Chapitre 22


-...

Le silence.

-...

Le noir.

-...

Le vide.

Un bourdonnement se fait entendre. Au loin. Un sifflement.

Je ressens une pression sur ma poitrine. Lourde. Espacée.

Je n'ai aucune sensation spatio-temporelle, de mon corps, de mes doigts ou même de mes jambes. Je ne sens rien. Rien du tout. Le silence emplit mes oreilles, le noir envahi mes yeux et le vide se fait à l'intérieur de mon corps.

-Ne me lâche pas.

A nouveau on m'écrasait. Un poids lourd tombe sur ma poitrine de façon répété.

-Respire.

On s'acharne sur mon corps. On le martyrise. On le violente. Un coup est porté plus fortement que les autres. Et là, je les sens. Mes poumons. Lourds, brûlants, irrités.

Je n'arrive pas à respirer. Je m'étouffe. Je veux tousser pour expulser le corps étranger dans mes poumons mais cela ne sert à rien. Je m'étouffe encore plus. Une pression se fait ressentir sur mes bras et là, j'arrive à situer mon corps dans l'espace. Je me sens allongé sur le dos mais je suis rapidement mise sur le côté. Je tousse de nouveau et sens un liquide remonter le long de ma trachée pour être violement vomi de mon corps. J'enfonce mes mains dans le sable. Je respire à nouveau et m'écroule de faiblesse. J'ouvre les yeux et un grand soleil m'aveugle.

-Aglaé ! Hurle-t-on dans mes oreilles.

Alors que je me redresse pour être en position assise, un corps vient percuter le mien. Inconsciemment, je le sers contre moi, chaud et rassurant à la fois.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

J'ouvre à nouveau les yeux et un visage d'ange me fait face. Une chevelure blonde brille au soleil. Clara. J'essaie de me souvenir. La maison de mes parents, le miroir, la Sicile, la nuit. L'eau.

- Je me noyais, je fais piteusement.

- Mais tu es idiote ma parole. C'était l'entrée des Enfers. Il fallait plonger et attendre. Selon la mythologie grecque c'est à cet endroit qu'Hadès a kidnappé Perséphone, c'est pourquoi on considère ce lac comme une entrée officielle des Enfers. Beaucoup se baignent dans ce lac sans jamais passer la frontière. Tu n'auras pas dû te débattre. Tu as bien failli mourir noyer ! Quand j'ai vu le lac te recracher et que tu ne bougeais pas, j'ai eu la peur de ma vie.

Je regarde autour de moi et remarque un grand lac bordé de sable de fin. Le soleil est haut et étincelle à la surface de l'eau. A l'autre bout du lac il y a des arbres à perte de vue. Une forêt sûrement.

- Donc nous sommes... je commence.

- En Enfer, oui, fait-elle doucement en regardant autour d'elle.

- C'est bizarre. Je ne me l'imaginais pas comme ça.

- Moi non plus, elle m'avoue.

Elle se lève et m'aide à en faire de même. J'ai les vêtements trempés d'eau, lourd. J'enlève complètement mon manteau dont la fermeture était dézippée. Clara peste contre ses vêtements qui lui collent la peau.

-Si seulement on avait des vêtements de rechange afin d'être au sec.

A peine les mots ont franchi sa bouche qu'une brise chaude vient secouer nos corps refroidis par le bain nocturne de Sicile. Une petite tempête de sable nous fouette le visage nous faisant fermer les yeux. On essaie de se protéger au mieux et quand tout s'arrête, je les rouvre. Rien n'a changé enfin presque rien. Clara, qui est devant moi, porte des vêtements différents de ceux qu'elle avait quelques minutes plus tôt. Ses longs cheveux blonds sont légèrement bouclés et coiffés d'un chapeau pointu dont la pointe se courbe un peu derrière. Elle porte maintenant une chemise blanche sous un corset streampunk marron et un pantalon de cuir noir. Des gants en cuir marron couvrent ses mains.

