Chapitre 10

Point de vue d'Alban

L'hiver est définitivement ma saison préférée. Le froid mordant est plus supportable que la chaleur étouffante. J'aime regarder la nature morte et les paysages couverts d'un manteau blanc. J'aime les fêtes de fin d'année et ce qu'elles font naitre en nous. J'aime penser que la nuit la plus longue de l'année est propice à toutes sortes de choses surnaturelles. En fait, l'hiver fait émerger notre vraie nature. C'est d'ailleurs comme ça que l'on reconnait une personne frileuse. A contrario, l'été fait ressortir que le mauvais des humains. En tenue légère, les hommes comme les femmes ne cherchent qu'à copuler sans raisons particulières. Notre instinct primitif est révélé au grand jour.

L'hiver est plus propice à l'amour et à la découverte. Les relations charnelles ne doivent être basées que sur des sentiments véritables et non sur un besoin purement animal. Pourquoi je parle de ça ? Et bien pas parce que j'ai trouvé une âme à aimer mais plutôt parce que j'ai trouvé une personne à protéger. Je considère cette personne comme notre future reine. Elle est celle qui va nous sauver. Elle va sauver nos âmes de la damnation. Elle sera capable de pactiser avec le Diable uniquement pour notre protection. Nous serons ses serviteurs quand elle nous gouvernera. Plus rien n'existera à part elle.

J'ai tout de suite su qui elle était et son lien qu'elle entretenait avec moi, dès la première fois que je l'ai vu à la rentrée scolaire de l'année dernière. C'était comme une évidence, elle comblait le vide laissé par des années d'absence. Elle est alors devenue mon tout, ma complémentarité, mon univers, sans qu'elle ne s'en rende compte. Certains parlent de coup de foudre, personnellement, j'appelle ça le destin. Elle était destinée à me rencontrer, à marcher à mes côtés. Elle m'était destinée.

J'aimerai qu'elle accepte le lien que je veux tisser avec elle. Je veux qu'elle me dise oui. Que nous ne formions qu'une seule et unique entité. Je veux, à la fois qu'elle me ressemble, mais aussi qu'elle soit différente de moi. Je veux qu'elle soit forte, mais qu'elle ait aussi besoin de moi. Je veux lui être indispensable et qu'elle me soit indispensable. Désormais, je ne vis que pour elle. Au fil du temps et depuis que je l'ai physiquement rencontrée, je sais dorénavant, et au plus profond de moi-même que notre relation est vouée a être plus qu'amicale. Nous sommes les électrons libres d'un noyau nucléaire en fusion. Nous allons créer l'électricité. Si ce n'est pas déjà fait.

-Merci de m'avoir ramenée.

Je me tourne vers la personne assise du côté passager de ma voiture. Son regard est fixé sur le pare-brise. Ses cheveux à la fois bruns et rouge, tenus par un élastique bouge doucement à cause de la ventilation que j'avais activé en partant pour désembuer les vitres.

-C'est normal, je n'allais pas te laisser rentrer seule chez toi dans le noir. C'est dangereux.

-La rue est éclairée, se défend-elle.

-On ne sait jamais.

Elle soupire tout en levant les yeux au ciel. Elle veut partir, me quitter. J'arrive à la retenir alors que son corps penche vers l'extérieur de la voiture. Elle se tourne vers moi, ses yeux m'interrogent. Je desserre alors ma poigne mais conserve ce contact entre nous. Mon regard rivé sur ses pupilles, je la remercie par rapport à ce qui s'est passé cet après-midi. Lucas m'a raconté ce qu'elle a fait. Sans elle, je ne serais pas à la reconduire à son appartement. Alors qu'elle recouvre ma main de la sienne, tout en me regardant tristement, je sais dorénavant qu'Aglaé Spokman est devenue mon obsession.

Me voilà jaloux des autres avec qui elle s'entend bien. Je suis jaloux de mes propres frères car c'est moi qu'elle a rencontré en premier, pas eux. Je sais pertinemment qu'un truc c'est passé quand les gars de la fraternité l'ont rencontrée. C'était inévitable. Je ne suis pas le littéraire de la bande, mais je pourrais facilement la comparer à Esméralda dans le Bossu de Notre-Dame. Elle est la gitane convoitée par tous, qui au final choisi le cœur au physique. Ici, elle n'a pas à choisir, le choix a été fait il y a bien longtemps. Il faut juste qu'elle accepte son destin quand elle saura pour moi. Pour nous. Elle ne pourra pas fuir. Son subconscient l'a déjà accepté. Elle est liée à moi. A nous.

