Chapitre 21

              Au téléphone, Gabriel me supplie de d'emmener Thomas avec nous. Cependant, au vu de sa condition, il ne peut accéder au Royaume des Morts vivant. Il ne supporterait pas. J'entends du bruit derrière mon interlocuteur. Il doit être avec les garçons. J'essaie vainement de lui expliquer pourquoi uniquement Clara et moi-même pouvons traverser, mais il ne semble pas comprendre. Je l'entends se déplacer. Le silence se fait entre nous. Dans la chambre de mon frère, Clara est en train de commencer à tracer un pentacle pour refermer les portes des Enfers. J'entends une voix grave à mon oreille mais je ne réponds pas. Il me demande à parler à la sorcière qui m'accompagne. Je tends mon téléphone à la blonde qui comprends aussitôt ma demande silencieuse. A la place, je lui prends des mains le paquet d'allumettes. Elle s'applique à expliquer du mieux qu'elle peut la situation à l'alpha de Thomas tout en essayant de lui dire ce que nous allons faire. Je gratte une allumette qui s'enflamme avant de poser la flamme sur la mèche noircie. Les cinq bougies éclairent le pentacle d'une lumière chaude. Le loup essaie de se rendre utile au maximum en allant chercher ce que je demande. Il revient avec plusieurs grimoires empilés les uns sur les autres.

Une fois la conversation téléphonique terminée, Clara revient vers nous. Elle donne ses instructions. Je me place au Nord du pentacle tandis qu'elle se place au Sud-Est. Elle commence à articuler la préparation du sort d'une voix inaudible. Puis elle parle de plus en plus fort et de plus en plus rapidement. Une main devant elle, l'autre tenant l'ouvrage, d'un geste du menton elle me fait signe de faire la même chose. Les deux mains, devant moi, ma voix s'élève pour se mêler à la sienne. J'ai toujours eu du mal avec le grec ancien. Je m'applique du mieux que je peux.

Des bourrasques de vent s'infiltrent dans la maison. Du coin de l'œil je vois un chat et un oiseau apparaitre. La pie s'installe sur l'épaule de mon amie alors qu'Azul s'assoit à mes pieds. Nos familiers sont venus nous donner l'énergie qu'il fallait pour réussir à fermer les portes de l'Enfer. Les éléments se déchainent. Le brouillard rouge s'est infiltré dans la maison et des insectes ont envahi la chambre de mon frère. La flamme des bougies vacille mais tiennent bon. L'odeur de soufre est plus accentuée encore. Des flammèches bleues apparaissent au centre du pentacle. Je vois Thomas s'approcher de nous. J'arrive à contrôler une bourrasque de vent que je dirige vers lui pour le faire reculer. La sorcière clame toujours dans un grec parfait la fermeture des portes. Elle saigne du nez. Quant à moi, mon grec est hachuré mais tout aussi puissant. C'est alors que je sens quelque chose pousser contre mes mains. Je redouble d'effort. Une immense porte marron est apparue. Le bois est brut mais finement décoré. Je sens une goutte de sueur rouler dans mon dos.

L'espace entre les deux battants de la porte est minime mais assez grand pour laisser passer quelqu'un. Clara hurle de fermer les portes. Je pousse alors mon côté tandis qu'elle fait la même chose de son côté. Le bois est lourd et bouge peu. Les éléments continuent de se déchainer et nous affaiblissent. Je sens les sauterelles monter sur mes jambes. Azul essaie de les chasser mais il y en a trop. Mon visage est griffé par ces attaques. Je ferme les yeux et pince mes lèvres. Je place mon dos contre le détail de la porte pour avoir plus de force. Je pousse à l'aide de mes jambes. Les bougies sont éteintes et le pentacle a presque disparu, effacé par l'apparition des portes. Autour de nous ce n'est plus la chambre d'Alexandre mais une grotte faite de tuffeau. Des torches sont accrochées au mur faisant ressortir la pâleur de la pierre qui nous entoure. Je glisse quand la porte bouge un petit peu. Clara peine autant que moi. Cependant, je refuse d'abandonner, je me redresse aussitôt pour continuer la fermeture. Les mains à nouveau à plats contre le bois, je gémis face à la difficulté de la tâche. Thomas vient nous aider sous sa forme lupine. Il est grand, dressé sur ses jambes ou ses pattes arrière. Je l'entends grogner sous l'effort. Grâce à sa force surnaturelle, avec Clara, nous arrivons à fermer petit à petit ces immenses portes. Quand, finalement, le claquement des portes nous indique la fermeture complète nous nous écroulons, épuisés et en sueur.

