Chapitre 19
Dans la voiture, Thomas me demande l'adresse de ma maison pour suivre l'itinéraire GPS. Il faut un peu plus de deux heures pour rallier le campus à la maison de mes parents. A peine la voiture démarrée que j'essaie d'appeler mon frère, mais il ne décroche pas. J'insiste longtemps mais à chaque fin de tonalité, une voix robotique m'indique de laisser un message après le bip sonore. Le trajet se fait silencieusement. Personne n'ose parler ou encore débattre sur ce qu'il venait de se passer. Même l'autoradio n'est pas allumé. Thomas conduit prudemment jusqu'à ce que nous franchissions les barrières de péage. Clara est à l'avant et regarde le paysage défile. Parfois, je la vois se crisper quand le conducteur mord sur les bandes d'arrêt d'urgence. A l'arrière, je fixe l'écran de mon téléphone pendant de longues minutes avant de jeter des coups d'œil par la fenêtre. De temps en temps j'allume mon téléphone pour voir si je n'ai pas loupé une notification m'annonçant un appel entrant. Mais rien. J'essaie tant bien que mal de me détendre en fermant les yeux mais dès que mes paupières sont closes, je revois Gabriel, dans sa chambre. Je sens de nouveau ses mains sur mon corps, pressant la blessure entre mes seins.
Clara nous annonce le temps qu'il nous reste avant d'arriver à destination. Une heure. C'est trop long. Beaucoup trop long. Le Grand Prêtre de mon Coven a sûrement déjà rejoint l'Eglise et est en train de bouger son prochain pion sur l'échiquier. Je regarde le compteur de vitesse et je vois les chiffres bloqués sur une vitesse qui n'est absolument pas autorisée et qui est bien au-dessus de la limitation. Je croise les doigts pour que l'on ne croise pas les forces de l'ordre car sinon il peut dire adieux à son permis. Dire que Clara s'est moquée de sa voiture, car pour reprendre ses propos, « ce genre de modèle est adressé à une clientèle plutôt féminine ». Certes c'est une petite voiture, et on est loin d'une puissante berline ou d'une petite voiture de sport, mais tant qu'elle m'emmène sans anicroche chez moi pour rejoindre mon frère, je ne pourrais que remercier le constructeur automobile.
J'appelle à nouveau à a maison. C'est le dix-septième appel. Et c'est aussi la dix-septième fois que l'on me demande de laisser un message. Je réessaie tout de suite après si par un malheur inattendu, Alexandre n'a pas eu le temps de décrocher. Cette fois, je tombe tout de suite sur le répondeur. Aucune tonalité ne m'a fait patienter. Je coupe alors, un peu hébétée.
- Je tombe directement sur le répondeur, je dis d'une petite voix.
J'entends Thomas grogner alors que Clara se tourne vers moi. Je fixe l'écran noir qui reflète mon visage. J'entends vaguement l'étudiante en médecine dire au pilote d'accélérer. Les paysages défilent à une vitesse que je pensais improbable en voiture. Des kilomètres de bitume sont avalés par la voiture. Je prie intérieurement pour ne pas avoir d'accident car lancée à cette vitesse, pas sûr que nous survivions à un dérapage ou une sortie de route. Je me cramponne au siège et à la poignée de la porte. Mon cœur tambourine douloureusement dans ma poitrine qui se compresse quand j'entends Clara dire que nous devons prendre la prochaine sortie. Je sens la voiture serrer à droite pour suivre le chemin indiqué par Clara et le GPS.
Un coup de frein brutal me projette en avant, bloquant ma ceinture et me faisant sortir tout l'air de mes poumons. Je tousse tout en essayant de prendre de grandes inspirations. Thomas s'excuse, quand il nous dit qu'il a été surpris par le péage devant nous. Clara, quant à elle, l'insulte de tous les noms d'oiseaux qu'elle peut connaitre, et je sais qu'elle en connait un paquet. Une fois l'autoroute payée, l'étudiant repart sur les chapeaux de roues et fait ronfler le moteur. Pourtant, sa course folle est rapidement ralentie par les lacets que fait la route pour aller chez moi. Le soleil commence à se coucher devant nous, brulant nos rétines. Cette boule de feu hivernale semble improbable parmi les arbres toujours recouverts du givre matinal. Ici, la nature est plus sauvage et moins domptée par l'Homme. De grands pins bordent les routes et les forêts n'en finissent plus. Un paysage typique de la montagne s'offre à nous. Des falaises vertigineuses m'attirent. La roche grise calcaire semble étinceler grâce aux premiers rayons crépusculaires. Le soleil prend toute la place, laissant derrière lui un ciel rouge apocalyptique. Nous traversons de petits villages fait de pierres brutes. Nous longeons des forêts aux arbres fantomatiques ou encore des champs aux cultures gelées. Etrangement, nous sommes seuls sur la route, aucune forme de vie, humaine ou animale ne s'est montré.
