Chapitre 48 : crie mon nom

C'est ça, bande de voraces... Prenez tout.

Trempé par une pluie qui gronde depuis des nuages chargés au-dessus de ma tête, je me laisse plonger dans un gouffre, sans forcément tomber.

Figé sur place par un système mécanique inconnu, les mains dans les poches, je regarde des hommes costumés aborder des sourires immaculés aux futurs squatteurs de ma maison.

Pardon.

La dernière habitation d'une génération vouée à l'échec.

Mon cœur tressaute dans ma poitrine, saille sous ma peau déjà à découvert sous le déluge qui se déverse sur moi et pourtant, je n'arrive toujours pas à bouger.

Comme le jour où j'ai découvert les catacombes du crash spatial...

Les traces mortuaires des corps inexistants de Jon et Lev squattent peut-être plus mon crâne que cette vision d'abandon, mais quand bien même, je ne déloge pas.

Mon t-shirt noircit sous l'eau et se presse contre ma peau comme une énième cage qui m'empêche de respirer.

Je suis fait de chair et d'os.

Je suis fait de sang et de larmes.

Je suis l'échec et la survie.

Je ne suis certainement pas fait pour ces conneries.

La constellation d'Orion semble si loin, putain...

Derrière moi, la maison de madame Richards semble scellée, tandis que celle qui avait jadis été le berceau de mon enfance et de mes rêves déchus disparaît à mes yeux comme un grain de sable dans le vent.

Alors, je marche.

Reniflement après reniflement, j'essaye de ne pas me laisser empoisonner par la douleur liquide qui coule à flots dans mes veines.

On dit qu'on peut mourir d'un cœur brisé.

Moi, je meurs parce que les fragments qui le constituent essayent toujours de se souder dans un espoir vain.

Pourquoi est-ce que j'y crois, toujours ?

Pourquoi est-ce que j'ai pensé que revenir ici allait me faire du bien ?

Et puis quoi, maintenant ?

Rejoindre le petit appartement miteux qui ne m'attends pas plus que ça, à Oxford ?

Les doigts cramponnés à la lanière de mon sac, je dérive dans les entrailles brumeuses de cette rue de Manchester, essayant tant bien que mal de trouver mon refuge sous les feuillages mourants des sycomores qui longent la route.

Elle est loin, la période où je pouvais trouver ma haine et pourtant mon réconfort dans les bras d'une pixie aux cheveux de feu et au sourire ambivalent...

À présent, il n'y a que la pluie.

Je ne préfère pas aller dire au revoir à madame Richards, parce que je crois que j'ai eu ma dose de gens à décevoir.

Elle m'a demandé ce que j'allais faire...

Et je ne connais toujours pas la réponse.

Pas faute de m'être posé un million de fois cette question, alors que j'errais comme un fantôme, dans ce qui est, à présent, la maison de quelqu'un d'autre.

Je secoue la tête, dans la vaine tentative de ne pas autoriser une seule putain de larme à dégringoler le long de mes joues et dévie dans un petit parc aux arbres dénudés. Je balance mon sac sur un banc, sort un téléphone de ma poche et, les lèvres pincées, compose le numéro de Chrystine.

Parce que je réalise seulement maintenant que des choses n'ont pas été dites...

Parce que ma vie et mon destin ne seront jamais scellées, si je ne les expulse pas...

Et parce que la rage qui bourdonne dans ma poitrine exécute mes moindres faits et gestes, dans un automatisme peiné.

Même si bien sûr, je tombe sur le répondeur...

Je m'en moque et fronce les sourcils, l'appareil bien collé contre mon oreille où le sang bat un rythme inhumain.

— Je sais que tu ne vas pas me répondre et je sais que nous avons déjà probablement clôturé nos discussions... Mais peu importe. J'aimerais que tu écoutes bien ce putain de message...

Je me redresse contre le dossier du banc et bascule légèrement la tête vers le ciel, cherchant une énième fois le réconfort dans des étoiles invisibles. Soudain, je ne suis plus sûr qu'il y ait quoi que ce soit à dire...

Même si la rage revient très vite en galopant, mes mots s'expulsent de ma bouche comme s'ils appartenaient à quelqu'un d'autre...

Un hymne à la rédemption.

