Chapitre 23

Je ne sais pas comment les sorcières de l'ancien temps pouvaient voler sur un balai car ce n'est absolument pas confortable. Le manche du balai est assez étroit, je vous laisse donc imaginer l'inconfort du voyage. En plus, Clara me serrait fort dans ses bras. Elle a failli tomber quand j'ai voulu perdre de l'altitude afin de suivre le chemin pavé. Depuis, elle ne desserre pas son étreinte autour de moi. Et si ça continue, je vais finir avec des côtes cassées.

En contrebas, le petit chemin pavé s'étend à perte de vue vers l'horizon. Nous avons dépassé la forêt. Nous survolons désormais une grande étendue de sable rouge. Divisé en deux par les pavés blancs qui filent droit devant nous.

Je ne sais pas depuis combiens de temps nous volons, je ne peux pas me repérer au soleil puisque celui-ci est toujours à son zénith et n'a pas bougé depuis notre arrivée cette nuit. Heureusement pour nous, le soleil n'est pas trop chaud et les températures sont assez agréables. Dans le creux de mon poignet gauche, mon lien avec le loup-garou de mon enfance brillait. Le marquage noir est devenu gris. Un gris étincelant qui capte les rayons du soleil des Enfers.

J'ai légèrement incliné le manche du balai pour prendre de la vitesse car le désert me semblait infini. Une bourrasque me fouette alors le visage et se prend dans mes cheveux. J'entends Clara crier dans mon oreille.

-Mon chapeau, dit-elle.

Je tourne la tête pour voir son chapeau voler derrière nous pour se déposer sur le sable couleur sang. Je ne sais pas pourquoi mais je ralenti le vol en balai pour m'arrêter et observer l'accessoire de mon amie se faire engloutir par le sable.

- C'était quoi ça ?

- Alors là, je n'ai pas envie de le savoir, je réponds. Mais une chose est sûre, nous ne devons pas poser les pieds dans sur le sable.

Je regarde à nouveau en bas et incline encore plus mon balai pour que l'on se rapproche du sol. Le sable m'a l'air parfaitement normal. J'attrape alors mon chapeau et le jette au sol. C'est là que je remarque des crabes sortir du sous-sol pour se jeter sur mon couvre-chef.

-Remonte Aglaé, crie l'étudiante en médecine. Remonte.

Je redresse alors le balai. Nous sommes désormais à une dizaine de mètres au-dessus du sol avec une vue plus large sur ce qu'il nous entoure. Personnellement, je regarde toujours l'étendue de sable qui doit surement être mortelle pour toute personne qui pose un pied dessus. Mais après réflexion nous sommes en Enfers donc les personnes qui sont ici sont déjà mortes.

- Aglaé ?

- Mmh, je lui réponds tout en essayant de comprendre ce qui se cachait sous le sable.

- C'est quoi ça, encore ?

Tout en posant sa question, elle me tape sur l'épaule et quand je tourne la tête vers elle, son bras est tendu derrière nous et pointe une masse sombre dans le ciel qui semble se rapprocher.

-Accroche-toi !

Et voilà que je prends à nouveau de la vitesse sans perdre de vue le chemin pavé. Je prie intérieurement pour voler plus vite mais je pense que nous devons être à la vitesse maximale autorisée en balai. Pourtant je ne pense pas qu'il existe une police dans les Enfers. L'air fouette mon visage et fait pleurer mes yeux. J'essaie de les garder le plus possible ouvert. Clara, quant à elle, jauge à vue d'œil le nuage noir qui se rapproche de nous. Elle me hurle de faire plus vite. Malheureusement je ne peux pas faire plus. D'ailleurs, je suis sûre que si on était chacune sur un balai nous irions plus vite.

-On dirait des oiseaux. On entend un battement d'ailes.

