Chapitre 13
Le mode pilotage automatique est enclenché. Je suis vide, mon cerveau est vide, mon corps est une coquille vide. Mais mes jambes marchent quant même toutes seules vers le chemin de la fraternité. La révélation de Coleen m'a secouée. Je savais déjà que le Grand Prêtre me surveillait, et c'est pour cela que j'ai retrouvé mon appartement complètement retourné et que j'ai caché, à l'aide de draps, tous les miroirs de chez mon appartement. Mais là, je ne m'attendais absolument pas à des mesures aussi importantes. J'ai cru qu'il allait me laisser tranquille, un jour, peut-être. Mais apparemment, c'est trop espérer. Je ne sais même pas ce qu'il me veut, ni ce qu'il recherche. Je ne connais pas ses intentions envers moi.
J'ai du marcher assez vite, car la maison de la fraternité Alpha Beta Omega se dresse actuellement devant moi. Le bois sombre est le même qu'il y a une semaine. J'ai l'impression d'avoir passé plus de temps ici que chez moi dernièrement. Mes phalanges repliées cognent contre le montant en bois de la porte. Plusieurs petits coups résonnent dans la demeure. J'entends des pas lourds descendre l'escalier avant que la porte ne s'ouvre en grand, laissant entrer le froid et sortir la chaleur. Alban s'écarte pour me laisser entrer. En homme galant, il prend mon sac pour le déposer à côté du porte-manteau et me demande d'enlever mon écharpe et ma veste pour me mettre à l'aise. Il m'invite à entrer dans la cuisine, qui cette fois est débarrassée d'étudiant et de carcasse vide de bouteilles. Je m'installe sur une chaise haute du bar pendant que mon ami, s'affère autour de la cafetière. Je ne dis rien, et lui non plus. Seul le ronronnement de la machine emplit l'espace. L'odeur de café m'arrive au nez. Une fois la mixture prête, il verse le contenu dans des tasses avant d'en poser une devant moi.
-Tu es tout seul ?
-Non, Adrian est dans sa chambre. Axel et Gabriel sont sur la terrasse, derrière, à expérimenter je ne sais quoi pour un cours de Gabriel. Et pour ce qui est des autres, ils sont en cours.
Je hoche la tête doucement, tout en plongeant mon regard dans le breuvage noir. Je bois très peu de café, mais quand j'en bois, je préfère avoir le goût amer en bouche plutôt que de faire une overdose de sucre. Je ne l'interroge pas plus. J'attends, un peu gênée. Alban semble nerveux lui. Il triture l'anse de sa tasse. Je sais qu'il me regarde car je sens son regard sur moi et plus précisément sur mon poignet où un léger picotement se fait ressentir. Nous attendons, comme ça, pendant quelques minutes je pense. J'entends marcher à l'étage, sûrement Adrian, mais sinon, la fraternité est drôlement silencieuse par rapport aux autres fois où je suis venue.
-Je suis désolée pour ce matin, commence le blond.
Je lève alors les yeux vers lui, impatiente de connaitre la suite et de comprendre son comportement. Mais rien ne vient. Il se tait d'un coup. Je pense que je ne vais pas connaitre les raisons de son comportement et que je vais devoir me contenter d'un « je suis désolé ». Il boit bruyamment une gorgée de café. Comme s'il avalait que de l'air. Puis en reposant sa tasse, je vois bien qu'il essaie de dire autre chose mais il porte à nouveau la tasse à ses lèvres. Puis soudainement, il recrache le breuvage, à moitié dans sa tasse et à moitié sur la faïence du bar où nous sommes accoudés. Un petit cri de douleur s'échappe de sa bouche.
-Je me suis brûlé, me dit-il piteusement.
Je me lève rapidement et me dirige vers l'énorme frigidaire américain. Dans la porte, je trouve mon bonheur. Je prends le bidon et cherche une autre tasse dans le placard où Alban avait pris les autres. Je verse généreusement le breuvage blanc et tend la tasse à mon ami.
-Bois, ça va te soulager et ça va créer une couche de protection autour de ta langue quelques temps.
