Chapitre 49 : le temps nous le dira

J'ai couru. Parce que je ne savais pas quoi faire d'autre. Je n'ai même pas cherché à manger avant, ou même prendre un taxi.

Non.

À la place, j'ai pris mes jambes à mon cou, sans une veste, à travers des rues que je ne connaissais pas, demandant aux passants par où je pouvais bien passer.

Et j'ai crié.

Les maisons se succédaient, identiques, à quelques jardins près, et je m'étais quand même arrêté pour savoir si je devais sonner à leurs portes...

Mais à la place, j'ai préféré crier.

Du haut de mes poumons, j'ai scandé le nom de l'homme qui m'est littéralement tombé dessus. Tout ça pour le voir se retourner en bout de rue, comme s'il était prêt à partir, ses mèches blondes noircies par la pluie, bouclant à peine leur passage au-dessus de ses yeux grandement écarquillés.

Il se fige sur place...

Mais pas pour longtemps.

Alors que mon souffle meurt entre mes lèvres tremblantes, il lâche son sac et court dans ma direction, que pour cueillir mon visage en plantant ses doigts dans mes joues.

Si ses yeux ne me lançaient pas des éclairs, je saurais que son geste est doux. Que la pulpe de ses pouces efface tendrement la pluie de mon visage dans la vaine tentative que je puisse le voir.

— Bordel, Heden, qu'est-ce que tu branles ici ?!

Je repousse doucement ses mains et essaye de sourire dans sa direction.

— Je n'en sais rien. Te rendre la pareille de ce que tu m'as fait ? Je ne suis peut-être pas en parachute et nous ne sommes pas dans un lac, mais...

J'écarte en grand mes bras, toujours à bout de souffle, mais il ne déride pas. À la place, il continue de me toiser, comme s'il cherchait ses mots.

Et je ne suis même plus sûre de savoir ce qu'il pense exactement.

Enfin du moins, jusqu'à ce qu'il entre ouvre les lèvres et ne murmure :

— On... On devrait se mettre à l'abri.

Quoi ? C'est tout ?

***

L'orage se décuple dehors, alors que le vent s'écrase contre les murs en brique d'un café. Et si je souffle sur la fumée de ma tasse bien figée entre mes doigts tremblants, Caleb, en revanche, est bien plus stable.

Il n'a toujours pas cligné des yeux.

Les gouttes d'eau tombent de son front et perlent le long de ses joues, mais il n'est pas différent de ce que j'ai repêché, cette fameuse nuit, dans mon lac.

Il est même aussi silencieux que la première fois que j'ai commencé à agrafer ses blessures qui dégoulinaient sur mes meubles.

Ça m'arrache un sourire.

Tandis que lui, reste marbré.

Mal à l'aise, je croise mes mains sur mes genoux et hausse le regard vers le café où l'on se retrouve.

À quelques choses près, on se retrouve chez moi... Tout le monde est habillé d'un pull douillet, les serveuses font défiler des roulés à la cannelle et des mugs fumants... Il y a même un type en fond de salle qui fait gratter quelques cordes de guitare sur une mélodie envoutante.

Mais je ne suis pas venue ici pour écouter de la musique.

Je redresse le bout de mon menton vers Caleb qui, entre temps, a enfoncé son visage entre ses mains, sans toutefois me quitter de son regard perçant. Je dénoue mes doigts et soupire :

— Caleb, est-ce que tu peux au moins me dire quelque chose ?

Ses lèvres se plissent un instant, mais il finit par s'exécuter.

— Je ne sais pas quoi te dire, Heden.

— Peut-être que tu es content de me voir ?

Je jurerai le voir sourire...

Mais la tentative est trop furtive pour que je le confirme, surtout quand il se redresse pour enlever sa veste de ses épaules.

— Si j'avais voulu te voir ici, j'aurais simplement accepté que tu viennes avec moi, non ? Comme ça on aurait évité bien des drames.

Avale la pilule, Heden...

Je cache mon irritation en avalant une rasade de mon café et essuie la crème de mes lèvres.

— Mais je suis là, maintenant. Et tu ne peux pas vraiment me renvoyer, parce que... Et ben je fais ce que je veux.

— Et qu'est-ce que tu désires précisément, Heden ?

Non. C'est trop facile.

Je le fusille du regard et repose mon mug.

— Tu sais ce qu'on va faire ? C'est que tu vas te taire et m'écouter pour une fois. Tu n'es pas celui qui a le droit d'être énervé. Tu... Tu n'es pas celui qui a le droit de faire les grands yeux, partir et prétendre qu'on n'a rien vécu. Si j'avais envie d'avoir quelqu'un comme ça à mes côtés, je serais restée à la maison. Mais tant que je suis ici, que j'ai mis ma putain de fierté de côté pour me retrouver en face de toi, on joue à mes règles.

Il croise ses mains sur son torse, ouvre la bouche pour répliquer, mais je hausse ma main pour l'ordonner de se taire.

— Décidément, tu n'as pas encore bien compris la première règle... Qui est quand même de fermer ta jolie petite gueule.

J'attends qu'il se ressaisisse avant de poursuivre :

— Je ne sais pas pourquoi j'ai fait un truc aussi inconscient, pour répondre à ta question. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas pu te laisser partir comme ça. Encore moins pourquoi ça me blesse autant de te voir ici et... Enfin qu'importe. Je suis quand même ici. Et toi, tu l'es aussi. Alors, je ne repartirai pas avant que...

