Chapitre 51 : flocon anglais

— Et... Et alors ?

— Et alors... c'est tout.

— Tu plaisantes, j'espère ?

Assise sur le banc qui donne sur l'immense sapin au centre de New Garden, je parviens à décoller mon regard des flocons de neige qui chutent à merveille sur les chalets et leurs lumières colorées. Le soir sonne à peine ses dix-huit coups que la nuit noire a complètement envahi le ciel, ne laissant plus que les milliers de lumières colorées qui proviennent des guirlandes. Arbres et chalets sont couverts et je suis à peu près sûre qu'on peut voir ce village depuis les avions, à présent.

Si toutes les fêtes sont préparées avec strass et paillettes à New Garden, Noël, en revanche, est celle que l'on organise bien des mois à l'avance.

C'est à se demander d'où sort le budget, certainement avec le maire qu'on a...

Mais malgré tout, ça a toujours eu le don de m'émerveiller.

Avec un sourire niais, je croise mes bras sur ma poitrine et finis tout de même par répondre à Prescott qui trémousse sur son siège :

— Non. Je ne plaisante pas. Il s'est passé ce qui s'est passé et... Me revoilà... Que veux-tu que je te dise de plus ?

Voir Prescott s'énerver est une chose très rare. Mais quand elle le fait, son visage s'empourpre au point de former une autre boule de guirlande, parmi toutes celles déjà présentes autour de nous.

— Je n'en reviens pas !

— Pourquoi est-ce que ça te déranges autant ?

Elle rattrape son bonnet tricoté à la main du bout de son moufle à bonhommes de neige et se lève brutalement pour me faire face.

— Donc tu te barres, en laissant un pauvre mot de trois lignes sur ta porte d'entrée, comme quoi, tu vas chercher l'autre blaireau, après bien sûr, avoir pleuré pendant des jours...

— Je n'ai pas pleuré, Prescott, essayé-je de protester.

En vain.

— ... Pour que finalement, tu reviennes, sans lui, soit dit en passant, et ce, avec un sourire stupide sur le visage ? Bon sang, l'orgasme n'est pas encore redescendu ou quoi ?

D'une poigne, je balaye une flopée de neige fraiche sur le rebord du banc et lui jette une petite boule.

Hey !

— Tu n'es plus enceinte. Tu as perdu ta carte de protection. Alors, je te balance des boules de neige, si je veux !

Prescott abaisse les bras et soupire en secouant la tête.

Mais qu'est-ce que je peux lui dire ?

Au fond de moi, je sais que Caleb reviendra.

Je le sais. C'est tout. Il est même plus proche de moi qu'il ne l'a jamais été.

— Je ne te comprends vraiment pas, Heden.

— Je n'ai pas besoin que tu le fasses. C'est comme ça, c'est tout.

— Ce n'est pas romantique du tout !

J'attends qu'elle revienne s'asseoir pour la pousser du bout de mon épaule.

— Pas tout le monde a une histoire d'amour qui est composé d'un beau grand ancien militaire, d'un phare et de quelques nuits d'amour sur une côte du Maine, comme toi.

— Non ! Exactement ! Toi, c'est avec un astronaute, ce qui est...

— Mieux ?

On sursaute brusquement toutes les deux quand la voix profonde de Carsen retentit derrière nous et j'éclate de rire face à son air faussement vexé. Les bras encerclés autour de son torse où dort paisiblement Sage, il balance son poids un pied sur l'autre pour la bercer, lui tenant la tête avec une protection farouche.

Un peu comme le regard qu'il adresse à sa femme.

— Je suis désolé Carsen, mais il faut être réaliste !

— Pardon. J'aurais dû t'énumérer mon CV, quand je t'ai rencontré ? Histoire de savoir si j'étais éligible assez pour madame ?

Il essuie une fausse larme de son œil et s'en va en tortillant du cul, augmentant mon rire qui me force à me plier en deux.

— Hey ! C'est toi ou moi qui vient d'accoucher ?! Non, parce que j'ai l'impression que ton taux d'œstrogène pète le plafond !

J'enroule mon bras autour des épaules de Prescott et presse ma tempe contre la sienne.

— Une chose est sûre, en tout cas... Tu m'as manqué.

— Pas tellement, apparemment... Tu ne m'as même pas ramené quelque chose de Manchester ! Même pas un astronaute.

Je l'aurais ramené pour toi ? Ou pour moi ?

On rit toutes les deux et mon cœur se réchauffe. C'est ironique, mais c'est la période de Noël à New Garden qui me maintient le plus au chaud.

Et ça, c'est sans compter ma panoplie de couvertures douillettes que je n'ai pas encore pu retrouver à la maison.

Je suis à peine revenue ici que la première personne que je suis venue voir, c'est Prescott.

Et maintenant qu'on est assises sur ce banc, avec comme vue, notre magnifique village et surement toute la population réunie sur la grande place...