Je jette un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule et vois un mur noir qui s'étend du sol à très haut dans le ciel. Nous ne pouvons pas contourner ce nuage. Donc, soit, nous allons plus vite, ce qui est dorénavant impossible, soit, on traverse le nuage. Je me concentre à nouveau devant moi et devant mes yeux une grosse mouche vole en zigzaguant. Puis une deuxième ce joint à elle.

- Clara, je fais paniquée. Il n'existerait pas, à tout hasard, un démon représenté par des mouches ?

- Si, pourquoi ?

Et là, je pique vers le sol à la verticale. Le sol se rapproche dangereusement. Il nous a fallu à peine trois secondes pour atterrir sur le chemin pavé. J'ai roulé sur ce qui m'a semblé être plusieurs mètres. Je relève vivement la tête pour essayer de trouver Clara. Le nuage noir qui s'avère être un essaim de mouche me fait face tandis qu'il arrive dans le dos de mon amie.

-COUCHE-TOI AU SOL, je hurle à plein poumon. COUVRE-TOI LE VISAGE !

Elle s'exécute sans rien dire. A mon tour je me plaque sur les pavés chauds sur le ventre. Je ferme fort les yeux et la bouche tout en me couvrant les oreilles à l'aide de mes mains. Un bourdonnement se fait entendre même avec mes mains sur les oreilles. S'en est assourdissant. Je commence à sentir sur mes jambes nues de légers frôlements. Je ne peux pas relever la tête pour savoir ce qu'il se passe donc j'essaie de me repérer avec mon ouïe qui est réduite et la sensation de toucher sur mes mollets. Au départ c'est léger, puis cela devient plus lourd, plus oppressant. C'est à ce moment que je sais que le nuage passe pile au-dessus de moi. Je sens mes jambes se faire griffer, mes vêtements se froisser et mes cheveux s'emmêler. J'entends le bourdonnement dans mes oreilles. Mes tympans vibrent. J'ai envie de hurler mais je me force à garder la bouche fermer. Pour éviter de penser à ce qu'il se passe autour de moi, je commencer à compter les secondes dans ma tête.

A cinq, je sens une mouche se poser dans le creux de mon genoux droit et remonter le long de ma cuisse.

A dix, le bourdonnement commence à se faire moins important.

A trente je sens une brise chaude soulever mes cheveux.

A soixante, je relève la tête et ouvre les yeux. Le soleil brule ma rétine. Devant, le nuage noir, formé de mouches, s'éloignait. Je me relève doucement et évite de toucher le sable en bordure des pavés blancs. Je me retourne et me dirige vers Clara qui est toujours couchée face contre sol. Quand je m'approche d'elle, je l'entends renifler. Ma démarche n'a rien de naturelle après ce long voyage sur un balai. J'ai mal aux bras, aux jambes et aux fesses. En fait j'ai mal de partout. Je me concentre sur la blonde, l'appelle doucement et lui secoue gentiment l'épaule. Quand elle relève la tête, je vois ses yeux rouges, injectés de sang. Son maquillage a coulé formant des zébrures sur ses joues. Quand elle comprend que c'est terminer, elle se jette à mon cou et pleure plus fort.

-Je veux rentrer à la maison.

-Moi aussi, je lui fais doucement en caressant son dos. Mais, malheureusement on ne peut pas rentrer comme ça. Et puis on doit aller récupérer mon frère, tu te souviens. Lui aussi doit être paniqué. Il n'a que 10 ans. Nous en avons le double. Nous devons être fortes.

Elle hoche la tête peu convaincue et essuie ses larmes à l'aide d'une manche de sa blouse blanche. Elle en étale de partout. J'essaie de l'aider en demandant un mouchoir pour l'aider à se démaquiller. Une fois fait, je me mets à chercher le balai sur lequel nous volions. Je ne retrouve que des débris de bois éparpillés. Nous voici donc en plein milieu du désert sans aucun repère.

-J'ai soif, me dit Clara alors que je suis en train de ramasser les bouts du balai.

