Chapitre 52 : standing ovation
— Je suis désolé.
Les mots s'éjectent de ma bouche comme un souffle. Toujours blessé, toujours meurtri, je parviens tout de même à tendre la main vers la bouteille de whisky enfoncé dans mon sac, la débouche avec précaution et sers deux verres que je dépose sur les amas de terre que j'ai creusé.
L'un pour Jon.
L'autre pour Lev.
Je ramène mes genoux à mon torse et bascule ma tête en arrière pour contenir les larmes qui montent dans mes yeux.
J'espère de tout mon cœur que peu importe où ils sont... Ils ne me voient pas.
Parce que putain... Qu'est-ce qu'ils se foutraient de ma gueule !
— Je suis vraiment désolé, me répété-je, la gorge serrée, pour absolument tout... Pour la mission, pour Penrose... Pour la promesse que je n'ai tenu que trop tard... Je suis désolé que vous ne serez plus jamais rien d'autre que des noms classés secret défense dans le putain de tiroir de Chrystine.
Quelques flocons se mettent à tourbillonner autour de moi, dégringolant d'une nuit plus que noire et viennent très vite envelopper le cimetière dans lequel je me suis réfugié.
Parce qu'il fallait que je fasse ce dernier truc pour eux.
Parce que je ne pouvais pas encore rejoindre Heden et être heureux...
Pour les étoiles.
Pour la vie.
Pour cette putain de promesse qui nous uni.
J'enfonce mon visage dans mes paumes écarquillées et je renifle en me mordant les lèvres :
— Je vous ai déjà dit tout ça, là-bas, mais... Mais je tiens à le refaire, parce que... Parce qu'au moins, je serai peut-être la seule personne encore dans ce foutu monde qui puisse me souvenir que vous aviez été en vie... Que... Que vous étiez des vraies personnes.
Ouais. De vraies personnes.
Pour qu'on entende Lev hurler depuis l'autre côté de la station spatiale...
Pour que Jon t'insulte sur quatre générations à suivre...
Plus uniques, on crève.
Le bout de mes doigts se met à s'enfoncer si profondément dans mon front que la douleur efface le froid mordant qui m'assaille. Je la préfère à l'idée lugubre que je suis actuellement assis dans un cimetière.
Un petit rire me secoue quand je réalise ce que j'ai fait.
Creuser des minuscules trous dans un bout de terre congelé alors que tout Manchester se prépare à fêter Noël, tout ça pour un mea-culpa nocturne ?
— Vous n'avez pas envie d'entendre tout ça. Vous avez envie de boire. OK, OK. J'ai bien compris.
Je remplis les verres, les dépose par terre et en porte un troisième à mes lèvres que j'avale d'une traite.
— Vous savez qu'est-ce qui est pire ? C'est que j'aurais pu faire ça là-bas. J'aurais pu revenir avec Heden et revenir là où les chiens de la Sécurité Intérieure ont effacé la moindre trace de notre passage... Mais non. Non, à la place, je suis venu ici, dans cette ville où ni l'un ni l'autre n'y a quelque chose à foutre...
On est monté tous les trois dans un vaisseau en destination pour un rêve que personne d'autre peut accomplir, que pour descendre dans le cauchemar.
Comme quoi, la ligne est fine entre les deux... Mais dans tous les cas, il est temps de se réveiller, non ?
Et tandis que je me sers une autre rasade du liquide ambré, je grimace en le sentant brûler ma gorge, je ramène à nouveau mes jambes à mon torse. J'indique du bout de mon index l'amas de terre qui est censé symboliser Jon et ricane légèrement :
— Tu te rappelles comment on s'est rencontré ? Lev avait enfin réussi à me traîner jusqu'à Houston et j'étais tellement crédule que tu m'avais fait croire que tu étais le chef de mission... Tout ça pour que je fasse le sale boulot à ta place. Il m'a pourtant fallu une bonne semaine de paperasse avant que je ne comprenne que c'était ton gros cul qui devait le faire...
J'arrête de sourire et fait passer la pulpe de mon index sur le rebord de mon verre vide.
— J'ai toujours eu du mal à comprendre à temps, il semblerait. Combien de vies est-ce que je vais encore ruiner à cause de ça ?
Bien sûr, il ne répond pas.
J'aurais aimé, toutefois. Un signe. Une montée de vent. Je n'en sais rien, une de ces conneries qu'on voit dans des films d'horreur, quand on se retrouve dans un cimetière, au beau milieu de la nuit...
Mais non. Absolument rien.
Je croise mes mains sur mes genoux et après renifle, indique à nouveau sa tombe de fortune.
— T'étais un gars chiant, Jonathan. Tu n'entendais jamais ce qu'on te disait du premier coup. Et bon sang, se répéter quinze mille fois dans la même journée, c'est pénible... Tu étais fainéant et bordélique. Je rêvais chaque jour d'extraire la cyanure dans les plants de patate de la base pour te le faire avaler au petit déjeuner... T'entends ça ? Ou est-ce qu'il faut que je te le répète ?
Je crois qu'il a entendu. Sinon, je me ferai gifler par le vent, non ?
Une larme revient à l'attaque et déferle le long de ma joue, glaçant ma peau par le froid mordant qui ne cesse de m'assaillir...
Et brisant ma voix, une énième fois.
— Bordel... Qu'est-ce que je ferai pour te revoir... Même si c'est seulement pour ramasser ton foutoir derrière toi alors que t'es assis quelque part pour raconter ta vie comme si tu étais l'astronaute le plus dingue de l'histoire depuis Neil Armstrong...