Une fois mon inspection vestimentaire faite, je reviens à son visage et découvert qu'elle aussi me dévisage. A ma plus grande stupéfaction, je vois que j'ai aussi changé de vêtements. Je porte désormais une robe midi, rouge avec un col en V et des manches trois-quart. Un peu dans le style des années 50. Autant la robe serre mon buste, autant elle est évasée à partir de la taille. Une petite paire de bottines noire protège mes pieds. Tout en regardant mes pieds j'ai vu quelque chose briller à mes doigts. Je relève alors les mains devant mon visage et remarque les bijoux. A mon index gauche se trouve une bague articulée qui ressemble à une armure couleur or qui englobe tout mon doigt et qui se termine en une griffe. A mes autres doigts se trouvent des griffes de dragon qui forment un prolongement de mes ongles. Je regarde alors Clara, choquée par ces changements vestimentaires.

Elle se contente d'hausser les épaules. On est en Enfer après tout. On essaye de réfléchir à la suite des évènements et à comment nous allons récupérer mon frère. D'un commun accord on commence à s'éloigner du lac et essayer de trouver un chemin qui nous mènera à lui.

Nous avons déjà fait la moitié du tour du lac et aucun chemin, aucune route, ne se dégage nous indiquant la direction à suivre. Je pensais qu'avec le soleil nous aurions chaud mais rien. Il ne fait ni chaud ni froid en Enfer. La température est correcte, agréable. Par contre, le soleil ne bouge pas. Il reste à sa place. L'Enfer ne connait pas la nuit. Nous continuons de marcher en silence quand mon amie attrape mon avant-bras pour que je pivote vers elle. Je la regarde et remarque ses yeux agrandis par une idée qui vient de germer.

- Nous n'avons qu'à demander, dit-elle.

- Comment ça ?

- Les vêtements sont apparus car j'ai dit qu'on aurait mieux fait de prendre du rechange, elle fait tout en tirant sur le haut de son corset. On n'a qu'à faire la même chose.

-D'accord, je fais dubitative. Mais on demande quoi ?

-Le chemin pour retrouver ton frère.

Alors que j'allais ouvrir la bouche pour faire ma requête, une brise chaude s'éleva pour faire apparaitre devant nous deux balais en bois, ressemblant fortement à ceux dans Harry Potter, manquerait plus qu'il y ait inscrit nimbus 2000 sur le manche. Un petit papier était plié en deux, je le pris dans mes mains avant qu'il ne s'envole et le lu à voix haute.

Suivez-votre instinct, mesdemoiselles et vous retrouverez ce qui vous a été dérobé ».

- Donc, m'interroge Clara.

- Et bien on fait ce pourquoi nous sommes nées, à savoir, on enfourche ces balais et on prend de la hauteur.

- Mais je ne suis jamais monté sur un balai, se plaint-elle.

- Moi non plus, mais je suis prête à le faire pour retrouver mon frère.

Je prends le plus proche, le passe entre mes jambes tant bien que mal à cause de la robe et attends. J'attends, mais rien. Je ne vole pas. Mes pieds sont toujours bien ancrés dans le sol. Je l'interroge pour regard pour savoir si elle sait comment faire mais elle se contente d'hausser les épaules. Je tente de sauter et de courir mais rien ne fait. Je suis juste ridicule avec un balai entre les jambes. Je tente un sortilège mais c'est comme parler au mur. Clara essaie à son tour et ses tentatives restent infructueuses. Nous sommes des sorcières et savoir voler sur un balai devrait être dans notre nature, comme savoir marcher, faire du vélo ou nager. Mais finalement, nous sommes ignorantes sur ce sujet. Nous ne savons pas voler, l'une comme l'autre.

-Peut-être que c'est comme un cheval, hasarda l'étudiante.

Elle caresse le bois formant le manche du balai, elle essaie d'amadouer l'objet alors qu'il est inanimé. Sans plus de résultat, elle descend du balai, si on peut dire qu'elle était montée dessus au préalable, et le repose à terre. Elle s'éloigne vexer de ne pas arriver à faire ce qu'elle veut. Je récupère le deuxième balai et me place à ses côtés, à regarder la petite houle sur le lac. Je lui propose de continuer à marcher à la place. Elle accepte en hochant la tête. Nous continuons de trainer nos chaussures dans le sable.

