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Ma mère est en train de servir mon père pendant que l'image de l'homme sur Tumblr tourne dans ma tête. Je suis certaine de l'avoir vu bouger... Je n'arrête pas de me le répéter, mais je suis sûre que toutes ces histoires racontées que ce soit par les médias ou par mes proches me sont montées à la tête. Je me remémore encore l'ombre masculine disparaissant au fond de mon jardin. J'ai dû encore rêver. Après tout, c'est sans doute la silhouette que j'ai vue disparaître dans la forêt sur le chemin du retour qui m'a inspirée l'ombre que j'ai aperçue tout à l'heure. J'ai l'impression de ne pas être dans mon état normal. J'ai froid. Enormément froid. Et pourtant mon père a augmenté le chauffage. Ils sont tous les deux en t-shirt et moi j'ai un gros pull. Je couve peut-être quelque chose.
« Sacha, tu es sûre que ça va ? Tu n'as pas touché à tes tomates. », fait remarquer mon père.
Je n'arrête pas depuis tout à l'heure de faire tourner ma fourchette dans mon assiette. Je n'ai pas avalé une seule bouchée. Je hausse alors les épaules pour lui répondre avant qu'il ne retourne à son assiette bien entamée. Je repense toujours à la photo de l'homme. Ses yeux avaient changé de couleurs. Complètement. Il avait les yeux entièrement noirs, on ne pouvait pas voir le blanc de l'œil. Puis ils ont pris la forme des yeux humains. Normal. C'est comme passé du côté obscure au côté vivant. Et ce sourire. J'ai eu l'impression qu'il avait fait un léger sourire. Mais ce sourire m'a donné la chair de poule. Il avait un air espiègle. Comme s'il cachait quelque chose d'horrible. De diabolique. Je repense d'un coup à ses deux seuls mots décrivant la photo : "The Destroyer". Ça venait vraisemblablement du mot Destroy (détruire), mais Destroyer est un mot dont je n'ai jamais spécialement entendu parler. C'est sûrement un mot désignant quelque chose. Un nom je pense. C'est peut-être une secte ? Après tout le mot vient de détruire, et le mec avait un maquillage de squelette parfaitement dessiné. C'est sûrement les nouveaux délires des pré-ados...
« Dis Papa ? », je dois tout de même me rassurer, peut-être que mon père en a entendu parler.
« Hum ? », fait-il la bouche pleine.
« Est-ce que tu sais ce que désigne le mot "Destroyer" ? », demandé-je en levant mes doigts en forme de guillemet.
Aussitôt dit, mon père recrache la totalité des nutriments qu'il y avait, il y a peu, dans sa bouche. Il commence à tousser violemment en essayant de reprendre sa respiration. Décidément, je crois que ce soir est le moment pour s'étouffer.
« Où-est-ce que tu as entendu parler de ça ? », demande-t-il alors que ses yeux étaient près à sortir de leur orbite.
« J'ai vu une photo d'un homme avec un maquillage de squelette sur mon ordi, et en description il y avait écrit "The Destroyer". », réponds-je simplement.
« Oh mon dieu Sacha. C-ce n'est pas un maquillage, chérie. Ils sont réellement comme ça... », dit-il dans un souffle.
Ma mère a arrêté de manger, elle me regarde avec de gros yeux, complètement abasourdie.
« Mais, de qui parles-tu ? », demandé-je perplexe.
Il y eut un blanc pendant peut-être bien une dizaine de secondes, avant que mon père décide enfin à me répondre.
« Les démons. »
J'en eu le souffle coupé. Depuis aujourd'hui, je n'arrête pas d'halluciner et d'en entendre parler. Et voilà que maintenant, une photo s'infiltre dans mon ordi.
« Je croyais que personne ne savait à quoi ils ressemblaient et que toute personne en ayant vu un, meurt directement ? »
« Ce sont des rumeurs... Mais on dit qu'il ressemble à ce que tu viens de me décrire. Et tu sais, si personne n'avait été vivant pour nous raconter ça, on ne croirait sûrement pas à ces histoires. »
Encore une fois je manque d'air. Il avait raison. Il fallait bien qu'une personne ait survécu pour nous raconter ce mythe débile. Et pourtant, même avec tout ça je n'arrive pas à y croire. J'ai toujours eu l'impression que c'est la société qui veut nous faire enfermer. Pour juste éviter qu'on utilise les transports en commun la nuit, ou qu'on soit bourré dans les rues. Ou pour les homicides provenant de bagarres de gang généralement commis la nuit, s'arrêtent.