-C'est parce que tu as pleuré.

-Tu crois que si je demande un verre d'eau je vais en avoir un ?

-NON !

-Pourquoi ?

-Si on mange ou boit quelque chose ici nous ne pourrons jamais partir, tu le sais autant que moi.

-Mais j'ai soif, elle se plaint.

-Je sais et je t'interdis de demander de l'eau ou autre chose. On est arrivé ici toutes les deux donc on en ressortira ensemble avec mon frère. D'accord ? Maintenant il faut que l'on continue pour la capitale et pour cela, il nous faut un balai chacune.

Deux balais se matérialisent devant nous. Ils ressemblent aux premiers qui sont apparus quand nous sommes arrivées. J'en prends un et tends le second à Clara. Voyant son air dubitatif, je lui explique à nouveau comment faire. Cette fois nous ne sommes pas poursuivi par des âmes errantes. Nous avons tout le temps devant nous, enfin presque. J'essaie d'être le plus pédagogue possible. Ce n'est qu'après plusieurs essais infructueux qu'elle réussit enfin à décoller légèrement.

-Relève doucement ton manche pour prendre de la hauteur.

Elle s'exécute mais son geste est trop brusque. Elle me fait un looping tout en hurlant. J'essaie de la stopper, de la rassurer pour qu'elle se détende. Elle est crispée sur le manche de son balai. Bon après je me souviens de la première fois qu'elle a conduit après l'obtention de son permis et c'était pas fameux non plus. Elle est belle et intelligente, douée en magie mais dès qu'il faut être manuelle, c'est une autre paire de manches avec elle. J'enfourche alors le balai de j'avais encore en mains et me cale à sa gauche. Je l'encourage à continuer et enfin nous avançons. Bon peut être pas à la vitesse que j'avais imaginé mais au moins nous sommes plus rapide que si nous avions été à pieds. Nous avalons les kilomètres et elle ne se décrispe pas. Elle ne parle pas non plus.

Les minutes passent, à moins que ce soient des heures quand j'aperçois quelque chose briller à l'horizon. Désormais nous survolons un terrain aride fait de terre battue et de grosses pierres. Le chemin pavé semble disparaitre avec les cailloux. Cela devenait compliqué de le suivre mais maintenant, je fixais surtout l'horizon où quelque chose étincelait et semblait nous appeler. C'était notre nouveau point d'ancrage. La civilisation peut-être, si les morts sont capables de créer quelque chose dans les Enfers.

Le sol changeait à nouveau sous nos pieds. Nous avons quitté la forêt, le désert, la terre battus pour être maintenant au-dessus d'une grande étendue d'herbe de plus en plus verte. Ici aussi, le chemin se voyait à peine. Les mauvaises herbes envahissaient les pavés. Pourtant quelque chose se dégage de cet endroit. Il m'a l'air plus accueillant. J'ai presque envie de me rapprocher du sol pour que les herbes hautes caressent mes chevilles et mes mollets. Je me retiens car à mes côtés Clara n'a pas l'air à l'aise. Elle vole en tenant sa direction, sans accélérer ni ralentir. Jusqu'à présent le terrain survolé était plat. Une colline nous faisait face dont nous sommes obligés de prendre de la hauteur. Bizarrement, une musique me vient en tête. La musique dans le premier film de Narnia où se déroule la bataille finale. J'entends parfaitement la musique résonner dans ma tête. Et au point culminant de la musique nous passons le sommet de la colline. Ce qui s'étendait en contrebas me fait ralentir.

Une ville s'étend à perte de vue. Du marbre partout. Des pavés de grès et des colonnes romaines.

-Pandémonium, souffle Clara.

Nous y voilà. La capitale des Enfers. Construite sur une petite colline, dans un style gréco-romain, j'avais l'impression d'être dans un film retraçant la vie de héros antique, la pâte à modeler en moins. En haut se trouvait un temple d'or, majestueux.

