Chapitre 7 : les premiers soins
Il fait nuit, lorsque des bruits de pas résonnent à nouveau sur la terrasse du chalet. Je n'ai cependant pas le temps de me figer à nouveau, que je reconnais des talons, les mêmes que la rouquine avait en sortant. Toujours avachi contre les placards où je me suis endormi encore plusieurs fois, je laisse Ollie s'échapper de mon étreinte pour aller accueillir joyeusement sa maîtresse.
Après un petit moment où des clefs jouent avec la serrure, le battant de la port s'écrase contre le mur et laisse entrer une furie rousse encombrée d'un gros carton. Ses joues blanches sont teintées de rouge et une fine brume s'échappe de ses lèvres bleuies, tant le froid doit être glacial dehors. Elle coupe brutalement son entrée dans le chalet en claquant à nouveau la porte et abat son lourd carton sur la table de la cuisine, jusqu'à ce qu'elle oblique son regard sur moi.
— Je croyais t'avoir dit de ne pas bouger du canapé !
— Et moi... je croyais que tu... que tu n'allais pas être longue.
Quelque chose de métallique me monte à la gorge, lorsque je redresse la tête du parquet, assommant le peu de sens que j'ai recouvert dans ces dernières heures. La jeune femme laisse tomber son courrier sur le comptoir et ne s'occupe pas de l'une des enveloppes qui glisse sur le sol. Elle préfère s'agenouiller devant moi et retirer le pansement sanguinolent que je porte au ventre. Je n'ai pas besoin de regarder ma plaie agrafée pour savoir que ce n'est pas bon. La grimace qu'elle tire me l'indique bien assez.
— J'ai ramené de quoi te faire un vrai pansement et surtout des vraies sutures. J'ai même un livre pour m'aider à les faire. Ne t'en fais pas, je me rattraperai.
Je la dégage doucement, sentant ses mains s'enfoncer dans une chair qui est encore trop fragile et je gronde sévèrement.
— Tu ne vas pas faire ça.
— Pardon ? Mais tu...
— Je... Je te dirai... Je te dirai exactement ce qu'il faudrait faire.
— Oh, aurais-je l'honneur d'accueillir un docteur tombé du ciel ?
Raille-t-elle en m'assénant un regard sévère. Je l'ignore et ramasse l'enveloppe qui était tombée par terre et la lui tend, mais pas avant que je n'ai enfin son prénom.
Heden.
— Non. Pas un docteur. Mais je connais ça mieux que toi.
— Et qu'est-ce qui te fais dire ça ?!
Elle arrache son courrier de mes mains et je n'ai qu'à lui montrer la charcuterie qu'elle a fait de ma blessure pour lui faire clouer le bec.
— La prochaine fois, je la laisserai béante. Et tu mourras au fond du lac.
— Ouais. Tu aurais dû.
Grommelé-je froidement. Ma voix ne porte pas assez et mes mots s'embrouillent de plus en plus dans ma bouche, au fur et à mesure que le goût métallique s'accentue dans ma gorge. Je m'essuie les lèvres du revers de mon poignet et grimace lorsque je remarque une série de gouttelettes faire concurrence à la pâleur de ma peau moite. Heden qui était déjà revenue à sa boîte, lâche subitement le paquet d'instrument qu'elle tient et s'écroule à nouveau devant moi, tenant mon visage entre ses mains congelées.
— Bordel, tu saignes.
— Je sais.
— Tu saignes vraiment !
J'aimerais sortir quelque chose de cinglant, mais elle est juste en panique. Des larmes sanguines frayent leurs chemins à travers les sillons de mes yeux afin de rejoindre mes narines et mes lèvres. La pression est en train de m'écraser, littéralement. Et avec mon immunité remise à zéro en neuf mois spatiaux, mon corps a les capacités vitales d'un nouveau-né.
— D'accord, d'accord, d'accord. Donne-moi ton bras, je vais essayer de te lever.
J'ouvre la bouche pour riposter, mais elle me le prend de force et l'entoure autour de sa nuque gracieuse. Me mettre debout est un calvaire qui se rapproche au supplice. Je m'en fous que cette rouquine s'appelle Heden. Je suis plutôt en enfer. J'essaye tant bien que mal de ne pas prendre tout mon appui sur elle, mais elle flanche presque aussitôt et manque de se prendre le recoin de la table en pleine tempe. Comme ce serait drôle. Je me retrouverai littéralement au milieu de nulle part avec une nana crevée à mes côtés et son chien qui ne ferait qu'une purée de moi, si elle voyait ça.
Même si Ollie et moi avions fait la paix, ça ne serait qu'une question de temps.
Heden se précipite vers le canapé et me pose avant de se redresser et de souffler lourdement.
— Je croyais que... Que tu allais revenir avec de l'... de l'aide ?