« Cependant, Charlie. Ne prononce plus jamais ce mot. Il est préférable de les nommer "démon". »
Il ne m'appelle jamais par mon prénom. Il ne le fait seulement lorsqu'il veut me réprimander pour une grosse bêtise ou pour me parler de quelque chose de sérieux. Et à ce que je sache, je n'ai rien à me reprocher.
« Et pourquoi ça ? », demandé-je frustrée.
« Juste, ne le dis pas, c'est tout. »
Je n'ai eu pas le temps de renchérir qu'il est parti dans la cuisine pour vider son assiette et pour ensuite directement repartir dans le salon.
« Chérie, les nuits vont être plus difficiles avec le froid maintenant. Il vaudrait mieux que tu ailles te coucher... », ajoute ma mère.
Je sais que c'est une excuse pour que je ne pose plus de questions. D'habitude ils sont très ouverts sur ce sujet. Mais depuis ce soir, je ne les avais encore jamais vus aussi renfermés... Et même si je ne les crois pas et que je n'accorde aucun crédit à toute cette histoire, j'ai peur. J'ai peur, parce que mes parents ont peur. J'ai peur, parce que mes parents n'ont jamais autant eu peur de quelque chose qu'ils n'ont jamais vu...
Quand je suis retournée dans ma chambre, je me suis directement étalée dans mon lit, allongée en face de mon Mac en veille. Quand je le rallume, je pense tomber sur la photo du démon, mais il n'y est plus. Je me rappelle très bien pourtant qu'elle était entre une photo d'une forêt enneigée et une photo d'une route sombre. Mais elle n'y est plus. J'ai beau chercher sur Tumblr je ne trouve rien. Même en ayant cherché "The Destroyer" dans la barre de recherche.
Je me retourne, me positionnant sur le dos, soufflant d'exaspération. Toute cette fin de journée s'est passée dans des conditions très bizarres. Je n'arrête pas de penser à l'ombre qui a couru dans le fond de mon jardin. J'ai beau me dire que c'est mon imagination, cela ne change rien, puisque je sais que ce n'était pas une hallucination.
Il était vraiment là.
♣
Je me réveille le lendemain complètement glacée. Je me suis endormie avec mon Mac à côté de moi, au-dessus des couvertures. J'ai l'impression qu'il fait -30 degrés ici. Quand mes parents m'avaient parlé de la température, ils ne rigolaient pas. Je pose mes pieds au sol pour me lever mais les retire directement en sentant le plancher froid. Des frissons me traversent tout le corps, passant de mes orteils à ma colonne vertébrale. Une sensation vraiment désagréable qui vous hérisse le poil. En ce moment j'ai seulement envie de me mettre sous mes couvertures pour me réchauffer et ne pas aller en cours avec un temps aussi glaciale. Mais malheureusement je suis obligée, avec mes dissertations à rendre pour aujourd'hui. J'ai eu un mal de chien à les faire, donc il est évidemment hors de question que je ne les rende pas.
Après m'être enfin habituée à la fraîcheur du sol, je me dirige directement vers ma salle de bain pour prendre une douche et surtout réchauffer mon corps. À cause de cette température, je me suis réveillée trente minutes avant que mon réveil ne sonne. Et je vous jure que c'est putain de chiant de se réveiller avant le réveil, surtout quand on arrive pas à se rendormir après. Au moins ça me laisse le temps de me préparer, et de prendre une bonne et longue douche.
Je reste dix minutes à rêvasser sous la douche. Mes paupières papillonnant. Malgré la douce sensation de l'eau sur mon corps, je me sens bizarre, comme si je n'étais pas seule dans cette pièce et que quelqu'un m'observait. J'essuie plusieurs fois la vitre de la douche pour voir si je suis bien seule dans ma salle de bain, et je le suis. Mais la sensation désagréable d'être constamment fixée était toujours présente.