Nous sommes à nouveau dans la chambre de mon frère. Les insectes ont disparu, tout comme le brouillard. La maison est dans un état déplorable. Thomas a retrouvé sa forme humaine et est nu, devant nous. Je grimace quand je me lève et vais dans la chambre de mes parents pour essayer de trouver des vêtements à mon papa pour lui donner. Un jean et une chemise en flanelle feront l'affaire, je pense. Nous sommes assis, à même le sol, à nous regarder. Nous reprenons nos esprits et notre souffle. Maintenant que tout est revenu dans l'ordre, il va falloir trouver les portes officielles de l'Enfer afin de pouvoir y rentrer. J'attrape le grimoire qui nous a servi à l'instant. Je lis le sommaire et feuillette les pages. Ce grimoire nous indique sept grandes entrées principales des Enfers et quelques entrée mineures. Parmi elles, il y a la Rivière Achéron en Grèce qui se jette directement dans ce qui était autrefois le Styx, encore faut-il prendre le bateau. Il y a le Château de Houska en République Tchèque mais il faut descendre un interminable escalier. Le lac du volcan Hekla en Islande reste notre meilleure possibilité.

-Mais c'est loin d'ici, comment allez-vous y aller, nous demande l'étudiant.

Clara ricane doucement.

-Nous sommes des sorcières.

-Vous allez voler sur un balai, il fait innocemment.

-Cela fait bien longtemps que les sorcières ne se déplacent plus sur un balai, je lui réponds.

-Alors comment ?

-Je peux, m'interroge la blonde.

-Vas-y, de toute façon il ne reste plus grand chose dans cette maison qui est survécu.

Clara se lève difficilement et sort de la pièce. Je la suis du regard et mon regard est attiré par les inscriptions sur le mur en face de moi. Une petite odeur d'œufs pourri persiste. Je pense à mon frère. Et toute la misère du monde s'abat sur mes épaules. Des larmes s'échappent de mes yeux et brûlent mes joues. Je m'essuie les joues à l'aide de la manche de mon manteau. Cependant, mes yeux ne veulent pas coopérer et continuent de pleurer. Un pincement se fait ressentir au niveau de mon cœur. J'entends le vacarme fait par Clara en soulevant les débris pour chercher son graal. Les larmes continuent de cascader sur ma peau. Je pose ma tête sur l'épaule du loup tout en fermant les yeux pour essayer de tarir l'eau s'écoulant de mes yeux. Il passe son bras par-dessus mes épaules et me serre contre lui. Le grimoire glisse de mes genoux pour finir sur le parquet de la chambre. Une douce chaleur provenant de l'ami d'Alban me réchauffe et me réconforte. Je me laisse bercer par mes sanglots et par la caresse de ses doigts sur le haut de mon bras.

-J'ai trouvé, hurle la jeune étudiante à travers la maison.

Je me redresse presque aussitôt, essuie toute trace qui trahirait ce qui vient de se passer. Je reprends le grimoire sur les genoux et continue de le feuilleter sans vraiment le lire cette fois. Clara arrive à l'entrée de la pièce avec un miroir rond encore en parfait état. Elle le tient devant elle pour montrer son trophée avant de s'avancer vers nous et de le poser à nos pieds, à même le sol. Je me penche dessus pour y voir le reflet du plafond dedans. Une fine pellicule de poussière le recouvre. La blonde attrape un vêtement posé à même le sol pour enlever la matière pelucheuse. Une fois bien nettoyé, elle le contemple le reflet qu'il renvoi comme moi et Thomas qui semble de plus en plus intrigué.

-Je te présente notre moyen de nous déplacer, plus rapide et moins décoiffant.

-Comment ?

