Chapitre 5 : gravité
Je me réveille plusieurs fois, avant de tout de suite retomber dans un gouffre profond. Je ne cesse de tomber et je sens encore la pression sur mon crâne, mes poumons... L'incapacité de respirer devient plus écrasante à chaque fois que je rouvre les yeux.
Puis je sens quelque chose d'humide me frôler le bout de la main.
Mes paupières restent ouvertes cette fois-ci et je me redresse dans un sursaut. De longues coulées de sueurs creusent des sillons le long de mes tempes et trempent ce foutu coussin fuchsia sur lequel je suis cloué depuis je ne sais combien de temps. Ma vision se défloute sur le museau blanc d'Ollie qui s'est assise à côté de mon seau à vomi. Ses oreilles déjà aplaties se trémoussent lorsqu'elle aperçoit mes yeux et elle entre-ouvre légèrement la gueule afin d'haleter, joyeusement. On dirait qu'on a fait la paix. La chienne se couche à demi, dans une position de jeu et ses longues pattes blanches manquent de peu de renverser tout le contenu du seau. J'essaye de la calmer en passant mes doigts dans ses poils fins et duveteux, mais ça ne fait que l'exciter encore plus. Dans un saut, elle me rejoint sur le canapé et passe sa grande langue sur mon visage.
— Hm...
Plus j'émerge, plus la douleur se prononce. Je n'ai pas besoin de zieuter vers la cheminée éteinte pour savoir que la source de ma chaleur, c'est la fièvre et rien de plus.
On est censé se préparer à l'avance, avant de revenir sur Terre. On est censé avoir des combinaisons pour supporter l'attraction terrestre. On est censé atterrir à un point précis et se faire recueillir par des autorités qui nous emmèneront à des docteurs.
Je suis censé être en quarantaine.
À la place, je me retrouve agrafé sur le canapé au milieu d'un coin perdu, à peine en vie, avec un gros chien qui me bave dessus.
Puis soudain, la réalisation me frappe. Le choc est si violent que je m'écroule au sol. Même si le parquet est recouvert d'un tapis à peine nettoyé par la fameuse rouquine qui n'a toujours pas dit son prénom, la douleur est telle que j'ai l'impression qu'on vient de me jeter du haut d'un immeuble. J'étouffe un cri dans les pluches couleur rubis de la pièce textile avant de ramasser toutes mes forces afin de me redresser sur mes coudes. J'essaye tant bien que mal de ramper, sentant les agrafes tirer la chair de mes muscles déchirés, mais je ne fais pas plus d'un demi mètre, que je m'arrête en me roulant sur le dos. Ollie, inquiète, descend du canapé et vient presser sa truffe noire contre mon corps.
Il faut que je sorte d'ici. Parce qu'à tout instant, ils seront là. Avec un corps étranger qui a déchiré l'atmosphère, les services de l'ordre autour de la Terre doivent être en panique. Et ils sont surement à la recherche de la capsule, avec Jonathan et Lev à l'intérieur. Je dois me cacher, putain... Je ne peux pas assumer ça. Je devrais être mort, avec eux. Je ne devrais pas être ici, en train de survivre, me détruisant à petits feux avec une préparation que je ne connais pas. Je sais qu'il me faudra plus qu'un aspirine et de l'eau pour vaincre ce qu'il m'arrive. Mais je sais aussi que rien de tout ceci n'aurait dû arriver.
Ma promesse à Lev Malikov n'a pas été établie. Je n'ai pas eu le temps de protester, de le retenir, de mourir en héro avec lui. Je n'ai pas eu le temps de revenir tranquillement avec les trente-sept autres gars de l'I.S.S Alpha 33. Je n'ai pas eu le temps de le regarder droit dans les yeux et de lui dire d'aller se faire foutre. De lui donner le parachute et que se soit lui qui se fasse sauver par cette rouquine.
Un sourire vient esquisser mes lèvres, malgré l'effort que ce geste me coûte.
Putain, il aurait aimé ça, le Russkof. C'est ce qu'il disait tout le temps, d'ailleurs, que son plus grand rêve, c'était de se réveiller avec une sublime nana qui prenait soin de lui. À la place, il essayait de me balancer une chaussure dans le visage, parce que c'était mon visage qu'il voyait en se réveillant à la station spatiale. "Essayer" était bien le mot, car je pouvais préparer le repas avant que la chaussure ne puisse possiblement atteindre mon visage. Ouais. Une bagarre spatiale, c'est assez ridicule à voir.
Mais rien que pour ça, je ne peux pas pointer le bout de mon nez devant la presse. Et dire quoi ?
