Chapitre 45 : twinkle, twinkle little star
Prescott aime l'imprévisible.
Bien sûr.
Quand on est une ancienne mathématicienne qui a rencontré un bucheron, au détour d'un accident de bateau, en plein orage... On peut se permettre d'être le flocon unique dans tout New Garden.
Alors quand, en pleine nuit, Carsen débarque pour m'annoncer que c'est l'heure pour la bombe d'exploser, ça ne me surprenait vraiment pas.
Ce qui l'était, en revanche, c'était la raison de le voir sur le pas de ma porte, plutôt que sur celui du docteur.
Mais on n'y fera pas attention.
Après des heures de cris et de larmes, où tout le voisinage proche de Prescott et Carsen attendaient la grande réponse dans le salon, on a enfin pu voir le docteur et l'heureux père débarquer avec le plus adorable des bébés, une magnifique fille dont la bouille me fait encore frémir d'émotions. Et si tout le monde s'émerveillait autour d'eux, moi, en revanche, après avoir plaqué un rapide baiser sur la joue de mon ami, je suis partie rejoindre Prescott, dans la chambre.
Et si j'ai toujours vu une Biscotte souriante et pétillante de vie, cette fois-ci, elle pleure dans les tréfonds de son lit.
Dans un souffle, j'attrape une chaise et viens m'asseoir à ses côtés, lui prenant ses mains tremblantes entre les miennes pour essayer de la rassurer.
— Hey, Prescott, qu'est-ce qu'il t'arrives ?
— On n'est pas prêts. On n'est pas prêts ! Tu... Tu as vu comment elle est minuscule ? Je... Je ne suis pas capable de prendre soin d'elle ! Je... Je vais la perdre ! Je vais la perdre, Heden !
Secouée par un sanglot, elle serre mes doigts avec la ferveur de mille diables au point où j'en grimace.
Oh non... Si Prescott a peur... Alors qui tient le coup ?
Je reprends néanmoins mes esprits et me penche sur son lit pour venir m'allonger à ses côtés, lui serrant les épaules pour qu'elle se blottit contre moi.
Je ne vais pas la laisser croire qu'elle n'est pas apte à prendre soin de sa fille. Pas alors qu'elle a clairement le don de survivre.
— Écoute-moi, Prescott, tu ne vas pas la perdre.
— Mais bien sûr que si ! Je ne suis pas capable de...
— Tu es capable de ça et de bien plus. Tu verras. Tu vas être la meilleure mère de tout le comté. Je vais même te dire... Du monde.
— Tu dis ça comme ça... bougonne-t-elle en reniflant.
Je souris du mieux que je peux, lui balaye ses cheveux auburn de son visage boursoufflé par la peur et la serre de plus belle. Parce que c'est ridicule, pas vrai ? Prescott est probablement la mieux placée pour devenir mère, dans tout ce foutu monde fait de misère et d'abandons.
Et je sais de quoi je parle.
Mon regard balaye la chambre comme un rapide coup de balais et mon cœur se réchauffe dans ma poitrine. Dans le fond, près d'une petite armoire, se trouve un berceau que Carsen a construit de ses propres mains. Je me souviens même du jour où je l'avais surpris, à la menuiserie, en dehors des temps de travail, pour sculpter chaque barreau. Je n'avais pas osé me manifester, car c'était la première fois que je le voyais autant attentif à ce qu'il faisait.
Il y avait des arbres qui, en dehors de leur fin de vie aussi funeste qu'un certain roi français, étaient traumatisés par son travail plus que violent.
Mais pas pour ce berceau... Tout comme les petits jouets en forme d'animaux de fermes, posés sur une étagère, à côté.
Dans un petit soupir, je me tourne à nouveau vers Prescott qui essaye d'étouffer ses sanglots dans ses mains et l'embrasse tendrement sur la joue.
— Tu ne seras pas une horrible mère, Prescott, tout simplement parce que tu as attendu cet instant depuis plus de neuf mois. Tu te rappelles ? Avant que tu ne tombes enceinte, tu n'arrêtais pas de tricoter ces petits moufles pour les filles de Monroe. Tu passais tout ton temps à faire du babysitting chez absolument tout le monde, si jamais les bûcherons devaient s'éterniser sur les zones... Tu es une mère née.
— Mais...
— Non, Prescott, non, coupé-je, je peux te garantir que tu vas être parfaite... Et si jamais tu as peur, regarde ma mère, où elle a disparu... Voilà ce que c'est, d'être terrible. Planifies-tu de le faire ?
Les grands yeux étincelants de la jeune femme s'arrondissent sous mes mots qui déchirent à peine ma gorge nouée et elle parvient à se redresser, quand Carsen débarque à nouveau, avec absolument tout le monde. Même mon père doit se faire violence pour ne pas garder trop longtemps le bébé dans ses bras et la redonne à Prescott. Si celle-ci hésite avant de la prendre, elle ne la laisse pas en suspens plus longtemps quand je lui adresse un dernier sourire attendrissant.
Ses mains semblent même expertes, quand elles s'enlacent autour du petit corps emmitouflé dans un linge coloré de sa fille.
Je viens me presser contre la carrure de mon père, quand Carsen vient rejoindre sa famille enfin réunie après neuf longs mois de caprices et de faim insatiable et demande :
— Alors vous deux ? Vous avez déjà choisi un prénom pour elle ?
Carsen cesse un instant de nouer les cheveux de sa femme dans une coiffure plus confortable et passe le revers de son pouce sur le front du bébé déjà endormie sous son arrivée éprouvante dans le monde.