-Il suffit de penser à l'endroit où tu veux aller et le reflet fait le reste. Cependant, au vu de sa forme nous ne pourrons pas traverser en marchant. Nous allons devoir sauter, nous ne pourrons pas refermer le passage, il faudra donc que tu brises le miroir derrière nous. Après ça, tu rentres. Tu ne peux pas rester seul aussi près d'un Coven sans invitation. Surtout après ce qu'il s'est passé.

Thomas me regarde avant de me demander ce qu'il s'est passé.

-Et bien ce qu'il s'est passé cet après-midi.

-Non, je ne parle pas de ça, enfin si mais qu'est-ce qu'il s'est passé pour que ça en arrive là ?

-J'ai été bannie de mon Coven.

-Pourquoi ?

Les images de l'été dernier remonte en mémoire. Je ressens encore la douleur sur mon dos et mes mains. Je tourne la tête pour ne pas montrer qu'il puisse y lire ma détresse. Il insiste alors que Clara garde le silence. La cicatrice que j'ai eu au poignet jusqu'à il n'y a pas si longtemps n'est pas la seule que j'ai tenu à cacher toutes ces années. Le point de non-retour a eu lieu le jour du solstice d'été, lors de la journée la plus longue de l'année. J'ai toujours été considérée comme une sorcière défaillante, faible et doté de peu de pouvoirs. Cependant, depuis mon entrée à l'université j'ai trouvé un changement en moi et maintenant que j'y pense c'est peut-être la présence du loup à qui je suis liée qui a exacerbé mes pouvoirs. Cela n'empêche que l'on a profité de moi pendant longtemps. Tantôt souffre-douleur par mes camarades de classe, tantôt émissaire pour mon Grand Prêtre. Pour conserver la position de ma mère dans le Coven j'ai courbé l'échine toutes ces années.

-On a abusé de moi, je fais d'une voix déraillée.

Je me recroqueville et ramène mes genoux contre ma poitrine et serre les jambes avec mes bras. La sorcière en face de moi baisse la tête. Elle n'a jamais vraiment su ce qu'il s'était passé mais jamais elle ne m'a poussé à aborder le sujet. Malgré cela, elle savait. L'année dernière elle a vu quand j'ai dormi à la sororité. Elle a vu ce qu'ils ont fait. Ce qu'il a fait.

-Je porte la marque de mon statut sur le dos, imprimé au fer rouge. J'ai connu le martinet pour mes faux pas et le sang pour ma différence. Cet été, on a voulu me faire taire. Ils ont vu m'affaiblir. Bref, je me suis rebellée et j'ai quitté l'Eglise. Mon Grand Prêtre pensait à une petite crise d'adolescence et rigolait de mon comportement. Sauf qu'il a découvert, je ne sais comment, que j'étais lié à quelqu'un comme toi, je fais à Thomas. Et là je me suis fait bannir du Coven. Et une sorcière sans Coven est une sorcière morte. Je devrais être six pieds sous terre depuis plusieurs jours maintenant. Sauf que je suis toujours en vie et Clara pense que c'est grâce à la protection du loup à qui je suis liée.

-Ton passé a fait de toi une personne forte, la preuve, tu es là aujourd'hui, prête à aller en Enfer pour sauver la vie de ton petit frère.

-Mais ça ne ramènera pas mes parents.

-Je suis désolé, dit piteusement Thomas en m'étreignant.

Le silence se fait. Il fait froid dans la maison. Nous avons rallumé des bougies pour pouvoir nous éclairer.

-Donc pour aller en Islande vous allez devoir passer à travers ce miroir ?

-Absolument. Les miroirs sont devenus indispensables pour les sorciers et sorcières.

-Comment ?

Clara prend alors son téléphone et fait une recherche sur le lac du volcan Hekla. Plusieurs photos sont affichées. Différent point de vue du lac selon les saisons et le temps. Elle en sélectionne une qu'elle me montre. On voit le lac et une légère verdure sur les flancs du volcan. Je soupire comprenant son intention. Pour se justifier, elle me dit que j'ai toujours été la meilleure pour réaliser ce genre de sortilège. J'hausse alors les yeux mais m'exécuter tout de même. J'humidifie mon index avant de le poser sur la surface froide du miroir. Je fais alors glisser mon doigt sur la surface lisse tout en traçant un cercle parfait. Quand mon doigt revient au point de départ et que je finis d'incanter, le verre vibre sous mes doigts laissant apparaitre la nuit islandaise. Le loup s'approche pour voir mieux et tend la main vers le miroir. Sa main s'enfonce.

