Chapitre 2

Hakuna Matata

Andréa

Ne pas tomber. Ne pas tomber. Zut, un truc qui traine par terre ! Le cœur battant, je me rattrape juste avant de faire tomber l'énorme carton sur le sol, ce qui serait un drame comme il contient toutes les boules de Noël pour la maison de Miss Thompson. Nous ne sommes que début novembre, mais comme beaucoup de mes clients, elle souhaite que sa maison soit une vraie fête bien avant le jour de Noël. Et j'adore ça.

Soudain, quelque chose me frôle le pied et je me mets à hurler. J'entends le cri étranglé d'un chat puis un cracha.

- Suzanne ! Je vais tuer ton putain de chat !

- Laisse Belzebuth loin de tout ça ! Tu le stresses avec ton énergie...

Je lève les yeux au ciel et rejoins mon amie dans la pièce principale. Elle s'occupe d'organiser mes rendez-vous tandis que je prépare déjà nos premières interventions. Comme Angèle bosse au shop aujourd'hui et qu'Aubrey doit accompagner son petit ange chez le médecin, nous voilà toutes les deux. C'est pour ça que j'ai fait appel à Noam.

- C'est bizarre qu'il ne soit pas déjà arrivé...

- De qui ? demande Suzanne, le nez dans son ordinateur.

Elle a relevé ses longs cheveux roux en un chignon brouillon qui lui va à merveille ! Encore plus si elle troquait son blazer noir contre un pull de Noël... Moi, j'ai opté pour le vert foncé tout simple avec une vache de Noël aujourd'hui. Je suis sûre qu'il va faire des jaloux !

- Eh bien, Noam. Tu sais, je dois aller chez Miss Thompson aujourd'hui, mais comme tu bosses et que j'ai des petits bras, je lui ai demandé de l'aide.

Suzanne râle doucement en levant les yeux au ciel sans me regarder une seule fois. Elle n'aime pas Noam. En fait, ça date de quelques années maintenant. Noam Owens est un amour, un vrai mec gentil comme dans les films. Il est loin du bad boy torturé qui te prend contre un mur pour t'abandonner avec sa vieille capote usagée. Noam est l'homme idéal mais il n'a d'yeux que pour Suzanne. Mais quand je dis que d'yeux pour Suzanne, c'est vraiment le cas ! On ne peut même pas s'intéresser à lui tellement sa vie semble tourner autour d'elle, au plus grand désespoir de mon amie. Les histoires d'amour, pas trop son truc.

Sauf si c'est Belzebuth.

Nous avons rencontré Noam un peu par hasard, en fait, c'est Angèle, notre super tatoueuse, qui l'a rencontré en premier. Elle a accroché en terme amical et l'a pris comme apprenti dans son shop. Il dessine sacrément bien, pas autant que ma poule mais il a quand même du niveau. Seulement, lors de son premier tatouage sur personne réelle, il a vu du sang et est tombé dans les pommes. Ils ont découvert qu'il est phobique, donc impossible pour lui de poursuivre cette carrière. Maintenant, du haut de ses 27 ans, il est assez souvent dans notre boite à bosser en tant que DJ ou à aider lors des livraisons. Il arrive à joindre les deux bouts donc se contente de ça. Mais je peux vous dire que c'est un bosseur, le premier à venir nous aider.

L'interphone sonne, Suzanne se raidit mais ne bouge pas d'un pouce. Amusée, je vais lui ouvrir avec joie. Je l'aime bien moi.

J'ouvre la porte et découvre notre grand baraqué aux cheveux mi-longs, barbe brune bien taillée et sourcils épais. Je sais qu'en vrai, il n'est pas si grand que ça, 1m75 il me semble mais étant donné que je mesure 1m54 précisément - c'est important -, j'ai l'impression que c'est un géant.

- Mais ce pull est génial ! commence-t-il en me prenant dans les bras.