Je sors de la douche et la fraîcheur me transperce la peau. Je prends directement mon peignoir pour essayer de me réchauffer au maximum. Mais il fait largement trop froid pour réussir à enlever la chair de poule sur ma peau.
Après avoir enfilé mes vêtements pour la journée, constituant d'un pull long kaki, m'arrivant en bas des cuisses, pratiquement à mes genoux, de collant noir avec des chaussette haute par dessus et de simples bottines noir à talon, je descend les escaliers en bois pour arriver dans l'encadrement de la porte de la cuisine, regardant ma mère de dos, visiblement en train de préparer le petit-déjeuner. Je m'installe à ma place habituelle, en bout de table en visant mon assiette vide tout en frottant mes bras pour les réchauffer.
« Tiens voilà tes toasts ma chérie. », dit ma mère en les posant devant mon nez.
Mon dieu je meurs de faim. Je ne sais pas si c'est à cause du froid, mais j'en suis pratiquement sûre.
« Tu avais raison hier à propos de tout ça maman. Quand je me suis réveillée, je ne sentais plus mes orteils... », fais-je pour lancer la discussion.
« Ah bon ? Pourtant j'ai monté les chauffages de ta chambre au maximum, c'est bizarre que tu ais froid. Ton père et moi n'avons pas eu froid. Tu es sûre que tu ne couves rien ? », me demande-t-elle en posant sa main sur mon front. « Oh, tu es vraiment glacée... Tu es sûre de pouvoir aller en cours, je peux les appeler tu sais ? »
Je me décale un peu pour qu'elle retire sa main de mon front, ce qu'elle fait. Je n'ai jamais aimé les signes d'affections, que ce soit de mes parents, ou d'autres personnes. Même pas Béatrice.
« Non c'est bon, je vais y aller. J'ai des dissertations à rendre de toute façon. », expliqué-je en croquant dans l'un de mes toast.
Elle ne dit rien par la suite et finit de boire son café. Je me dépêche de manger, ne voulant pas être encore en retard en cours comme à ma forte habitude.
♣
Quand j'arrive dans l'amphithéâtre, toutes les places sont pratiquement prises. Trice m'attend déjà à un siège, je me mets à côté d'elle. Aujourd'hui la chance est à ma portée puisque je ne suis pas arrivée en retard. Madame Paris arrive juste après moi se dirigeant directement vers son bureau au son des bavardages des étudiants. J'en profite pour sortir mon trieur et mon ordinateur alors qu'elle demande le silence. J'allume mon Mac alors que Trice se penche vers moi avec un regard perplexe.
« Qu'est-ce que tu veux ? », demandé-je en sortant les feuilles de mon dossier.
« Tu as l'air plus pâle que d'habitude, tu vas bien ? », questionne-t-elle en me scrutant soigneusement.
« Ouais, ne t'inquiète pas. Il faisait froid cette nuit, c'est tout. »
Elle ne réagit pas et se repose dans son siège. Je regarde rapidement mon cours pendant que notre professeur met sa diapositive.
« Tu viens alors ce soir ou non ? », me redemande-t-elle en glapissant à moitié.
« Je ne peux pas. », réponds-je sans la regarder.
« Comment ça tu ne peux pas ? Tu m'avais promis il y a une semaine Sasha ! », gémit-elle en croisant ses bras contre sa poitrine.
Je souffle exaspérée. « Oui, je sais. ». Maintenant je ne sais même plus quoi répondre. Je n'ai pas envie d'y aller. Clairement. Mais il est vrai que je lui ai promis. J'aime m'amuser, faire la fête, par contre, en ce moment j'ai juste envie de me blottir des les couvertures de mon lit et non aller à une simple fête similaire à toutes celles que j'ai faites.
« Aller s'il te plaît Charlie ! », me supplie-t-elle en mettant en évidence sa lèvre inférieur.
« C'est bon ! Je viens. Tu m'énerves vraiment Trice ! C'est la dernière fois que je cède. », crié-je pratiquement.
« Mademoiselle Brown, y a-t-il un problème ? », me demande soudainement Madame Paris.