-Vous allez vraiment le faire ?

-Bien sûr, répond méchamment l'étudiante tout en se relevant.

Elle m'invite à en faire de même. Difficilement je me lève. Mes muscles hurlent de douleur suite à l'effort prodigués pour refermer les portes. Une fois sur mes deux jambes je regarde le miroir d'en bas.

-N'oublie pas, brise le miroir et pars, ordonne Clara en avançant.

Au bord du miroir, elle saute à pied joint et disparait. Je prends une grande inspiration et m'avance à mon tour. Je regarde Thomas une dernière et le remercie doucement de nous avoir emmener. Il me regarde doucement et demande de lui promettre de revenir vivante. Je ne peux malheureusement pas lui faire ce genre de promesse. Néanmoins, je lui demande de prendre soin des garçons car je me rends compte que je me suis attachés à eux ces derniers jours. Il n'a pas le temps de répliquer que je saute à travers le miroir.

J'atterris sur un sol gravillonné. Je lève la tête pour essayer de me repérer. Je vois la lumière étinceler dans les mains de mon amie. Le ciel est dégagé et la pleine lune éclaire presque comme en plein jour. Derrière elle, la lune se reflète sur une surface miroitante. Le lac. Elle éteint sa magie maintenant que nous sommes réunis. Je me place à sa gauche tout en regardant cette étendue d'eau qui se trouve être une des entrées principales des Enfers. Je la regarde pour essayer de juger ses émotions. Elle en fait de même de son côté.

-Un bain de minuit, ça te tente ?

-Malheureusement, nous n'avons pas le choix, je fais tout en fixant de nouveau le lac.

Nous nous avançons en même temps. Je referme ma fermeture éclair de mon manteau car il fait très froid. Nous sommes maintenant à quelques centimètres de l'eau. De petites vaguelettes lèchent nos chaussures. D'un commun accord, nous hochons de la tête et commençons notre avancée. L'eau s'infiltre dans mes chaussures. L'eau est froide. Je marche doucement, mais je reste déterminée à descendre dans l'Outre-Monde. L'eau m'arrive aux genoux puis au milieu des cuisse. Mon souffle est saccadé. Un nouveau pas et je m'enfonce un peu plus. Je me motive à avancer toujours plus loin. L'eau est maintenant au niveau de mon ventre et j'ai de plus en plus de mal à respirer tellement elle est froide. A mes côtés, Clara n'en mène pas large non plus cependant elle est un peu plus avancée que moi.

Alors que l'eau m'arrive maintenant au niveau de la poitrine. Mes cheveux et mes vêtements sont remplis d'eau. Je grelotte et respire à grande goulée par la bouche. Je m'apprête à faire un nouveau pas quand je vois mon ami disparaitre sous l'eau. De surprise je hurle son nom mais ma voix est enrouée par le froid. Je m'avance vers l'endroit où elle a disparu mais au lieu que mon pied ne rencontre le sol du volcan, c'est le vide. L'eau sombre m'engloutie.

Le poids de mes vêtements me fait couler. L'instinct de survie me fait me débattre pour essayer d'atteindre la surface et respirer de l'air. Mes poumons me brulent car je n'ai pas assez d'air. Je m'agite essaie d'ouvrir la bouche pour respirer mais l'eau s'infiltre à la place, passe par la trachée et rempli mes poumons. J'essaie tant bien que mal de remonter à la surface mais je pèse trop lourd avec mes vêtements. J'hurle, je me griffe le cou. Dans un dernier instinct de survie j'essaie d'enlever mon manteau pour me délester de ce poids. La douleur dans ma poitrine est insupportable. Un voile recouvre mon champ de vision. Je papillonne des yeux. Je me sens partir. Mes forces m'abandonnent.

La mort est la pire des salopes. Elle frappe toujours quand on s'y attend le moins.

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