J'éclate de rire quand il me fait tourner dans les airs, me soulevant comme si j'étais une plume. Je suis toujours un peu gênée quand il fait ça comme je suis plutôt lourde malgré ma taille, complexée par mes formes, mais Noam est tellement solaire que j'arrive à passer au dessus. Au fond, je sais qu'il ne s'en rend même pas compte.

- Comment tu vas ? J'adore aussi ton pull.

Fier de lui, il pose comme une star en me montrant son magnifique haut rouge qui dévoile les fesses du père du Noël. Vous comprenez pourquoi je l'adore.

- Ça va super et toi ? Prête à aller chez la terreur miss Thompson ?

- J'adore cette femme.

- Moi aussi, je me la ferais bien si ce n'était pas une femme légèrement trop vieille et surtout...

- Hyper célibataire, je complète en comprenant où il veut en venir.

C'est vrai que Miss Thompson est assez spéciale quand on ne la connait pas. Célibataire et fière de l'être, sans enfants et un peu baba-cool, tout le monde n'accepte pas la vie qu'elle mène mais elle s'en fiche totalement. Cette femme est géniale.

Nous poursuivons notre conversation sur cette femme en avançant dans le studio jusqu'à arriver devant Suzanne qui fait mine de bosser dur. Je la connais, elle a au moins fini nos emplois du temps depuis vingt minutes mais comme elle savait que Noam venait, elle fait semblant.

- Salut Suzanne ? Tu vas bien ?

- Comme quand tu es dans les parages Owens... soupire-t-elle sans lever le nez une fois de plus.

- Très joli tailleur.

- Toujours pas Owens, réessaye quand je serai morte.

Noam rit, conscient de ce jeu entre les deux qui dure depuis longtemps. En vérité, je n'arrive pas à savoir si Suzanne rit de la situation maintenant en en mettant une couche à chaque fois ou si Noam l'insupporte réellement. Le grand mystère de notre existence.

- Bon, tout est près ? Je ne suis pas pressé mais je pense que la miss a hâte de découvrir ce que tu lui as préparé.

- Yes ! Tout est là, lui dis-je en désignant des dizaines de cartons empilés dans une partie de la pièce. Je sais qu'il reste des décorations de l'année dernière chez elle que j'ai laissé stocker pour gagner du temps et de l'espace, mais je pense que cette année nous n'en aurons pas besoin donc il faudra les ramener au local.

- Parfait, je commence à charger.

J'acquiesce et file regarder l'emploi du temps le temps qu'il commence à charger le plus lourd. Je pose ma tête sur l'épaule de mon amie tandis qu'elle ouvre mon programme. Tous les évènements les plus importants de la saison me sont réservés, mais les autres plus simples ou plus courts sont pour les filles. Même si chacune a sa saison, tout le monde bosse !

Je fronce les sourcils en voyant une case point d'interrogation sur mon emploi du temps pour demain, et un numéro de téléphone.

- C'est quoi ça ?

- Oh, ça, une dame a appelé avec un accent horrible de ces gens riches dont tu t'occupes. Elle ne voulait pas me parler mais directement à toi, donc elle m'a laissé son numéro pour que tu rappelles. Comme tu étais à fond dans l'organisation de la maison de miss Thompson, je me suis dit que j'allais attendre pour te le dire.

- D'accord, je vais les appeler de suite pour comprendre ce qu'ils veulent. Noam ne m'en voudra pas de le laisser en plan le temps du chargement.

- Honnêtement, tu ne lui es jamais d'une grande aide donc ça ne sert à rien, me taquine mon amie avec enfin un petit sourire qui étire ses lèvres rouges.

Je lui tire la langue et note le numéro sur mon téléphone. Je préfère prendre les contacts pour les avoir directement sur le téléphone que j'ai lorsque je ne suis pas au studio. Disponible à tous moments, sauf pendant un film de Noël. Je m'isole dans la petite cuisine aménagée qui nous sert énormément, surtout quand Aubrey décide de faire des pâtisseries, puis compose le numéro. Ça sonne une fois, puis deux, et à la troisième sonnerie, quelqu'un décroche enfin.