Elle se hisse sur la pointe des pieds et attrape une boîte de mouchoirs sur l'une des étagères clouées au-dessus de la cheminée inerte. Elle en sort quelques-uns et me les enfonce dans le nez comme si elle essayait de boucher mes poumons, jusqu'à ce que je l'arrête pour prendre le relais.
— Et moi je croyais que tu n'allais pas bouger. On se déçoit beaucoup, aujourd'hui, tu ne trouves pas ?
Je presse un mouchoir contre mes oreilles et son inquiétude revient en galopant sur son visage pourtant dessiné au crayon.
Je ne sais pas si c'est la fièvre qui me fait halluciner, mais je ne peux négliger la délicatesse des traits d'Heden. Les émeraudes qui lui servent de prunelles sont aussi féroces que la brutalité naturelle de la pierre précieuse.
Une férocité renforcée par les tonalités écarlates de ses lèvres pleines où figurent scandaleusement des marques de dents. Pourtant, quelque chose de doux se cache en dessous d'autant d'arrogance. Je le sais. Je le sens.
Malheureusement, Heden finit par balayer le sourire qui se dessine sur ma bouche d'une explosion de panique lorsqu'elle voit que le sang qui s'échappe de mon visage ne cesse de couler.
— Ça fait beaucoup de sang. Putain, il faut qu'on appelle un hôpital !
Elle se rue sur le téléphone fixe, mais la longue tonalité sortant du combiné la fait pousser un cri de désarroi.
— Calme-toi.
— Que je me calme ? Que je me calme ?! Tu tombes du ciel dans mon lac, tu te mets à pisser du sang comme des foutues larmes et il faut que moi, je sois calme ?!
Ollie, qui s'était couchée sur le tapis près de la cheminée, enfonce son museau dans ses pattes avant et se met à gémir sous le ton véhément de sa maîtresse. Cette dernière commence à se préparer pour un marathon devant moi, sa tête enfoncée entre ses mains, son pull glissant encore et encore sur l'une de ses épaules élancées. Je creuse donc les reins pour me redresser légèrement, lâche les mouchoirs en voyant que le sang a arrêté de couler et la rattrape avec douceur par le poignet.
— Ar... Arrête. Sérieux. C'est normal, ce qui... Ce qui m'arrive.
— Tu as littéralement l'air d'un foutu zombie !
— C'est juste la gravité de la Terre.
Hm. "Juste". J'ai littéralement l'impression qu'un millier de briques est en train de chuter sur mon corps, mais surtout ma tête, mais à part ça, tout va bien.
— Quoi ?
Elle s'assoit sur la table en face de moi et me toise avec un froncement de sourcils confus. Elle porte deux doigts manucurés à sa tempe et se frotte avec un mouvement circulaire.
— Je sais que tu as dû passer une journée encore plus merdique que moi, mais elle n'a pas été tendre non plus. Alors bon sang, explique-moi !
Je prends d'abord une petite minute avant de m'y coller. Mon corps commence à trembler, tant la fièvre me gagne et je n'ai vraiment plus aucune notion de ce qui est correct ou non. Lev était toujours le plus agile, quand il s'agissait de ce genre d'affaires. Il savait bien charmer son monde et avant qu'on ne parte, c'était lui qui parlait le plus souvent à la presse, pour éviter que je ne commence à bégayer devant la Terre entière. Le problème, avec la NASA et les missions spatiales, c'est que chaque mot a son importance.
Si Neil Armstrong avait bégayé en arrivant sur la Lune ou encore trébuché, ce serait inscrit dans les annales.
Et il ne l'avait pas fait.
Mais je ne suis pas Neil Armstrong, encore moins Lev Malikov.
Je suis un gars perdu qui dépend maintenant de cette rouquine impétueuse qui avait surement beaucoup donné pour réussir à me tirer du lac avant que je ne meure.
— J'ai besoin de... De réadaptation. Je viens de passer neuf mois dans une base spatiale et j'ai crashé ici, après une explosion.
Une crampe abdominale me force à me plier en deux et je me mets violemment à tousser du sang. Des gouttelettes viennent tacher le pull de la rouquine qui ne bouge pas d'un cheveu, pourtant.
— Tu...
— Viens de l'espace, o... ouais.
— Tu viens de l'espace.
— Hm.
Je m'essuie la bouche d'un revers de poignet et me redresse à son niveau. Ses paupières délicates battent dans un rythme irrégulier et je m'empresse de justifier.
— Je ne suis pas un extra-terrestre.
— Tu...
— Je suis un astronaute.
— Ah. Un... Un astronaute. Et tu viens de non seulement tomber du ciel, mais du... Du grand truc avec des étoiles et tout.
— L'univers. Ouais.
— Et tu as survécu. Tu as survécu ? Tu as survécu ?! Tu as survécu ! Oh putain !