Le temps autour de nous rougit. Comme si nous fendions quelque chose de vaporeux. J'ordonne à Thomas de s'arrêter. Chose qu'il fait immédiatement. Je descends de la voiture aux phares allumés et aux essuie-glace enclenchées. Un brouillard épais commence à se former au loin, mais au lieu d'être blanc, il est rouge sang.
-Ne me dit pas que c'est là-bas que nous devons nous rendre, me demande Thomas inquiet.
- Il est bizarre ce brouillard, je rétorque pour éviter de lui répondre à l'affirmative.
- On dirait une épaisse fumée comme lors des grands incendies de Californie, commente la blonde depuis la voiture.
Quand je me retourne pour rentrer dans la voiture je constate que la carrosserie est enduite d'une fine pellicule brunâtre. Je fais alors glisser un doigt le long de la portière et me retrouve avec de la poussière rouge foncé sur le doigt.
-Lave tes mains, m'ordonne mon amie. On ne sait pas ce que c'est alors vaut mieux éviter d'y toucher.
Une fois tout le monde dans la voiture, Thomas reprend la route plus prudemment cette fois. Nous nous enfonçons dans le brouillard qui s'épaissit à vue d'œil. Une pellicule s'accroche au pare-brise obligeant l'étudiant en sport à le laver régulièrement. La visibilité diminue tellement, qu'on ne voit pas à dix mètres devant nous. Le GPS nous demande de tourner à gauche une dernière fois puis nous indique que notre destination se trouve sur notre droite. Le jeune homme se gare sur le trottoir. A peine le moteur éteint que je descends du véhicule pour me précipiter dans la maison de mes parents. L'air est épais et me fait recracher mes poumons à ma première inspiration. Une odeur putride d'œuf pourri me prend aux tripes, à m'en faire vomir. A ça, s'ajoute un violent coup de chaud qui me frappe brutalement. Une chaleur étouffante brule chaque cellule de ma peau. J'ai l'impression de brûler de l'intérieur.
-Du souffre, dis Clara alors qu'elle me rejoint. Ça sent le soufre.
-Comment ? Demande Thomas qui se place à mes côtés.
Tout en formulant un sort, sa main s'embrase. Mais au lieu de flammes rougeoyantes, celles-ci sont bleues. Elle nous fait alors un petit cours de physique-chimie que j'ai dû louper au lycée, cependant, je n'écoute que d'une oreille car dans l'ombre du brouillard se dresse devant nous les contours de ma maison. Mes jambes avancent toutes seules sur le dallage blanc qui mène au porche. Mes amis scandent mon prénom, mais je suis sourde à leurs supplications. Je suis hypnotisée par cette lourde porte d'entrée. Derrière ce trouve un havre de paix créé par mes parents pour mon frère et moi. Je tends la main vers la poignée qui est extrêmement chaude. Une plainte sort de ma bouche mais je m'accroche à ce métal chaud jusqu'à l'ouverture complète de la porte.
A l'intérieur, tout est ravagé. Les meubles sont détruits, les murs sont calcinés et une odeur de brûlée couvre l'odeur du soufre. Je me cache le nez et la bouche dans mon manteau pour éviter de respirer des particules susceptibles d'être cancérigène. Derrière moi, j'entends quelqu'un tousser. Même à l'intérieur, le brouillard rouge s'est infiltré. Il est tellement épais que je pourrais le capturer dans mes mains si je le voulais. D'un regard, je balais la pièce de vie qui est en désordre. Les murs sont comme fissurés par l'impulsion d'un choc. Je m'avance et le carrelage craque sous mes pieds. Lui aussi n'a pas été épargné. Mes amis se sont avancés dans la maison et regarde partout autour d'eux alors que moi, je reste planté là devant le carnage qui a été fait à l'intérieur. Les doigts tremblants, je me rapproche d'un cadre photo tombé par terre. Le verre est brisé mais la photo est intacte. Dessus on y voit mes parents souriants dans une chambre d'hôpital avec mon petit frère dans les bras de ma maman. Je caresse le visage de mes parents et les bris de verre me griffe la pulpe des doigts. Clara est devant moi et ses yeux sont humides. J'essaie de lui sourire pour la rassurer mais je pense que mon sourire ressemble plus à une grimace qu'autre chose.
-Où est Thomas ?
-Il fouille les pièces à la recherche de ton frère.
Je veux la remercier mais une voix masculine se fait entendre dans le fond de la maison. Je pose alors le cadre photo sur les débris d'un meuble pour me précipiter la voix craintive. Plus j'avance, plus je vois les dégâts dans la maison. Aucune pièce n'a été épargné comme si une explosion avait tout soufflé. J'entre dans la chambre de mon frère où de la fumée s'échappe. Ça sent le brûlé. Thomas est au centre de la pièce en train d'éteindre les flammes qui montent aux rideaux. Trop sonnée pour comprendre ce qu'il se passe, je sens Clara me dépasser et invoquer l'eau des canalisations pour éteindre le départ de feu. Tout se passe trop rapidement pour que je réagisse correctement. Une fois le feu éteint, Thomas essaie d'allumer la lumière pour que l'on puisse mieux voir, mais le courant ne passe plus. Nous sortons alors nos téléphones pour nous éclairer. C'est à ce moment-là que nous remarquons les symboles tracés sur les murs de la chambre. Un signe de l'infini avec une croix à deux branches est dessiné de partout.
