, d'une voix que j'espère assurée, de prendre ce qu'il voulait et que j'accepterai. Il a dorénavant les mains croisées devant son visage et un sourire en coin, cruel anime sa bouche.
-Très bien, je te demande 10 ans, il demande dans un chuchotement.
D'un geste de la main, la table qui débordait de victuailles est vide pour faire place à un simple jeu d'échec en bois dont la partie est déjà entamée. Il ne reste que très peu de pion sur l'échiquier. La reine blanche est en très mauvaise posture. D'un geste calme il bouge un cavalier noir. Je le regarde incrédule.
- Comment croyez-vous que je sois immortel ? Je leur laisse le choix de m'offrir ce qu'ils veulent mais au final je leur fais comprendre que je ne suis pas intéressé avant de leur demander quelques années de leur vie en échange. Ainsi, chaque mortel qui traverse mon territoire pour demander une audience repart avec une espérance de vie diminuée. Moins pour eux et plus pour moi. Et selon mon humeur je peux prendre plus. Vous avez de la chance car aujourd'hui je suis d'humeur clémente.
- Mais dix ans c'est énorme, s'étouffe l'étudiante en médecine.
- On peut négocier. Soit Aglaé me donne dix ans soit vous partager, il fait en posant son index sur la tête du cavalier.
- On partage, me fait Clara déterminée. Je ne te laisse pas porter ce fardeau toute seule. Rappelle-toi, c'est ensemble que l'on est venue ici et c'est ensemble que l'on repartira. Je peux bien sacrifier 5 ans de ma vie pour toi et ton frère afin que vous soyez réunis.
Un rire guttural résonne me faisant me tourner vers le seul homme adulte de la pièce. Il essuie fictivement une larme au coin de son œil. Une fois qu'il voit qu'il a toute notre attention, il s'arrête brusquement de rire et reprend tout son sérieux. D'une pichenette, il fait tomber la tour blanche proche de la reine.
-Quand je parlais de partager, je ne disais pas de faire moitié-moitié, je vous demandais dix ans chacune.
Avant que la sorcière à mes côtés ne fasse une objection je m'exclame haut et fort.
- J'accepte.
- Qu'acceptes-tu, Aglaé ?
-J'accepte de vous donner dix ans de ma vie.
Tout sourire, Néron retire la reine du jeu et me tend la main pour sceller le pacte entre nous. Alors que ma main tremble pour attraper la sienne, le jeu d'échec disparait pour laisser le plateau de la table vide. La moiteur de la paume rencontre les cals de la sienne et la cage qui retenait mon frère disparait. Notre échange dur que quelques secondes que déjà je me jette en larmes sur mon frère. Je l'étreins contre ma poitrine. Il me serre fort avec ses petites mains. Je passe ma main le long de son dos pour le rassurer.
- Je veux maman, il pleure.
- On va rentrer à la maison et tout va bien se passer, d'accord ?
Il hoche la tête alors que je suis incapable de lui dire que je suis sa seule famille qu'il lui reste. Je ferme les yeux un instant. Au loin j'entends Clara demander à nous laisser partir. J'entends la porte s'ouvrir et se refermer, puis des pas venir vers nous. Quand j'ouvre les yeux, la blonde s'accroupie et me serre dans ses bras.
-Tu n'aurais pas du sacrifier autant.
-C'était le seul moyen, je fais défaitiste.
La porte s'ouvre à nouveau. Lilith et Lucifer entre. Le couple infernal s'avance jusqu'à nous et Lilith commence à pleurer. Elle récupère ses larmes qu'elle donne à mon amie qui s'est relevée précipitamment en les voyant entrer.
-Elles vous permettront de quitter les Enfers pour vous rendre où vous voulez sur Terre. Il y en une pour chacun d'entre vous.
Elle verse alors ses larmes dans la main de la sorcière. Celle-ci regarde le contenu de sa main avant de relever la tête.
-Il n'y en a que deux et nous sommes trois.
-En effet, elle reste ici, fait Marie Tudors en me pointant du doigt.
-Quoi ? Mais non ce n'était pas le marché, elle a donné dix ans de sa vie. Elle peut partir.
-Elle a donné une partie de son espérance de vie pour sauver son frère. Sauf qu'elle a gouté à la grenade qui était sur la table. Elle n'est pas autorisée à partir.
Un éclair s'abat sur moi et je me rappelle l'arôme sucré dans la bouche après mettre mordu les lèvres. Comment j'ai pu être aussi imprudente ?
- Mais je ne l'ai pas vu faire, dément ma marraine universitaire. Tu n'as pas fait ce qu'elle dit Aglaé. Dis-moi qu'elle ment.
Un soupire plaintif sort de ma bouche confirmant les dires de la reine des Enfers. Alors que j'allais essayer de me défendre, la porte s'ouvre à nouveau sur Hécate cette fois.
-Je t'avais demandé de ne pas les retenir, Lucifer, elle hurle.
Son chien bondit sur Néron qui le repousse d'un geste de la main. Il glapit en tombant lourdement au sol.
-Tu connais les règles aussi bien que moi et cette sorcière a goutté à la grenade posée sur la table. Elle ne peut pas partir des Enfers.
-Très bien, qu'est-ce que tu veux vraiment d'elle ? Dix ans de sa vie ne t'ont pas suffi ?
Il sourit méchamment alors que sa femme se rapproche de lui.
-Tu me connais très bien, on dirait. J'avoue que dix ans de sa vie ne me convient pas. Je veux plus. Et tu sais très bien ce que c'est.
- Je te l'interdis. J'ai tissé ce lien avec Artémis, répond Hécate furieuse.
- Nous n'avons qu'à demander directement à la concernée.
Les trois divinités se tournent vers moi. Je suis toujours collée à mon frère. J'essaie de ne pas plier face aux regards sombres des personnes qui me font face. Lucifer s'avance un peu plus que les autres. Il s'accroupit pour être à mon niveau et s'adresse à moi comme à un enfant.
-Je suis prêt à te laisser partir avec ton amie et ton frère, à une condition.
J'hoche la tête pour lui dire que je l'écoute. Il sourit encore plus, satisfait. Il pointe de son index le jeu d'échec qui apparait par terre à mes côtés. La reine a disparu du jeu. Cette fois, c'est le roi qui est en danger. Puis il pointe mon bras gauche.
-Je te libère si tu abandonnes le lien qui te lie au loup-garou.
Seul mon frère compte. Je ne connais même pas ce loup-garou. Je suis prête à me sacrifier pour mon petit frère mais pas pour un inconnu, un souvenir d'été.
- D'accord, je fais en serrant plus Alex contre moi alors que mes yeux sont figés dans ceux de l'empereur déchu.
-Echec, dis Lucifer à Hécate quand il se tourne d'un quart vers elle.
Celle-ci fulmine. Ses yeux sont noirs. Un noir complet qui emplit tout le globe oculaire.
-Je n'ai pas dit mon dernier mot.
Elle rappelle son chien et elle sort en claquant l'unique porte de sortie de la pièce.
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