Nous sommes désormais à l'orée de ce que je pensais être une forêt avec des arbre à pertes de vue, de toutes tailles, toutes formes et de toutes espèces. Le sable s'arrête au premier arbre pour être remplacer par de la terre et de la mousse. Une odeur d'humidité me prend à la gorge. Au loin, une brume prend forme, obstruant notre vue à plus de cent mètres. Les arbres sont sombres, peu accueillants. L'impression d'être dans un film d'horreur me prend aux tripes. Clara, semble attiré par l'endroit, car elle commence à se diriger vers la première rangée d'arbres. Je la retiens par le bras, non rassurée par ce que j'ai devant les yeux. Cependant, elle ne tient pas compte de mon conseil et me demande même de lui faire confiance à elle et son instinct. Je lui fais confiance sur bien des plans mais là, mon instinct à moi me hurle de faire demi-tour. Malgré tout, je la suis dans cet environnement hostile. J'avance pas à pas, derrière elle, agrippée aux manches des balais. Alors que je franchissais l'orée de la forêt, la brume s'épaississait.

Je regarde tout autour de moi, à la recherche d'une quelconque menace alors que la blonde, devant moi, avance d'un pas déterminé. Sans se préoccuper de ce qu'il l'entoure, elle s'enfonce encore plus dans le cœur de cette verdure. Ici le soleil semble loin et éclaire peu notre chemin. A de nombreuse reprise je glisse sur la mousse. Les chaussures à mes pieds ne sont pas pratiques pour marcher.

Alors que je glisse à nouveau, je me retourne et tombe nez à nez avec une femme toute habillée de blanc. Ses cheveux presque blancs sont attachés en une queue de cheval haute et sévère. Elle se penche vers moi comme une mère se penche sur le berceau d'un nouveau-né. Une de ses mains attrape mon menton pendant que l'autre ramène une de mes mèches de cheveux derrière l'oreille.

-Tu ne devrais pas être là, petite sorcière.

J'essaie de me dégager mais ses ongles s'enfoncent dans mes joues, les égratignant au passage. Je reconnais alors la Banshee qui a récolté l'âme de mes parents. J'essaie de me ressaisir.

- Je suis à la recherche de mon frère.

- Si un mortel voyageait en ce monde, je serais au courant. A moins que...

- A moins que quoi, demande Clara.

- Partez avant qu'il ne soit trop tard pour vous.

Elle se relève, majestueuse alors, que moi, je suis toujours au sol après avoir, vraisemblablement, glissé sur un pavé. C'est la première chose que je remarque quand je regarde la petite pierre carrée au niveau de mes pieds.

-A moins que, quoi, insiste Clara alors que je me relève péniblement.

Je ramasse les balais et quand je me redresse, un mouvement se fait à l'extrémité de mon champ de vision. Une silhouette brumeuse avance. Elle m'a tout l'air d'un humain ou plutôt d'un fantôme, une âme errante. Tandis que la blonde continue de parler avec la Banshee, je remarque plusieurs brumes distinctes pour former des âmes. Donc pour résumer, l'espèce de brouillard que l'on voyait à l'orée de la forêt ne sont que des âmes. Des morts. Elles commencent à être de plus en plus nombreuses. Je tire alors la manche de la blouse de l'étudiante en médecine pour lui faire prendre conscience de ce qu'il se passe autour de nous. Face à nos yeux écarquillés, la femme face à nous ricane.

-Je vous avais conseillé de partir. Maintenant il est trop tard.

Elle lève sa main manucurée en l'air et fait un petit geste avec son index et là, les âmes vaporeuses nous foncent dessus. L'instinct de survie prend le dessus et je commence à courir, talonnée par Clara. Le jupon de la robe ralenti ma course mais n'empêche en rien d'avoir des mouvements amples. J'appelle mon amie tout en courant et quand elle tourne la tête vers moi, je lui lance le balai qu'elle avait laissé sur la plage. D'un geste fluide, elle l'attrape et donne un coup à une âme qui gagnait du terrain. De mon côté j'en fait de même. Au lieu de nous servir à voler, ils vont au moins nous servir à nous défendre. Nous continuons de courir. Nos pas foulent à présent une allée pavée. Comme si cette forêt voulait nous emmener quelque part. Nous courrons, toujours plus vite. Actuellement, je me retiens de faire une remarque sanglante à ma partenaire sur son instinct. La prochaine fois qu'elle me demande de lui faire confiance, j'y réfléchirais à deux fois.