Elle est un mood, à elle toute seule. Avant qu'elle ne saute encore dans une phase hystérique, je la rattrape par le poignet et la force à se rassoir.
— Ce qui veut dire que je vais avoir besoin de...
— Qui est-ce qu'il faut que j'appelle ? Putain, il faut prévenir la Terre entière ! Tu as survécu de...
— Arrête de me couper.
Mon ordre résonne froidement et elle se cloue sur la table basse. Je déglutis difficilement et indique la boîte qu'elle vient de ramener, du bout du menton.
— Je vais juste te dire ce qu'il faut que tu fasses, d'accord ?
— Oui.
— Tu peux me la ramener ?
Elle obtempère dans la seconde et reviens presque aussi vite avec. J'incline légèrement la tête et commence à fouiller dans le carton à la recherche de désinfectant. J'y trouve des vêtements propres, des paquets de bandage en excès, des ciseaux médicaux, des plaquettes d'aspirine, des kits de sutures... Et une grande tablette de chocolat. Heden me l'arrache des mains et la cache derrière son dos, comme si je venais de découvrir son plus grand secret.
— J'ai eu une dure journée, je l'ai dit, il me semble.
Je secoue la tête, exaspéré et d'un revers de main sec, j'arrache le bandage de mon ventre. Je grogne sous la douleur et manque de pousser un cri face à la blessure que j'avais pourtant choisi de ne pas regarder. Les agrafes tiennent à peine les rebords déchiquetés et ceux qui ont quand même réussi à être enfoncé sont complètement noircis.
— Oh mon Dieu, j'ai agrafé un astronaute...
— Ce n'est pas grave.
Ruminé-je dans ma barbe, même si je pense tout le contraire. Je plonge ma main à nouveau dans la boîte et en retire une pince. Les yeux d'Heden commencent à pétiller et elle incline doucement la tête sur son épaule dénudée.
— Qu'est-ce que tu vas faire avec ça ?
— Retirer les agrafes.
— Quoi ? Mais tu...
— Ce n'est pas grave. J'ai vécu pire.
— Comme tomber de l'espace ?
Je ne suis pas encore prêt à rigoler de ça. Pas alors que j'ai les larmes de désespoir de Lev qui se dessinent devant moi. Honteuse, la rouquine baisse la tête et m'aide à essuyer la blessure avec du désinfectant. J'attrape un paquet de bandages, la cloue entre mes dents avant de bafouiller dans sa direction.
— Tu as un bain ?
— Je... oui, oui, bien sûr, je t'aiderai avec...
— Non. Pas d'aide. Je vais juste essayer de me débarrasser de l'infection avec un bain et ce truc.
Grogné-je en brandissant un flacon de désinfectant soluble.
— Mais tu ne pourras pas...
— Je pourrais très bien. On va faire un truc, d'accord ? Quand je parle, tu te tais. Ça évitera que je tourne de l'œil pendant que tu protestes et je pourrai enfin retirer ces foutues agrafes !
Heden ne se laisse pas faire et m'assène un coup dans le bras du bout de son petit poing.
— Aie.
— Astronaute ou pas, tu pourrais bien être le foutu roi d'Angleterre, que je n'en ai rien à foutre. Je t'ai sauvé la vie, d'accord ? Je n'ai d'ailleurs toujours pas entendu un merci !
— Tu as fait ça pour que je te remercie ? Tu perds ton temps.
Répliqué-je sur le même ton. Malheureusement ça ne fait que l'énerver encore plus et elle se lève, ses mains ancrées dans les courbes sveltes de sa taille.
— Je l'ai fait pour que tu survives. Mais tu ne vas pas rester vivant très longtemps si tu continues à être un si gros connard !
— Moi ? Un connard ?
— La ferme, ou c'est ta bouche que j'agrafe. Estime-toi déjà heureux que j'ai réussi à dégoter autant de matériel de soins malgré tout ce qui se passe.
J'arque un sourcil curieux, mais elle balaye la conversation d'un revers de main dédaigneuse.
— Bon, on se les arrache ces conneries, ou merde ?
— Oui m'dame.
Vociféré-je entre mes dents serrées. Elle se rassieds calmement et déploie un tissu pour les agrafes à venir. Je la regarde un instant en la jaugeant d'en bas et mon nez se fronce.
Je ne suis pas sûr si j'aime bien ma sauveuse, pour l'instant...
Vraiment pas sûr.
Caleb et Heden en ont pas fini de se chamailler, ça c'est moi qui vous le dit hehehehe 🤭😂
Et même si l'un comme l'autre est courageux, ça va etre dur 😂😂
Qu'en avez vous pensé ? L'histoire vous plait pour l'instant ? Dites moi tout ! 🤭❤
A vendredi pour le prochain chapitre ! ❤
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