Il me remercie d'un hochement de tête et bois le lait à grande gorgée. Alors, qu'il essaie de se soulager de sa brûlure, j'attrape l'éponge qui repose dans l'évier pour essuyer le café qui tache le plan de travail du bar. Les carreaux en imitation marbre sont presque entièrement nettoyés quand j'entends une porte claquée. Alban essaie de me prendre l'éponge des mains pour finir de nettoyer les dégâts mais je refuse, prétextant avoir bientôt terminé. L'éponge est imbibée de café. Je l'essore dans l'évier et la rince tandis qu'Alban range le lait.
-Qu'est ce qu'il se passe ici ?
D'un seul homme, nous nous tournons vers la voix. Axel, qui a ses lunettes de posés en haut de sa tête, nous regarde tour à tour, légèrement paniqué. L'apprenti juriste lui parle de sa petite mésaventure pour le rassurer. Son interlocuteur souffle de soulagement, je dirais, avant de s'avancer vers la cafetière pour se servir un café. Il s'installe à la place où j'étais assise quelques minutes avant. Je m'assoie alors sur le tabouret le plus proche et regarde le fond de ma tasse pour essayer de me soustraire au silence pesant de la pièce. Mes mains entourent la céramique qui me réchauffe les doigts. Dans la mixture noire, je peux voir mon reflet. Quelques mèches brunes encadrent mon visage. J'ai les yeux cernés et le manque de maquillage accentue la fatigue sur mon visage. Après cette brève contemplation, je relève la tête vers les garçons, qui chuchote tous les deux. J'essaie d'écouter ce qu'il dise. Quand Axel le remarque, il se redresse d'un coup. Alban, lui, garde le dos voûté.
-Quel bon vent t'amène dans notre humble fraternité, Aglaé ?
Je regarde rapidement mon camarade d'option politique avant de répondre, mais lui, se contente de fuir mon regard.
-On s'est un peu pris de bec ce matin avec Alban et il voulait s'excuser donc il m'a proposé de passé avant de reprendre les cours.
-Quel comportement bienveillant de ta part, dit Axel à Alban sur un ton moqueur.
Ce dernier fusille du regard l'étudiant en lettre. Il ouvre la bouche pour réplique, je suppose, mais il est interrompu par un raclement de gorge. Derrière lui se tient Gabriel. Il a les cheveux attaché en un chignon flou où quelques mèches ondulés s'y échappent. Il porte un pull fin en col roulé qui est rentré dans un jean brut dont les revers font apparaitre des tennis blanches. Les garçons, eux, se ratatinent sur leur siège et baissent automatiquement la tête.
-Comment vas-tu, Aglaé ?
-Bien merci, je lui réponds. Mais tu m'as déjà posé cette question ce matin au téléphone.
Il prend une tasse dans le placard derrière moi et verse le reste du café dans sa tasse avant d'ajouter un peu de lait à la mixture.
-Je sais, mais je tiens à m'assurer que tu ailles bien.
Il s'installe juste à côté de moi tout en me faisant face. Il est accoudé au comptoir tenant sa tasse dans une main et laissant l'autre reposer sur son genou. Il boit une gorgée tout en m'observant. Je déglutis mal à l'aise.
-Alban m'a dit que tu avais un tatouage. Je peux le voir ?
-Pourquoi ?
-Simple curiosité.
Je tire nerveusement sur la manche de mon chemisier pour cacher au maximum la marque. Remarquant mon attitude, il pose sa tasse sur la faïence du comptoir et attrape délicatement mon poignet gauche. Hypnotisée par ses gestes lents, je le laisse faire. Il déboutonne le petit bouton de ma manche, qu'il retrousse ensuite. Ses doigts chauds caressent ma peau à m'en donner des frissons. Il tourne mon poignet pour faire apparaitre la marque. A ma gauche, je vois Axel mettre ses lunettes sur le nez et se pencher par-dessus le comptoir pour mieux voir. Alban, quant à lui, il observe Gabriel. L'étudiant en science a son regard rivé sur l'intérieur de mon poignet où les lignes noires contrastent avec la couleur très blanche de ma peau. Il trace le croissant de lune de ses doigts, ainsi que chaque arabesque à l'intérieur. J'essaie de me soustraire à ses caresses, mais sa poigne se resserre autour de ma main.
-As-tu eu mal, il me demande inquiet.
-Non.
Je ne sais même pas si je lui pas ou pas. Je me suis réveillée avec cette marque ce matin et puis je ne sais pas si cette zone est sensible à une aiguille de tatoueur.
-As-tu senti un changement depuis que tu as fait ce tatouage ?