Un requiem d'une autre vie, morte avec Lev et Jon.

— ... Je veux que tu écoutes chaque mot, je veux qu'ils te hantent pour le restant de ta vie. Je veux que tu vois ce que tu nous a fait. Parce que je sais maintenant que... Que tu devais forcément connaître l'état mental de Penrose. C'était toi, qui donnais la validation psychologique, pas vrai ? Tu savais pertinemment qu'il n'allait pas bien. Qu'il n'arrivait pas à s'enlever ces pensées de la tête... Et... Et tu l'as quand même laissé partir, parce que... Parce que quoi, d'ailleurs ? Que vous n'aviez pas de temps ? Pas le budget pour retarder la mission ? Tu sais quoi... Ce n'est même plus important. Parce qu'il a fait exploser une station spatiale, putain... Et parce que c'est ta faute. Tu nous a tous ruiné. Moi, Craig... Lev et Jonathan. Alors ce n'est pas qu'à moi de vivre avec ça, comme tu me l'as si bien comprendre, la dernière fois... Mais à toi aussi. Et ne t'en fais pas, j'ai très bien compris que ce que j'ai à dire à ce sujet n'est pas seulement dangereux pour une soi-disant prochaine mission spatiale... Mais aussi pour ton sale cul. Alors, je vais me taire. Mais bordel, Chrystine... un petit rire sournois et mélancolique secoue ma gorge, le silence de mes mots... J'espère que tu l'entendras jusque dans ta tombe.

Sans ajouter quoi que ce soit de plus, je raccroche et range mon téléphone à nouveau dans ma poche. Je me redresse, reprends mon sac et essaye de rejoindre la route.

Je leur devais ça, à mes compagnons d'étoile.

Je leur devais la putain de justice, même si elle resterait qu'entre moi et la démone qui nous a imposé ça.

Je leur voue mon âme et le peu qui a réussi à en survivre.

Alors c'est seul que je laisse mes pas s'alourdir dans les flaques d'eau gargantuesques qui se chargent, encore et encore.

Ouais. Je ne sais vraiment pas où je vais bien pouvoir aller...

Mais je sais déjà que je ne dois pas rester ici.

C'est donc la tête haute que je reprends un rythme de pas qui se veut régulier, déterminé à boucler les dernières ficelles qui traînent dans ma vie, une bonne fois pour toutes. Mais alors que j'essaye de retrouver un souffle afin d'alimenter des poumons vidés de vitalité, je jurerai apercevoir une furie rousse courir dans la rue.

Je l'ignore d'abord, mais un cri perçant s'en échappe, me forçant à me retourner plusieurs fois sans comprendre.

Pendant un instant, je jurerai reconnaître Heden.

Sa voix.

Sa silhouette.

Merde, même sa présence...

Mais c'est impossible.

Ma Heden, a été un baume cicatrisant que j'ai rejetée alors qu'elle avait été la seule personne qui avait eu la bienveillance d'être là pour moi...

Ma Heden, je l'ai laissée brisée, au fin fond des pins et de la neige.

Ma Heden, je ne la reverrai plus jamais.

Je me mords l'intérieur de la joue pour essayer de survivre à la doléance de cette réalisation...

Quand soudain, la fameuse voix haut perchée se compose de mots :

— Caleb Galager !

Comme une évidence, je m'arrête.

Et c'est bien elle.

Ce n'est pas un rêve.

Pas un spectre.

C'est la furie rousse.

La vipère à la langue affutée.

Heden.

Ma Heden.

Son gilet a glissé sur ses épaules, faisant découvrir cette petite fleur tatouée, sur sa clavicule. Les mèches flamboyantes de sa chevelure restent collées sur son épiderme trempé où bat un cœur qui n'en finit pas.

Heden.

Heden.

Heden.

Je fais un pas en avant...

Et elle s'arrête de courir.

Elle fait un pas en avant...

Et c'est moi qui me met à courir.

Merde...

Mais qu'est-ce qu'elle fout là ?!

Il fallait crier un bon coup pour qu'ils se retrouvent... Mais comment se dérouleront les retrouvailles exactement ? 🤭

Plus que quelques chapitres et on cloture cette romance... Et j'ai une super nouvelle a vous annoncer 🤭💙

Je vois dit a tres bientôt 🥰🥰

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