J'essuie mon visage avant qu'il ne devienne raide sous les crampes et l'air glacé et prends une grande inspiration avant de me concentrer sur l'amas de terre qui est censé représenter Lev.
— Et toi... Merde, Lev... Tu étais tyrannique. Un vrai con. Et tu sais quoi ? Tu parlais bien trop souvent de ton sexe. C'était vraiment dérangeant et même inquiétant ! Personne ne savait si tu en étais fier ou si tu avais simplement peur que si tu arrêtais, ça sera ce que tu plaidais... Une putain de légende. Rien d'autre. Rien de concret. Inexistant, même, ajouté-je en écarquillant les yeux, fallait te faire soigner ! Et tu donnais trop d'ordres. Tellement que même au dernier moment tu...
Les mots se dérobent de ma bouche. Mes lèvres continuent à les mimer, mais le son ne suit pas.
Peut-être que je me suis cassé.
Peut-être que je ne serai plus jamais réparé.
Peut-être que j'ai tout perdu dans ces arbres dans lesquels il m'a projeté en se sacrifiant...
Dans un gémissement de douleur, je remonte mes genoux à mon front et y cache mon visage.
Lev n'avait pas peur, quand il avait appuyé sur eject. Ses yeux étaient pétillants, mais c'était loin d'être la frayeur qui causaient toutes ces étoiles tapissant le néant de ses prunelles...
Ce connard n'a pas eu peur une seule seconde.
— Je suis désolé ! Je suis vraiment désolé... Je suis désolé, putain de merde, je suis désolé !
Mes doigts se crochètent dans ma nuque pour empêcher le sanglot de ravager le reste des sacs vides qui me servent de poumons.
Mais ça ne servira à rien...
Pas cette fois-ci.
Je parviens donc à ravaler ma peine et redresse à nouveau le regard vers eux.
Enfin. Ce que j'ai fait d'eux.
— Je ne serai rien sans vous. Sans vos encouragements. Sans votre aide, à chaque fois que je foirais dans mes tests. Sans tes conseils, Jon, sans tes recommandations, Lev. Et... Même si je m'en vais, et que je laisse toute cette histoire derrière moi, pour de bon... Je ne pourrai jamais vous oublier... Même si je ne suis pas sûr de mériter la vie que vous m'avez laissé.
D'une main tremblante, je sors deux petites plaques de verre de mon sac. L'une avec un drapeau russe, l'autre avec un drapeau américain. Je les dépose respectivement sur chacun avant de trouver la force en moi d'essayer de me redresser. Cependant, ce n'est pas sans difficultés. Mes muscles sont complètement ankylosés par le manque de mouvements et le froid mordant.
J'aimerais pourtant dire que ce sont les seules douleurs qui m'éviscèrent...
Ce n'est pas le cas.
Ce ne sera plus jamais le cas.
Dans mes cicatrices sont tatoués les noms de ce deux hommes qui devraient être en vie, plutôt que moi.
Je m'apprête à partir, quand je me tourne une dernière fois vers eux.
— Je connais toutes les étoiles qu'on peut voir dans ce ciel. Je... Je les ai étudiés, une à une... Mais j'espère que là où je vais, je vais pouvoir en voir deux nouvelles. Et... Et avant qu'un con ne les surnomme comme le prochain mioche d'Elon Musk, je... Je leur donnerai vos prénoms. Comme ça, qui sait... Peut-être que vous pourriez continuer à pourrir le restant de mes jours ? Vous feriez ça ? Pour... Pour moi ?
Je bascule ma tête en arrière pour voir le ciel, mais ici, il n'y a que l'obscurité... Celle qui permet à des milliers de flocons de donner le propre nom d'un Noël en approche.
Et étrangement...
C'est ce qui arrive à faire renaître un sourire sur mon visage.
Je glisse mes bras dans les lanières de mon sac et soupire en rangeant mes mains dans les poches profondes de ma veste.
Me retourner et partir paraît plus simple dans ma tête. Peut-être même que dans un coin de mon cerveau, j'ai déjà rejoint la route qui me mènera pour de bon à un semblant de rédemption...
Mais mes pieds sont plantés dans le sol, ensevelis par l'épaisse couche de neige qui a eu le temps de s'y former...
Je ne vais pas y arriver.
Surement jamais.
Néanmoins, alors que je m'apprête à m'asseoir à nouveau, je touche, du bout des doigts, la clef que Heden m'a laissé, lorsqu'elle est repartie...
Et tout revient.
Chaque chose qu'elle a fait pour moi, pour que j'ai l'opportunité de me tenir encore debout... Et même si c'est ici, défait, la tête baissée sur des tombes de fortune qui ne sont qu'un peu de terre retournée...
L'amour qui triomphe à la douleur.
Alors, j'arrive à retirer mes pas de mon socle de détresse et agite une main désolée dans leur direction, avec un sourire sincère, pour une fois.
— En échange, je vais essayer de ne plus jamais décevoir quelqu'un.
Caleb avait une dernière chose à faire et ça lui a valu beaucoup...
Mais on dirait bien qu'il a pris sa décision... On vera bien dans l'épilogue ! Et comme je suis grave gentille, il vient samedi 😎 et oui, c'est bientôt terminé 🥺
Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?
Je vous dit à samedi, en attendant ! 🥰🥰🥰
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