Elle est bizarre cette question. Je fronce les sourcils. Voyant que je ne réponds pas, il relève la tête vers moi et ses orbes noires sont fixées sur moi. Il continue de caresser mon poignet de la pulpe de son pouce alors qu'il me regarde attendant une réponse.
- Euh, je ne sais pas... Enfin, non, je pense.
-Tu penses ou tu en es sûre, Aglaé ?
-Ce n'est qu'un tatouage, je réponds doucement en coulant un regard vers Alban pour qu'il m'aide.
- Ce n'est pas qu'un tatouage. C'est ta vie qui est marqué sur ta peau et la façon dont tu comptes la diriger. Ce croissant de lune est un lien puissant qui te rappellera toute ta vie à qui tu appartiens.
Pardon ? Mais d'où il sait ça lui ?
Je veux me m'éloigner de lui mais il me retient encore plus fermement. Il ne me lâche pas du regard et porte mon poignet à ses lèvres, où il embrasse ma marque. Je gesticule pour qu'il me lâche. Au même moment, Alban se lève rapidement faisant grincer le tabouret contre le carrelage.
-Il est temps de retourner en cours. Tu viens Aglaé ?
Je me lève précipitamment et dégage mon poignet de la main de Gabriel. Je descends ma manche et ferme le bouton. Je laisse ma tasse sur le comptoir et pars devant Alban qui me pousse vers la sortie de la cuisine. Je suis dans l'encadrement de la porte quand j'entends Axel et Gabriel chuchoter. Je me retourne alors, et vois ce dernier m'observer alors que ces lèvres remuent pour répondre à l'autre étudiant. Une main dans le dos, Alban me pousse vers le hall d'entrée de la fraternité où il me donne mon manteau et mon écharpe. J'attrape mon sac de cours au sol et le suis à l'extérieur pour prendre le chemin de la fac.
Dehors, les températures se sont refroidies. Je lève automatiquement les yeux vers le ciel et remarquent les nuages sombres. Un orage se prépare. Alban est discret, il ne dit rien. Il ne fait aucune remarque sur le comportement de Gabriel. Je réajuste mon sac sur mon épaule quand je perçois un affolement dans arbres autour de nous. Une nuée d'oiseaux s'envolent. Aucun bruit à part leur bruissement d'aile. Un nuage noir passe au-dessus de nos têtes.
-Quelque chose se prépare, commente Alban. Sûrement un orage, mais ce n'était pas prévu pour aujourd'hui. C'est bizarre ce changement de temps.
-Dépêchons-nous si on ne veut pas attraper la saucée, je réplique.
Nous accélérons la cadence sur le petit chemin de terre. Alors que nous posons les pieds sur le bitume du campus, on peut voir l'affolement des étudiants. Tous ce précipitent vers les bâtiments, tout en jetant au coup d'œil au ciel menaçant.
-Regarde ce chat, s'exclame le juriste tout en désignant un animal devant nous. Il est magnifique !
Un chat au pelage bleuté trottine vers nous. Je le reconnais immédiatement. Alban s'accroupit pour l'appeler.
-On n'a pas le temps, on doit aller en cours, je te rappelle, je le presse tout en continuant d'avancer.
Il regarde sa montre et soupire. Nous nous dirigeons vers le même bâtiment. Il me fait signe pour me souhaiter une bonne après-midi. Une fois qu'il a le dos tourné, je sors et cherche Azul. Il est assis devant un petit carré d'herbe. Je me précipite vers lui et le prends dans mes bras. Il miaule un coup et ronronne aussitôt. Je le caresse pour le rassurer, mais en ce moment, c'est moi qui suis en train de paniquer car s'il est là ce n'est pas par hasard. Les oiseaux continuent de fuir à tire d'ailes, assombrissant encore plus le ciel déjà chargé de nuages. Je jette un coup d'œil à la sororité plus loin et vois certaines filles rentrer au lieu d'aller en cours. Je pose alors mon familier par terre et commence à marcher vers le Coven universitaire. A mi-chemin, une main m'attrape le bras et me fait retourner brusquement. Face à moi, Clara a le visage fermé. Sur son épaule repose son familier, une pie bavarde.
-Elle est venue à ma rencontre il y a quelques minutes. Il se prépare quelque chose Aglaé et quelque chose de grave.
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