Elle sort de la voiture. Une fois dehors, elle me fait un signe à travers la vitre et rentre chez elle. Une fois la porte d'entrée fermée, je m'autorise à faire demi-tour pour rentrer. Le campus est vide à cette heure-là, trouver une place libre n'est pas compliqué. Le froid s'engouffre dans l'habitacle et des nuages de buées s'échappent de ma bouche à chacune de mes expirations. Une fois à la fraternité, je verrouille la porte et file directement dans ma chambre. Dans la pièce voisine, la lumière filtre sous la porte. Gabriel ne dort pas. Je toque. Il est assis sur son lit, un livre à ses côtés est ouvert mais il préfère regarder ses mains. Je m'assois à ses côtés tout en attrapant le livre posé sur le dessus de lit. Dracula. Un classique.

-Aglaé est bien rentrée chez elle...

-J'ai établi le lien, me coupe-t-il.

-Quoi ?

-J'ai touché sa peau.

-On devait se concerter, Gabriel ! Ensemble !

Enervé par son comportement égoïste, je me lève d'un bond et balance le livre à travers sa chambre. Il ne réagit pas. Il est toujours assis sur son lit à regarder des mains. Je l'attrape par le col de son haut et le soulève pour le plaquer contre sa bibliothèque. Des livres tombent par terre à cause de la force de projection. Il grogne de douleur alors que je grogne de rage.

-T'es qu'un sale petit enfoiré ! Pour son bien et pour le bien de la fraternité on avait décidé d'attendre ! C'est même toi qui avait pris cette décision. Pour son bien, le mien et le tien.

De colère, je l'envoie valser sur son lit, où il roule avant de tomber de l'autre côté. Un bruit sourd résonne dans la fraternité. Au moment où je veux sortir, je vois les gars devant le pas de la porte à nous regarder. Hugo avance vers moi. Il est en bas de pyjama, le torse nu.

-Il fallait bien établir le lien un jour, Alban. Certes, c'était encore un peu tôt mais c'est comme ça.

-Il l'a connait que depuis quelques heures. Enfin, il s'est présenté à elle depuis à peine un jour et il prend une décision qui nous concerne tous sans même nous avertir.

-Cela fait bientôt deux ans que je la surveille de loin. Depuis qu'elle a posé les pieds dans cette université, à vrai dire, grogne Gabriel derrière moi. Il est vrai que je ne la connais pas autant que toi, mais il n'empêche que je sais comment elle fonctionne.

-Tu ne sais rien d'elle !

-Mais toi non plus, Alban tu ne sais rien d'elle. Elle cache quelque chose que j'essaie de deviner depuis septembre de l'année dernière. Elle n'est pas comme les autres. Elle est différente.

-Biens sûr qu'elle est différente, elle est liée à nous tous.

-Non, il y a autre chose. Quelque chose qui nous dépasse.

De colère et pour faire taire Gabriel, je tape le mur de mon poing. Un bruit sourd se fait entendre. Les os de ma main ont craqué. Axel se place entre mon ami et moi comme pour faire cesser notre joute verbale. Il ordonne, aux autres, du mieux qu'il peut, de retourner dans leur chambre. Puis il m'emmène dans la salle de bains commune. Je m'assois sur une chaise qui sert de porte-serviette. L'étudiant en lettres replace ses lunettes devant ses yeux et ausculte ma main. Une douleur aigüe traverse mon épine dorsale mais je serre les dents pour ne pas gémir. Il replace les os de mes phalanges à leur place et bande soigneusement ma main.

-Demain matin se sera ressoudé. Tu pourras alors enlever ce que je viens de faire.

-Merci, je dis piteusement.

Axel s'appuie sur l'évier de manière nonchalante et m'observe. Derrière ses verres, je peux remarquer ses yeux brillants. Il ne dit jamais rien. D'un naturel pacifiste il ne prend jamais position entre Gabriel et moi. Pourtant, il est toujours là, à observer dans son coin. C'est un libre penseur.

-Je suis désolé pour Aglaé.

-C'est rien. De toute façon, il fallait que ça arrive, non ?

-Le printemps est bientôt là. Il n'a pas pu réfréner ses pulsions. Tu ne le sais peut être pas, mais à cette même période l'année dernière, ça été compliqué pour lui. Personne ne savait qui elle était. On savait juste qu'elle était sur le campus. On n'avait ni de nom, ni de visage. Aujourd'hui c'est différent. Chacun de nous l'a accepté. Tu es très proche d'elle. Je sais que tu veux la protéger au maximum car elle n'est pas comme nous. Mais à partir de ce soir, tout va changer.

Je baisse la tête et passe ma main valide dans mes cheveux blonds. Tout va s'accélérer dans les jours et les semaines à venir. Je me lève et sors de la salle de bains sans un regard pour mon frère. Une fois dans ma chambre, je m'allonge sur mon lit, encore habillé. Je regarde le plafond blanc illuminé par la petite lumière de mon chevet.

Finalement, je déteste l'hiver. Je déteste cette période où le printemps arrive petit à petit et où les bourgeons naissent. Je déteste la période des amours. Je déteste notre partie animale en ce moment.

Je préfère l'automne. C'est bien l'automne.


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