Ouais. Ce n'est pas si mauvais.

— Plus sérieusement, Heden... Je croyais que tu allais revenir avec lui, parce que vous le méritez. Tu es sûre que ça va aller ? J'ai vu dans quel état tu étais quand il a fini par partir et...

J'ouvre plusieurs fois la bouche pour lui répondre, persuadée que j'aurais la réponse qu'elle voudrait, mais ce n'est pas ce que je peux lui fournir.

Je sais que la sensation qui a enveloppé mon cœur depuis que Caleb m'a déposé à l'aéroport est quelque chose de nouveau. Qu'elle ne me quitte plus depuis. Qu'elle me compresse, au point où j'ai l'impression que mes côtes se fragmentent.

Mais je ne sais pas si c'est une mauvaise chose.

Au moins, je me sens vivante. Je guette les étoiles dans le ciel, plutôt que de fixer tout ce qui est terrestre.

Et quand Prescott s'apprête à poser à nouveau sa question, pensant que ce qu'elle redoute soit vrai, je me redresse légèrement et souris avec affection.

— Oui. Vraiment. Ça va aller.

— Comment est-ce que tu peux en être certaine ?

— Je ne le suis pas. En réalité, je n'ai jamais autant douté de ma vie. Bon sang, j'ai envie de crier !

Le front de mon amie se plisse sous l'inquiétude, mais je la rassure en posant ma main sur son bras.

— Je peux te garantir, par contre, que je lui fais confiance. En nous. On a besoin de temps tous les deux parce que ça a été très intense et... Notre histoire a fini un chapitre. Mais il y en aura d'autres. Ce n'est pas la fin du livre, non ?

Cette fois-ci, c'est la brune qui m'affiche ses yeux ronds...

Avant d'éclater de rire.

Au point de tousser, putain !

Vexée, j'enfonce mes mains dans mes hanches et la regarde essayer de se redresser, les yeux larmoyants.

— Bordel, Heden... Tu n'as jamais dit un truc aussi fleur bleu !

Je m'apprête à répliquer que mon père débarque de l'intérieur lumineux du restaurant Chez Luan avec un petit plateau de mugs fumants. Il arrive à notre portée, en tend un d'abord à Prescott qui le remercie chaleureusement, avant de se tourner vers moi, un sourcil arqué disparu dans le rebord de son bonnet bleu.

— De quoi est-ce que vous étiez en train de rire, encore ?

— Rien.

J'attrape ma tasse, mais alors que je souffle dessus pour éviter de me brûler la langue, Prescott s'essuie la bouche pour en effacer la mousse du café et se redresse, toute guillerette.

— Ta fille s'est fait transformer en marguerite par son anglais.

— Je ne suis pas une marguerite !

— Si ! Bien sûr que si !

J'essaye de la pousser, mais heureusement pour elle, mon père vient s'asseoir entre nous deux, sirotant sa boisson, ricanant dans sa moustache.

— Peut-être pas assez pour qu'il revienne.

— Ou l'inverse... ajoute la jeune maman en ricanant.

— C'est ça, c'est ça, moquez-vous ! En attendant, je suis quand même revenu à temps pour Noël, non ?

— Encore heureux, renifle mon père, sinon, je serai venue te chercher par la peau du cou.

— C'est un truc de famille ? De vouloir chercher les gens à l'autre bout du monde ?

On se retourne tous les deux vers Prescott pour lui décocher un regard si véhément qu'elle se lève en haussant les épaules.

— D'accord, d'accord ! Je m'en vais ! Incroyable, ces Keye, tous plus susceptibles les uns que les autres...

Je la regarde s'éloigner pour rejoindre sa famille, un sourire aux lèvres, jusqu'à ce que la main de mon père se pose sur la mienne et qu'il demande avec une douceur quasi mielleuse :

— Comment est-ce que tu vas ?

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Je vais très bien, papa, ne t'en fais pas pour ça.

Je fais mine de baisser le regard vers mon mug, mais il le redresse en pressant son pouce sur mon menton.

— Tu vas bien, du genre à venir squatter mon canapé pendant des jours entiers ou du genre...

— Du genre que je vais bien, que je vais rentrer, que je vais dormir et que demain, je vais retourner au travail avant de venir aider le village à préparer Noël. Je te l'ai dit, papa... Je vais bien.

Ses yeux s'écarquillent, comme s'il ne croyait pas en un seul mot qui venait de sortir de ma bouche et je soupire. Je me retourne à nouveau vers l'immense sapin ainsi que ses centaines de guirlandes étincelantes et laisse mon cœur se gonfler dans ma poitrine, au point où je peux sentir mes côtes commencer à saillir sous ma peau.

Il n'y a jamais assez de place pour les deux, de toute façon...

— Je commence à en avoir marre de cette question. À force, ma réponse va changer, mais ce sera seulement parce que je serai en colère...