Une âme s'approche trop près de moi. Elle arrive à s'accrocher à mon vêtement. Je m'arrête immédiatement pour me débarrasser d'elle avant que d'autres arrivent, plus nombreux. Je me débats comme je peux et réussi à lui griffer le visage avec mes ongles. Enfin, plutôt avec les griffes de dragons dont mes doigts sont pourvus et l'âme réclamée disparait en un clin d'œil. Ahurie, je regarde la brume disparaitre devant moi.

-Aglaé, hurle Clara à plusieurs mètres devant moi.

Je reprends vite mes esprits et recommence à courir, à hauteur de la blonde, elle cale sa foulée à la mienne. Je regarde rapidement au-dessus de mon épaule et la brume formée par les âmes se fait de plus en plus épaisse et de plus en plus proche.

-Je crois, qu'il est temps qu'on apprenne à voler sur un balai, je fais.

- A moins que tu ais de la poussière de fée comme dans Peter Pan, je ne vois pas comment on peut réussir à faire voler ces balais.

-Cette forêt ne s'arrête jamais, il va falloir qu'on réussir à s'échapper par les airs.

Je glisse une énième fois sur un pavé, humide par l'air ambiant qui émane des arbres. Je me relève précipitamment, mais au lieu de reprendre ma course je me stoppe. J'enjambe le balai et essaie de faire passer mon envie de voler à travers le bois du manche. Cependant, le stress envahi mon corps à mesure que la brume composée d'âmes approche. Je peux les sentir sur ma peau, dans mes cheveux, dans mes poumons. Ils occupent tout l'espace. Je commence à prier pour que mon balai s'envole. Clara, elle, n'est plus à mes côtés. Je vois sa blouse blanche loin devant moi. Un petit point parmi l'envergure des arbres. Une fourmi, un insecte.

Une main effleure mes cheveux. La peur me tenaille et d'un geste brusque remonte le manche du balai. Mes pieds quittent le sol alors que je m'élève doucement dans les airs à une hauteur raisonnable mais trop haute pour que la brume m'atteigne. J'essaie de me stabiliser. Une fois dans une position confortable j'essaie d'avancer. Je remonte alors légèrement le manche en bois mais je ne fais que prendre de la hauteur. J'essaie alors de l'abaisser légèrement et là je commence à avancer.

Pendant ce temps, la brume faite d'âme, progresse rapidement. Mon instinct prend alors le contrôle et me voilà à foncer dans cette forêt à essayer d'éviter les branches tout en rattrapant Clara qui court toujours. Je dépasse la brume qui gagne du terrain et arrive à rejoindre mon amie. J'atterris tant bien que mal. Une fois les pieds à terre. Je lui explique comment voler sur un balai. A nouveau le stress me gagne. Elle n'y arrive pas. Son esprit réfléchi trop à la manœuvre à effectuer.

-Monte derrière-moi, on n'a plus le temps.

Elle abandonne tout pour se placer derrière mon dos et encercler ma taille. Alors que les premières âmes sont sur nous, je décolle rapidement et m'élève au-dessus de cette forêt de malheur. La cime des arbres effleure mes mollets nus alors que j'avance doucement pour évaluer la situation. En contre-bas la brume a envahi la forêt et le cri de la Banshee résonne comme une complainte mortuaire. Les âmes disparaissent en un clin d'œil. D'où nous sommes nous pouvons à nouveau voir le sol et les racines des arbres.

Le soleil toujours à son point culminant apporte un peu de lumière. A l'horizon : le vide. Rien ne laisse présager ce qu'il y a après. C'est l'inconnu.

-Et maintenant ?

Elle me pointe du doigt, le chemin pavé sur lequel j'ai glissé et que nous avons emprunté pour fuir.

- Rappelle-toi, Aglaé, que l'Enfer est pavé, certes de bonnes intentions, mais pavé au sens littéral du terme et surtout que toutes les routes mènent à Rome.

- Et donc ?

- Tu vas nous conduire à Pandémonium.

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