— J'avais quelques idées en tête, mais je pense que vu les grimaces que Prescott tiraient, quand je les proposais...
— Hey, ce ne sera pas ma faute si tu veux qu'on se moque de notre fille, à l'école !
Le bûcheron lève les yeux en l'air, avant de les reporter sur son bébé, comme si cette fraction de seconde lui avait coûté un instant de sa vie.
Et ce serait affreux, non ?
— Je vais donc laisser la mère s'en charger.
— C'est vrai ? s'émerveille celle-ci en adressant à son mari le plus amoureux des regards.
— Oui. Vas-y. Qui plus est... C'est vraiment un merveilleux prénom.
Prescott porte son bébé un peu plus à sa poitrine pour le présenter officiellement à tout le monde et murmure, émue :
— Alors tout le monde... Je vous présente Sage O'Malley-Reed.
Sage...
Quel merveilleux prénom, en effet.
***
Perchée sur le toit de mon pick-up, mes genoux ramenés à ma poitrine, je regarde les étoiles mourir dans les cieux obscurs, chassées par les rayons impétueux d'un soleil sanguin. Le kaléidoscope des lumières semble presque cassée par l'obscurité duveteuse que crée l'épais feuillage des pins, mais j'y trouve mon réconfort.
C'est suffisant. Du moins... Je crois.
Après avoir laissé la famille O'Malley, je n'ai pas réellement pu trouver sommeil. Merde, je n'ai même pas réussi à rentrer dans mon chalet. Je suis simplement montée, quand j'ai vu les dernières étoiles et je n'ai pas bougé depuis.
Dans quelques heures, je dois me rendre au travail et je n'ai quasiment pas fermé l'œil de la nuit, mais tant pis. Ce n'est pas la fatigue qui me paralyse...
Mais plutôt la solitude.
Je laisse tomber mes jambes et m'allonge en croisant mes bras derrière ma nuque.
Il y a quelques mois encore, je croyais que j'étais bien mieux, ainsi. Que je n'avais besoin de personne d'autre. Que mon chalet, mon chien et mes plaids étaient très bien comme tels.
Mais Ollie n'est qu'un souvenir dans un panier vide, mes couvertures ne me gardent plus autant au chaud et ma maison parait invivable.
Parce qu'elle n'est pas secouée de disputes insensées autour de deux personnes qui ont plus de sarcasme à revendre qu'un marchand de babouches. Parce que je n'ai plus personne pour me raconter l'histoire des milliers d'étoiles qui ornent le ciel.
Parce que même lui, a décidé de se vider, sous mes yeux.
Je glisse l'une de mes mains dans ma poche et en sort le bout de parachute déchirée que j'ai retrouvé dans l'un de mes arbres, après le départ de Caleb. Si j'ai bien essayé de multiples fois de m'en débarrasser, je réalise que ce n'était pas le manque de temps qui l'a laissé languir dans les tréfonds de mes poches.
C'est tout ce qu'il me reste de ce crétin déchu de la stratosphère.
Un lourd soupir s'échappe de mes lèvres et je presse le bout de tissu contre ma poitrine où essaye de battre un cœur émietté. Je dormais un peu mieux, avec lui à mes côtés. Parce que je peux allumer un millier de feux de cheminées, que ça ne servirait à rien... il était celui qui ravivait une flamme éreintée en moi.
Je ne le déteste pas, en fin de compte.
Alors est-ce que tu peux revenir, maintenant ? S'il te plaît ?
Ma supplique n'a pas de réponse.
Bien sûr.
Léthargique, je me redresse péniblement du capot de mon pick-up et me laisse glisser jusqu'au sol gelé. Le petit frottement qu'émet la neige sous mes pas lourds s'approfondit lorsque je me rapproche un peu plus du rebord du lac. Je tends un pied vers un morceau de glace et le regarde s'engloutir dans les eaux ténébreuses.
J'ai un peu envie de faire la même chose.
Mes poings se serrent dans la profondeur de mes poches et je lutte contre l'envie de ne pas relever le bout de mon nez vers les arbres où était resté accroché la moitié de la vie de l'astronaute.
Un homme ne devrait pas tomber du ciel, comme ça et mettre ma vie sens dessus-dessous.
Allons, Heden, passe à autre chose.
Il est parti.
Ouais... il est parti...
Je me retourne, mais au lieu de rentrer, je me dirige à nouveau vers ma voiture.
Passe à autre chose.
J'enfonce mes clefs dans le contact, claque la porte et tourne mon volant au maximum pour faire demi-tour dans l'allée.
Passe à autre chose.
D'une main, je sors la carte de la boîte à gants et rejoins la route.
Parce que non, je ne peux pas passer à autre chose, peu importe la voix de ma conscience qui hurle à l'intérieur de mes tympans brisés par l'appréhension. Les lumières de mes feux agrandissent le chemin de neige et tandis que mes doigts se crispent autour du cuir de mon volant, je réalise que je ne sais même pas où je dois aller.
OK. Où est-ce que cet enfoiré de british peut bien se trouver dans ce monde ?
ENFIN : Prescott et Carsen accueillent leur petite fille Sage, dans leur famille et même si la nouvelle maman panique, elle peut compter sur le clan Keye !
Et même si Heden essaye de les soutenir au maximum, elle est plus blessée que jamais par le résultat final, le bilan même, de tous les abandons qu'elle a du subir 🥺
Du moins... Avant d'y remédier à sa manière !
C'est parti pour un roadtrip à travers l'inconnu ! Va-t-elle retrouver Caleb ?
Ou...
À mercredi prochain pour la suittttte 🤭💙💙
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