— Avant qu'on ne soit quelque chose de concret ? me coupe-t-il en arquant un sourcil.

Je ricane et acquiesce.

Après tout, c'est con.

Parce que ce n'est pas du tout ce que j'avais en tête, en le retrouvant.

J'avais pensé à un baiser passionné sous la pluie. Le genre de conneries qu'on ne lit que dans les livres ou qu'on ne voit qu'à la télé. Qu'il m'abrite dans une étreinte chaleureuse, qu'il m'embarque dans des retrouvailles torrides...

Qu'on ne se quitte plus, même au petit matin.

J'avais imaginé un petit déjeuner au lit, un baiser pour me réveiller, un million de trucs à se raconter.

Mais à la place...

On se retrouve dans un café et on va surement encore se disputer.

Je me sens conne, putain...

Exposée, comme saignée à blanc après une bataille que j'étais persuadée de gagner, je me recroqueville sur mon tabouret. Je prends soudainement conscience de ma connerie et c'est avec colère que je passe ma main dans mes cheveux trempés.

— Je ne cours pas derrière toi. Je ne suis pas désespérée. Mais tu es ma garantie, tu te rappelles ? Tu es l'astronaute que j'ai repêché et recousu. Que j'ai accueilli chez moi et aidé à reconstruire. Tu m'as un jour dit que tu ne me devais rien et... C'est peut-être vrai, mais tu m'as pris quelque chose que je suis peut-être venu récupérer.

— Et qu'est-ce que c'est ? demande-t-il, prudent, me forçant à cracher le peu de cœur qu'il me reste encore après tout ce tumulte.

— La vérité ? Dis-moi honnêtement si nous nous sommes aimées, simplement parce qu'il nous est arrivé tout ça. Que rien d'autre nous lie. Dis-moi si je ne représente pour toi qu'une infime partie de ce qui t'as permis de survivre. Dis-moi ça et je partirai à nouveau. Mais bon sang, Caleb... Tu n'avais pas le droit de partir comme ça.

Je suis obligée de me mordre le bout de la langue pour ne pas laisser tomber les quelques larmes qui viennent se ranger au garde-à-vous dans le sillon de mes yeux.

Je tiens bon.

Mais pour combien de temps encore ?

Cependant, dans un flash tant espéré, le visage de Caleb change de tout au tout. Il se redresse, suffisamment pour être près de moi et plaque sa main sur son cœur, comme offusqué par ce que je viens de dire.

— Bon sang, Heden... Tu crois vraiment que c'est ce que je pense ? Que je ne suis qu'une enflure qui t'as utilisé pour... Non ! Non ! Non, Heden, non !

Il répète mon prénom un bon nombre de fois avant de saisir mon visage entre ses mains et de presser son front contre le mien, murmurant ses mots comme un poème à l'aurore de mes lèvres.

— Tu es celle qui m'a appris à faire à nouveau confiance aux étoiles. Celle qui m'a redonné goût à rire et à profiter de la vie.

Il m'embrasse.

D'abord furtivement.

Et plus il le fait, plus il s'attarde, forçant toutes mes barrières à s'effondrer.

J'en ferme même mes yeux, par peur de me réveiller de ce songe qui paraît irréel...

— Nous ne nous sommes pas aimées. On s'aime toujours. Parce que tu m'as donné la force de revenir ici et... Sans toi, je serais resté à New Garden. Je n'aurais rien assumé du tout. J'aurais pris le chemin le plus facile, tout abandonné, comme je l'ai éternellement fait. J'aurais tourné le dos et laissé le silence des morts m'écraser pour le peu qu'il me resterait d'existence. Mais toi... Toi, Heden, tu m'as appris que dans la vie, on est parfois obligé de faire ce qui nous massacre de l'intérieur.

Il s'arrête un instant pour reprendre une inspiration et j'en profite pour effacer une unique larme de sa joue barbue.

— Comment est-ce que j'aurais pu mentir à la seule femme dans ma vie qui a pu repérer Orion dans le ciel ?

Un rire m'échappe et il me serre dans ses bras.

La voilà, ma promesse de tendresse.

Le voilà, mon bisou magique.

J'entremêle mes doigts dans ses boucles blondes et me laisse pendre à son cou pendant un instant. Et même s'il s'éternise, nous valant quelques regards en coin de la part des autres clients, j'en délecte chaque once.

Au point où j'arrive même à murmurer :

— Je t'aime, Caleb.

Il ne se sépare de moi que pour me regarder et me le répéter à son tour :

— Je t'aime aussi, Heden.

Ah. On n'a pas oublié de pendre du gui au-dessus de mon destin, alors.

Avec un peu de retard, mais enfin : le chapitre est là 😂

Vous en aurez quand même un mercredi ! Enfin, ce sera jeudi pour vous, puisque j'écris la nuit... Bref, vous devez être habitué depuis le temps 😂😂

Bon sinon, c'est les retrouvailles entre Caleb et Heden et... Au moins, ils ont communiqué !

Et ils ont enfin pu voir vé qu'ils avaient devant les yeux...

Et ben, il leur en a fallu du temps et de la distance, pas vrai ?

Qu'en avez vous pensé ? 🥰

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