Mon père dépose son mug sur le banc et m'attrape tendrement la main afin de me forcer à me lever.

— Viens avec moi.

— Pourquoi ?

— Viens, c'est tout.

Je m'exécute, non sans froncer du nez sous la méfiance, et il m'entraîne jusqu'au sapin.

Sur les branches les plus basses, celles qui tendent leurs aiguilles vers les quelques dizaines de boutiques illuminées du centre de New Garden, se retrouvent déjà plusieurs cannes à sucre.

Parce que c'est la tradition, ici. Un peu née de nulle part d'ailleurs... Comme le premier individu qui avait choisi de crocheter un cadenas sur le pont des amoureux, à Paris, ou encore celui qui avait cru bon de jeter une pièce dans une fontaine.

Non, chez nous, on accroche une canne à sucre personnalisée sur le grand sapin central du village.

D'ailleurs, je peux déjà reconnaître celle que Prescott et Carsen ont pendu pour Sage, avec une photo d'elle collée à sa courbe. Toutefois, j'ai à peine le temps de faire passer mes doigts dessus que mon père sort un bonbon identique de la poche intérieure de sa grosse doudoune pour me la donner.

— Papa, je n'ai plus six ans.

— Justement. C'est pour elle, que nous l'accrocherons. Pour celle que tu étais avant et celle que tu es devenue.

Ses yeux se mettent à briller et tandis qu'il passe une main sur ma joue, il murmure avec affection :

— Tu ne vois plus ce que tu deviens, pourtant, moi, je vois une merveilleuse jeune femme qui a dû surmonter un bon tas d'emmerdes cette année... Et tout ça, sans profiter de l'aide des autres, mais aussi sans la rejeter.

Ses mains remontent le long des miennes et déposent dans le creux de mes paumes la canne à sucre.

— Je suis fière de toi. Et je suis avant tout désolé pour avoir été aussi dur.

— Tu n'as pas à t'excuser, tenté-je, tu...

— Avec ta mère partie et avec la compagnie, j'ai à peine eu le temps de remarquer que toi aussi, tu en étais affecté. J'ai pris tes appels de phare comme des agissements de gamine et...

— Papa, arrête, m'entêté-je en venant le prendre dans mes bras.

— Accroche ce foutu bonbon, Heden, avant que je ne fasse une scène.

J'éclate doucement de rire et m'empresse de le glisser sur une branche encore libre et regarde fièrement le résultat, l'épaule pressée contre celle de mon père.

— On n'a jamais été doué pour communiquer, hein ?

— Peut-être pas, mais au moins, on apprend de nos erreurs et c'est ce qui compte.

Mon regard se pose sur la terrasse bondée de Chez Luan, notamment sur la cargaison de frères Trope qui s'y retrouvent en beuglant autour de leurs bières et je souris de plus belle lorsque j'aperçois Colby.

Il me voit aussi et après un long moment de contemplation, trinque à ma santé, à distance.

Ouais. Pas de doutes.

On a tous appris quelque chose, cette année.

J'enroule à nouveau mon bras autour des épaules de mon père et vient rejoindre notre banc avec nos mugs devenus impatients.

— Merci de toujours m'offrir des bonbons quand tu crois que je ne vais pas bien.

— Merci de toujours m'arrêter quand je m'apprête à dire quelque chose de stupide.

— Me dire ce que tu ressens n'est pas stupide, papa !

— Si tu le dis !

Alors qu'on sirote nos cafés encore chauds, plusieurs des bûcherons de notre entreprise viennent à notre rencontre pour nous saluer. Et si les enfants se mettent à courir pour attraper les flocons de neige qui se mettent à tourbillonner de plus en plus fortement autour de nous, je bascule légèrement ma tête en arrière vers le léger halo de lune qui parvient à transpercer les nuages chargés.

Comme quoi, ce n'est pas toujours sombre ici.

Quelques fois, le ciel vient se joindre à la fête...

Et c'est magnifique.

J'aime à croire qu'une étoile filante passe dans le ciel, actuellement... Que le vœu que je murmure à bout de lèvres soit exaucé.

J'aimerais fêter Noël avec une famille au complet, cette année...

Car il manque toujours un membre.

Heden est de retour à New Garden et on dirait que bien son village lui a manqué, même si un bout de son cœur appartient toujours à un certain British...

Prescott et Carsen, plus unis que jamais, malgré quelques vannes... Un papa qui accepte enfin de tendre une main affectueuse envers sa fille...

Colby passe à autre chose et c'est aussi le retour des traditions de Noël...

Vous voulez faire un tour à New Garden, vous aussi ? ❤

Qu'en avez vous pensé ? 🥰

Je vous dit à mercredi prochain pour le tout dernier chapitre du pdv de Caleb... À votre avis, qu'est ce qu'il peut encore bien faire à Manchester ? Quelles vont être les décisions à prendre ?

Big bisous hivernaux sur vos joues d'été ❤❤❤❤

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