« Non. Excusez-moi Madame. », dis-je alors qu'elle acquiesce et poursuis son cours.
« Bien, tant mieux. À la fin du cours vous mettrez vos dissertations sur mon bureau. Pendant l'heure nous allons finir notre cours de la dernière fois. », explique-t-elle en retournant vers l'estrade de son bureau.
♣
Je me sentais complètement épuisée par cette journée, tous mes cours étant extrêmement longs, je crois que je me suis endormie plusieurs fois pendant la dernière heure. Je dévale les escaliers de la fac pour rejoindre Trice devant le portail pour fumer ma troisième clope de la journée. Quand j'arrive devant celui-ci après cinq minutes de marche, j'aperçois Béatrice au près du grand chêne, non toute seule malheureusement, mais accompagnée des frères Tom's...
« Salut. », dis-je froidement en passant devant eux pour demander du feu à mon amie tout en mettant une clope dans ma bouche.
« Charlie ! Tu viens ce soir alors ? », demande Dylan, enfin je crois que c'est lui.
Je regarde rapidement Trice, me demandent si elle peut, tout compte fait, me sauver la mise pour ce soir. Mais vu les yeux suppliants qu'elle a, je pense ne pas pouvoir dire non.
« Ouais je viens bien sûr. Mais je ne vais pas rester longtemps je pense. » J'ai cédé au caprice de la jeune fille à mes côtés, mais cela ne veut pas dire que je vais rester toute la soirée.
« Sacha tu m'as promis ! », s'enquit-elle.
« Je t'ai promis de venir, pas de rester jusqu'à trois heures du matin. », répliqué-je toujours aussi rudement.
Elle me scrute comme si j'avais tué quelqu'un. Je ne lève jamais la voix sur elle, mais au bout d'un moment quand on vous force à faire quelque chose que vous n'avez pas envie de faire, il est bien normal de ne pas être de bonne humeur. Je pose ma clope sur mes lèvres pour inspirer la fumée et sentir la nicotine prendre possession de mon corps tout en regardant les feuilles des arbres virevolter près de nous.
« Je dois rentrer chez moi pour me préparer de toute façon. », dis-je en expirant la fumée de ma cigarette.
Je marche vers le parking de l'université en shootant dans des cailloux. Trice ne m'a pas couru après, et je ne pense pas qu'elle va le faire. De toute façon, elle doit s'en doute être plus intéressée par les jumeaux que sa meilleure-amie fatiguée et en colère. Je lève mon bras gauche pour savoir l'heure qu'indique ma montre, quinze heures quinze, ça me laisse largement le temps de rentrer et de faire une petite sieste avant ce soir.
Je déverrouille ma vieille BMW noir et grimpe à l'intérieur. Je ferme la porte et monte le chauffage pour essayer de décongeler mes doigts. Mes mains sont tellement blanches que j'ai l'impression de pouvoir voir à travers. Je démarre ma voiture qui avant cale à plusieurs reprise, le moteur étant trop froid. Dès qu'elle réussit enfin à démarrer, je la laisse se réchauffer avant de quitter le parking pour rentrer chez moi.
Je jette ma veste sur le porte manteau alors que j'entends les pas de mon père arriver vers moi.
« Alors bonne journée ? », demande-t-il en ramassant le courrier pour ouvrir les enveloppes qui lui appartiennent et les lire.
« Je suis fatiguée mais ça va. », réponds-je en enlevant mes chaussures.
Je ne lui parle pas plus. Je suis fatiguée et de mauvaise humeur, ce qui peut, à tous les coups, finir en dispute sur un sujet quelconque. Je ne lui parle pas non plus de la fête de ce soir, je pense qu'il ne va pas vouloir que je sorte, j'en suis pratiquement sûre.
En montant les escaliers j'ai failli me vautrer trois fois, ma maladresse n'ayant pas changé au fil des ans. J'ouvre à la volée la porte de ma chambre pour m'écraser sur mon lit en verrouillant mes yeux. Je prend mon téléphone de ma poche pour mettre mon réveil à dix-neuf heures. Je referme les yeux en soufflant de frustration. J'entends les battements de mon cœur réguliers et je m'endors avec l'appréhension d'une soirée qui pourrait finir mal.
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