- Oui ?

- Bonjour madame ! Je suis Andréa Yu de FairyEvents à l'appareil. Je me permets de vous contacter comme nous avons reçu un appel de votre part.

- Oh, oui, mademoiselle Yu ! Enchanté, j'ai eu votre collègue, comment s'appelle-t-elle... Mademoiselle Lane, il me semble. Je l'ai trouvé assez médiocre donc j'ai préféré vous avoir vous directement.

Ok, je comprends ce que voulait dire Suzanne. Déjà, je ne lui répéterai pas ce que la femme vient de dire. Et en plus de ça je comprends l'accent dont elle me parlait. Cété façon de rouler les R avec un air supérieur et péteux, tout à fait le genre de personnes pour qui je travaille en hiver.

- Mon Dieu, je ne me suis même pas présentée ! reprend-t-elle en vitesse. Je suis Valérie Ginemont, je ne sais pas si vous connaissez notre gala annuel de charité, organisé pendant la période de Noël.

En effet, cette cérémonie me dit quelque chose. J'ai dû voir passer quelques articles dessus, mais il y a tellement de gala de charité à Noël que je ne suis pas forcément à jour.

- Enfin bref, nous aimerions que se soit votre société qui l'organise cette année. Pour être totalement dans la charité, nous voulions donner une chance à une petite entreprise comme la votre. On en a entendu que du bien !

Le fait que notre société soit arrivée aux oreilles d'une femme comme elle me touche. Nous travaillons dur et avoir une petite renommée comme celle-là si tôt, c'est gratifiant.

- Je suis tout ouïe, Madame Ginemont. Il me semble que nous avons un rendez-vous demain, il vous convient toujours ?

- Évidement ! J'ai hâte de faire votre connaissance. Je suis ravie que vous ayez accepté, vous verrez, ça sera un sacré tremplin pour vous jeune fille !

Je ne peux pas m'empêcher de sourire, j'ai 24 ans, je n'ai plus rien d'une jeune fille mais c'est vrai que pour les femmes comme elle, je suis considérée comme une enfant. La barre sera haute pour que je prouve ma légitimité mais elle a raison, ce gala pourrait être un sacré tremplin qui nous permettrait d'avoir des contrats plus importants et une rentrée d'argent conséquente. Nous sommes loin de la richesse mais aussi loin de la faillite, cependant je ne dirai pas non à une petite augmentation.

- Parfait ! Je vous envoie mon mail par message, donc n'hésitez pas à m'expliquer un peu le principe du gala mais n'oubliez pas de m'envoyer l'adresse pour notre rendez-vous que je puisse m'organiser.

- Parfait pour moi mademoiselle Yu. Très bonne journée.

- De même, au revoir.

Je raccroche et effectivement, cette journée risque d'être très bonne.

***

- Miss Thompson !

La femme nous accueille comme des rois avec des petits sablés de Noël encore chauds dans les bras. J'en vole un et mort dedans, m'enivrant d'une dose de sucre envoûtante et délicieuse. Noam en fait de même, mettant du glaçage encore coulant sur sa barbe. Notre hôte rit avant de lui tendre une petite serviette remplie de flocons blancs. J'adore cette femme.

Avec ses longs cheveux gris et blancs rassemblés dans une grosse natte sur son épaule, ses bijoux tombant dans sa poitrine et ses vêtements larges, elle est ravissante. Délicatement maquillée, elle ne cache pas ses rides mais les sublimes pour rester la belle femme qu'elle est malgré ses 68 ans. Et dire que j'ai 44 ans de moins qu'elle mais pas la même taille de guêpe, c'est rageant.