Je suis tombé du ciel. J'ai perdu mes amis. Tout va bien, retour à la vie normale, maintenant.
Putain, j'aurais voulu qu'elle me laisse crever...
***
Les vapes sont devenues mes royaumes. J'en suis le maître, pourtant, ce sont elles qui me maîtrisent. D'une main de fer, je les gouverne, les connaissant probablement mieux que peu importe qui d'autre, pour qu'en réalité, je me fasse envahir par ses obscurités révolutionnaires qui hurlent au nom de ma perte. Mes paupières sont mes seules alliées contre cette guerre intérieure et me tire, une nouvelle fois, dans un éveil douloureux.
Ma joue pressée contre le parquet, je distingue nettement les effluves répugnantes de croquettes. Ma tête rejetée en arrière, je discerne la carrure d'Ollie en train d'enfoncer son museau dans un bol rempli de nourriture. Mon ventre gargouille et je grimace. Je suis sincèrement en train d'envier ce chien face aux horreurs qu'il avale ?
Mais je n'ai rien mangé depuis le matin de l'explosion spatiale. Je sais aussi que je ne pourrais pas manger n'importe quoi, pas dans l'état que je suis, pas avec tout ce que j'ai perdu.
La cuisine n'étant pas loin, je rampe à nouveau. Je plie un genou, puis l'autre et laisse mon dos exécuter les gestes nécessaires afin d'éviter toute crampe abdominale. J'exécute ces gestes plusieurs fois jusqu'à sentir l'un des placards dans mon dos. Je redresse le bout du menton vers une horloge accrochée au mur, à côté de deux haches croisées.
La rouquine a dit qu'elle allait revenir très vite. Alors elle est où bordel ?
Mon sang comprimé dans mes tempes se bloque encore plus lorsque j'essaye de me redresser dans une position assise.
— Putain...
Mon cerveau va exploser. Je n'aurais jamais cru que la Terre exerçait autant d'attraction sur nos corps. Je tente tant bien que mal de lever mon bras dans la direction d'un petit placard boisé quand soudain, Ollie se redresse de son bol, alertée par un bruit de pas sur le palier. Mais alors que je crois que c'est le retour de sa maîtresse, elle se met à aboyer, la queue raide et son poil hérissé.
— Mademoiselle Keye ?
Un homme frappe quelques coups à la porte d'entrée et renforce les aboiements de la chienne. Elle se laisse basculer sur ses pattes arrière et enfonce ses grandes griffes noires dans les planches vernies comme si elle le forçait à repartir.
— Mademoiselle Keye, c'est la Sécurité Intérieure. On est là pour un crash qui a eu lieu il y a deux jours ? Nous aurions quelques questions à vous poser.
Malgré mes muscles transits, je me recouche au sol, recroquevillé dans une position dans laquelle je n'aurai jamais cru me retrouver un seul jour. Si avant ma sueur dégoulinait de mon front à grandes gouttes, à présent, j'ai littéralement l'impression de m'être transformé en cascade. Mes bras croisés sur le ventre, les genoux repliés sur mon torse, je me presse toujours et encore contre le comptoir afin de me cacher du mieux que je peux. Sentant ma détresse, Ollie redouble d'intensité dans sa voix profonde et m'empêche presque d'entendre les grognements exaspérés de l'agent.
— Elle n'est pas là, Grahm.
— Je remarque ça. Viens, on ne va pas interroger le chien, quand même ! On rejoint les autres, on a encore pas mal de boulot à la zone de crash, de toute façon.
— Ouais...
L'autre homme semble dubitatif, mais comme son collègue, il finit par s'éloigner. Les bruits de pas s'évanouissent dans la neige épaisse qui doit tapisser l'extérieur et leurs ombres disparaissent du sol du salon, ne laissant plus que les faisceaux des rayons de soleil.
Ollie continue encore à aboyer quelque temps avant de redevenir un ourson adorable aux yeux pétillants et de trottiner dans ma direction. Elle s'assoit en face de moi et je parviens à arquer la main pour lui donner une petite caresse.
— Merci. Je te revaudrai ça.
En guise de réponse, elle fourre le bout de son museau dans le pli de mon bras et allonge sa croupe pour se laisser coucher sur mes jambes à nouveau étendues. Je viens peut-être de me trouver une alliée de taille, en fait... Qui aurait cru ?
Une amitié Ollie-Caleb... Qui aurait cru 🤔😂
Désolée pour le retard, mais ce weekend a été un veritable chantier ! Je vous poste donc ce petit chapitre en attendant on se retrouve dès demain pour celui de Heden hehe 🤭❤
Qu'en avez vous pensé ? 🤔❤
À demain ! ❤
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