-C'est le symbole du soufre, nous explique la blonde. Et on dirait qu'il a été tracé à l'aide de sang. Cela ne veut dire qu'une chose.
-NON ! Je hurle.
-Quoi ? Demande le brun en même temps que mon hurlement couvre sa voix.
-Finalement, c'est plutôt logique quand on prend en compte, le brouillard rouge, l'état de ta maison et les symboles sur les murs. Tout à été détruit par cette ouverture forcée. Nous devons fermer les portes, sinon le monde risque d'être englouti.
-Est-ce que l'une de vous pourrait bien m'expliquer tout ce cirque ?
Clara ouvre la bouche mais la referme bien vite tout en fixant un point derrière Thomas et moi. Elle s'avance prudemment et nous dépasse pour fixer le mur. Un gros insecte marche tranquillement. Il a l'air paisible. Il se nettoie la tête avec ses pattes avant de bondir nous faisant tous les trois sursauter.
-Ce n'était qu'une sauterelle, ricane l'étudiant.
-Ce n'est pas une simple sauterelle. C'est le signe annonciateur de l'Apocalypse, dit-elle tout en regardant à travers la fenêtre de la chambre de mon frère.
Au loin, nous observons le brouillard s'étendre sur le monde alors qu'une nuée de sauterelles se répand sur les terres fertiles.
-L'Apocalypse comme dans la Bible, ricane l'étudiant en sport.
-On ferme ses foutues portes, reprend la blonde tout en ignorant Thomas et en pointant les symboles du soufre sur les murs et ensuite on va chercher ton frère. Où sont les bougies ?
Je lui indique l'arrière-cuisine où se trouve tous les ustensiles utiles pour les sorts et invocations. Alors que j'inspecte les symboles au mur, j'entends Thomas en pleine conversation au téléphone. Je tourne alors la lumière de mon flash vers lui pour voir où il se trouve. Je ne prête pas trop attention à la conversation. Je songe déjà aux épreuves que nous allons devoir traverser pour retrouver mon frère. Il n'a que 10 ans et il est seul dans un milieu hostile tout ça à cause de mes convictions. Il ne mérite pas ce qu'il lui arrive. A son âge, il devrait être avec ses amis et apprendre à pratiquer. Mais non, la vie en a décidé autrement pour lui. Cependant, en tant que grande sœur, je me dois de veiller sur lui. Je me dois de le protéger du monde.
-Aglaé ?
-Mm.
-Il veut te parler, me fait Thomas en me tendant son téléphone.
Je place le smartphone sur mon oreille.
-Oui ?
-Aglaé, c'est moi.
Gabriel.
-Explique-moi ce qu'il se passe ?
-Le Grand Prêtre de mon Coven a trouvé mon frère et pour me punir, il l'a emmené ailleurs. Ici c'est l'horreur. C'est le début de l'Apocalypse. On ne sait pas comment avant le brouillard. Mais on peut encore l'arrêter avec Clara tant qu'il n'est pas encore trop étendu.
-J'arrive.
-Non, je ne veux pas mettre en danger ta meute. C'est mon frère, ma responsabilité.
-Tu fais partie de cette meute Aglaé, que tu le veuilles ou non, tu es sous ma responsabilité et par conséquent, ton frère aussi.
-Hein ?
Le silence se fait à l'autre bout de la ligne. Clara les bras chargés de bougie de d'un grimoire qu'elle dispose sur le lit dont le sommier est cassé en deux. Elle allume les mèches et les dispose sur le parquet. J'entends Gabriel respirer dans mon oreille.
-Où est ton frère, Aglaé ?
-Je ne sais pas, dis-je en commençant à pleurnicher.
Dire à voix haute l'endroit où se trouve mon frère ne sera qu'un aveu face à mon échec de le protéger.
-Ne me mens pas. Thomas m'a dit que vous saviez des choses et que vous évitiez le sujet devant lui. Alors je ne me répèterais pas, dis-moi où est ton frère, m'ordonne-t-il d'une voix grave.
Un silence s'abat entre nous mais aussi dans la chambre. Deux paires d'yeux me regardent intensément. L'un veut des réponses alors que l'autre me supplie de ne rien dire. Cependant, je ne peux pas échapper à l'ordre que vient de me donner Gabriel. Je me sens obliger de lui dire alors qu'intérieurement, je veux garder ça pour moi. Mon échec. Ma perdition.
-En Enfer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top