Nous discutons quelques minutes tous les trois, de tout et de rien et un peu de la décoration. Elle est catégorique : elle veut être surprise. Ça tombe bien, c'est ma spécialité. Nous nous mettons d'accord sur quelques pièces fortes, quelques meubles qu'elle veut laisser tel quel, puis elle s'isole je ne sais où pour nous laisser travailler.

Noam m'aide toute l'après-midi, s'occupant des grosses pièces extérieures tandis que je peaufine l'intérieur. L'avantage avec la maison de cette femme, c'est l'énorme sapin qu'on nous a livré plus tôt dans l'après-midi, passant parfaitement à l'intérieur grâce à une mezzanine qui donne une grande hauteur sous plafond. Évidemment, avec ma taille de naine, j'ai été obligée de prendre un escabeau. Mais à la fin, je suis plutôt fière de moi.

Tout est rouge et blanc, changeant de bleu de l'année dernière. Le sapin est subtilement décoré avec des pièces principalement en bois et verre pour coller avec le côté écologique de Miss Thompson. Pas de guirlande lumineuse ni d'objets électriques. La seule décoloration nécessitant de l'électricité qu'elle a autorisée, c'est une guirlande qui descend en goutte le long de son porche.

L'extérieur est aussi joliment décoré, Noam ayant suivit toutes mes instructions. Un père Noël fait mine de monter sur le toit tandis que de nombreux cadeaux et jouets en bois de taille humains tombent sur le sol. L'illusion est sympa, les photos prometteuses.

Notre hôte est ravi, éclatant de joie dès qu'elle remarque un détail amusant. Elle nous remercie chaleureusement, puis nous passons à la séance photo pour nos réseaux sociaux. Angèle a déjà commencé la saison avec quelques posts mais cette maison va être le premier projet de cet hiver. Je bombarde et même Noam se met en scène sur plusieurs clichés rigolos. Je sais que Suzanne râlera un peu, mais elle n'hésitera pas à se rincer l'œil sur les photos où Noam fait le père Noël sexy.

Un mot d'ordre pour nous : faire une vitrine photo à notre image. Depuis le début, c'est ce qu'on s'est promis de faire. Hors de question de faire des photos impersonnelles qui pourraient finir dans des catalogues de décorations, on veut de tout. Je ne pense pas qu'une ou deux photos un peu hors du commun choqueront des clients, et quand bien même ça arriverait, on en aura toujours d'autres pour les remplacer.

Quand on boucle la séance, j'en profite pour faire une petite vidéo sur laquelle je parle de ce projet. Depuis cette année, j'ai décidé de filmer nos vies de temps en temps, pour nous rappeler. Les filles ne comprennent pas trop mon délire, mais je ne sais pas, ça me détend de parler à la caméra en sachant que tout ça ne sera jamais rendu public. Une fois finit, on enchaine avec quelques TikTok pour promouvoir la société, et j'envoie un message à Angèle pour qu'elle fasse les montages plus tard.

- Encore merci Andréa, et toi aussi Noam. Vous êtes de véritables petites fées ! Les Timon et Pumba de Noël !

Sa remarque me touche autant qu'elle me blesse. Je comprends le message, mais une partie de mon cerveau ne peut pas s'empêcher de prendre ça personnellement. Je lui souris doucement, feintant un rire sans joie puis la salue et embarque dans le camion avec Noam. Mon pull me parait trop serré d'un coup, mes cuisses trop grosses sur le siège.

- Ça va Andréa ?

Noam me regarde, ses cheveux attachés à l'arrache dans un bun qui laisse échapper des dizaines de mèches rebelles.

- Oui pourquoi ? lui demandé-je en souriant de toutes mes dents.

- Je ne sais pas... Tu as changé d'attitude.

- Je suis un peu fatiguée, la journée a été longue.

J'hausse les épaules en même temps pour le faire passer à autre chose, il soupire et lâche l'affaire. Nous démarrons en silence, un silence trop lourd et pesant alors je lance ma playlist de Noël. Noam qui s'était un peu renfermé sourit et commence à chanter avec moi sur la route de retour.

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