D'un regard vers mon amie je vole vers la ville. A peine la frontière passée que mon balai disparait d'entre mes mains et je chute. J'entends Clara hurler une formule de temps, et ma chute ralentie. Quand mes pieds touchent le sol je suis saine et sauve. Clara, quant à elle, est toujours perchée sur son balai. Je la remercie et lui indique comment atterrir. Une fois au sol, elle s'avance vers moi tout en franchissant elle aussi la frontière de la ville. Son balai se désagrège comme de la cendre.

-Je crois que nous devons finir le trajet à pieds.

Nous avançons prudemment. Mais la capitale me semble vide. Nous évoluons dans un décor digne de l'Antiquité. A chaque croisement, un petit Hermès est sculpté. De grandes fresques sont peintes sur certains crépis, la plus impressionnante est celle retraçant le grand incendie de Rome. Le bruit de nos pas sur les pavés rompt le silence environnant. Nous continuons notre progression vers le temple fait d'or. Le centre des Enfers. La maison du diable. Lui seul saura où se trouve me frère et je suis prête à passer n'importe quel pacte avec lui afin de récupérer le dernier membre de ma famille vivant.

Nous passons la place du marché, nous dépassons le Colisée pour enfin arriver aux pieds des marches du temple. En haut, une réplique du Parthénon. J'avais la mauvaise impression d'être une fourmi face à ce monument architectural. Clara gravi la première marche et me tend la main pour en faire de même.

-Ensemble, me dit-elle.

Je vois bien à son sourire qu'elle est aussi inquiète que moi. Jusqu'à présent on savait ce que l'on faisait. Enfin on pensait le croire. Maintenant que nous sommes arrivées au but ultime, j'ai juste envie de rebrousser chemin. Je revois la naissance de mon frère. Son premier anniversaire. La première fois qu'il a dit mon prénom. La première fois qu'il a rencontré Azul. Je le revois sourire avec des dents manquantes. L'afflux de souvenirs, me fait verser une larme. Il faut que je sois forte pour lui. Je vais devenir son unique pilier. Sa seule famille. Je vais endosser le rôle de mère en plus de celui de grande sœur pour le sauver.

-Ensemble, je répète en lui attrapant la main.

Nous gravissons les marches, il y en a exactement soixante-six. Une fois en haut, nous sommes face à une grande porte faite de bois. La blonde s'avance pour l'ouvrir mais celle-ci s'ouvre toute seule.

-J'ai comme l'impression que nous sommes attendues.

Je ne la contredis pas. Après tout il doit savoir que nous avons pénétré dans son royaume. La lumière s'allume pour nous guider, nous indiquer le chemin à suivre.

-Qu'on en finisse, je chuchote.

Je lâche alors la main de ma marraine d'université et suit le chemin lumineux. J'entre dans le Parthénon. La pénombre m'accueille, m'englobe. Je veux serrer les poings pour me donner plus de courage mais les griffes de dragons au bout de mes ongles m'en empêchent. Au fond du temple, un trône, immense, fait d'or habille la pièce principale. Devant une grande table rectangulaire était occupée. Plus je m'avançais mieux je distinguais les formes.

Un homme et une femme ont pris place à chaque bout de la table. Ils sont entourés de dix personnes. Huit hommes et deux femmes. L'homme siégeant à l'un des bouts se lève avec grand fracas. J'ai pu constater sa beauté à la lumière des flammes. Ses cheveux noirs irradiaient et sa cuirasse romaine scintillaient.

-Bienvenue mesdemoiselles, nous vous attendions, fait l'homme debout en levant ses deux bras comme pour nous acclamer.

-Lucifer, je chuchote.

-Oh, vous savez on m'a gratifié de biens des noms durant ces deniers millénaires, mais je préfère que l'on appelle par le dernier nom humain que j'ai porté.

Je regarde mon amie, perdue.

-Appelez-moi Néron.

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