Chapitre 44 : Manchester
Une semaine plus tard, Manchester, Angleterre.
C'était un échec.
D'Oxford à Houston.
De Lev aux étoiles.
D'Heden à Chrystine.
Tout.
Absolument tout.
Parce que cette dernière a raison. Qu'on monte ou qu'on descende, qu'on vit ou qu'on meure... Les étoiles ne sont rien d'autres que des illusions que l'humanité ne pourrait jamais atteindre. Des magnifiques petites bulles étincelantes de rêverie pure, un mensonge qu'on enseigne aux enfants pour les éloigner des rues impitoyables d'une société en crise.
Et bizarrement, alors que je suis écroulée contre la vitre du taxi qui m'entraîne à travers les rues ouvrières un peu brumeuses de Manchester, un sourire ironique fraye son passage sur mon visage.
Je commence de plus en plus à croire en cette légende qui dit que les étoiles ne sont rien d'autre que des trous dans une boîte qui nous permettrait de respirer.
Que nous ne sommes rien d'autre que des jouets dans la poche d'un enfant, traînés jusqu'à ce qu'il soit lassé.
Moi, le premier, je prends poussière. Une partie de moi aurait voulu mourir dans l'explosion de Penrose.
Je n'arrive pas à croire que c'était lui, qui avait raison, depuis le début.
C'est quand on passe notre temps à rêver, qu'on a le plus peur de réaliser que ça n'a jamais été rien d'autre qu'un cauchemar.
— Stott Road, monsieur. Ça fera 25 £.
Je me redresse en grimaçant et écrase l'argent dans la main du chauffeur qui me regarde sortir en arquant un sourcil, jugeur.
Je m'en branle.
Je suis un connard et ce n'est pas nouveau. Il y en a pas mal qui peuvent approuver.
Alors gardons les étiquettes si c'est le seul truc qui me reste dans ma putain de vie.
J'attends que le taxi s'éloigner pour lâcher un lourd soupir et de rabattre ma capuche sur mes cheveux, avant que les mèches blondes ne se mettent à noircir sous la pluie. Voilà quelque chose qui ne m'avait pas manqué... Que j'avais même oublié, avec l'obscurité de l'espace et la neige du Maine...
La pluie.
Froide, elle menace d'arracher mes joues de mon visage dans de petites bourrasques irrégulières.
Rien, ici, n'a changé. L'odeur des pétunias de la maison des Richards embaume toujours autant le quartier où tout est rangé presque maladivement. Les mêmes haies, les mêmes toitures charbonnées...
Un millier d'années pourraient s'écouler, que cet endroit ne frémirait pas d'une brique.
Et pour quelqu'un qui n'y habite pas, c'est quasiment impossible de ne pas s'y perdre, sans adresse.
Malheureusement pour moi, je connais très bien mon chemin à travers ce dédale de bonnes habitudes.
J'attrape mollement mon sac et m'avance à travers la ruelle, me concentrant sur le bruit que font mes pas dans les flaques d'eau que j'ignore.
Je préfère ce son, plutôt que les mots cruels de Chrystine... Parce que la sensation de solitude qu'ils apportent me donnent plutôt envie de me balancer devant une voiture qui passe à mes côtés, me trempant de la tête aux pieds.
Bien sûr.
Le karma vient toujours mal accompagné.
— Putain...
Je rumine en passant ma main dans ma joue barbue et m'arrête devant un petit portail qui se devait être blanc, mais qui ne l'est plus depuis au moins treize ans, à en juger la peinture écaillée...
Ainsi que mes souvenirs.
Mon nez se plisse quand je la pousse et que l'odeur de la menthe et de la mélisse sauvage qui a fini par ravager la pelouse de la maisonnette, s'infiltre dans mes narines.
Je n'ai pas besoin de frapper à la porte pour savoir qu'il n'y a personne. Le manque de rideaux qui donne sur un salon vide me le font déjà bien comprendre.
Je ne suis pas ici pour voir du monde, après tout...
Je suis venue ici, parce que je n'ai plus nulle part où aller...
Pas après ce que Chrystine m'a dit et ce que Heden m'a fait comprendre.
Pourtant...
J'abats quand même mon poing sur la porte ronde et sculptée dans du bois de chêne qui referme tous mes souvenirs d'enfance.
C'est inutile, Caleb... T'es vraiment con.
Je frappe encore quelques coups.
Arrête.
Arrête.
Arrête.
C'est finalement mon front qui s'abat sur la porte et... Ce ne sont pas des gouttes de pluie qui déferlent le long de mes joues.
J'ai peut-être oublié d'admettre à Heden que, peu après m'être disputé avec ma mère, par rapport à ma mission dans l'espace et que j'ai froidement coupé les ponts avec elle... J'ai reçu une lettre.
Pas d'elle, mais de Madame Richards.
Un banal bout de papier, qui, au passage, sentait autant les pétunias que son foutu jardin, me disant que des funérailles auraient lieu le lundi de mon départ.
Les docteurs disaient que c'était le chagrin, qui l'avait tué. Le syndrome du cœur brisé ou une autre connerie du genre... Moi, je pense surtout qu'elle s'est persuadée elle-même qu'elle préférait mourir, plutôt que je vienne envahir les étoiles qu'elle aimait tant.
Alors, je ne suis pas venu pour elle. Et comme un gamin qui voulait absolument prouver que la Terre était ronde et qu'il n'y avait pas de fameux Paradis, au-dessus des nuages blancs, j'ai pris son collier et j'ai décollé avec.
J'ai vu Orion.
J'ai vu la Terre.
Mais je n'ai vu aucun signe de licornes, d'angelots armés d'arc d'amour ou de lumière pure. Enfin, ça, c'est si on ne prend pas en compte l'explosion de Penrose...
Putain, j'aurais mille fois préféré ça.
Ma main, tremblante sous le chagrin, fait tomber mon sac et je me laisse glisser le long de la porte jusqu'à ce que j'atterrisse sur le sol trempé et que la pluie s'écrase sur mon corps, depuis les gouttières bourrées de feuilles mortes.
À défaut d'avoir eu des parents qui me regardaient décoller depuis les télés, fiers, j'ai eu un Lev bourré de vannes pourries pour m'accompagner, un Jonathan piquant et un Craig souriant. J'avais vraiment eu l'impression d'avoir une famille.
Il y a une semaine, j'avais aussi cette impression... Mais elle était constituée d'une hybride éléphante, d'un bûcheron bourru et d'une renarde au tempérament de feu.
Et maintenant, je n'ai rien. À peine une poignée de feuilles aromatiques constituant un coussin fortuit pour apaiser les mœurs de mon cœur.
Tu les as tous chassé. Bien fait pour toi.
Je m'apprête à plonger mon visage entre mes mains que la porte des Richards s'ouvre sur une silhouette trapue. Cachée sous un parapluie rond, elle se rapproche de moi et son visage s'éblouit quand elle me reconnaît, serrant dans ses mains son cardigan pour se protéger du temps.
— Et ben ça alors... Je croyais que tu étais un intrus, mais tu es bien pire que ça !
Susan putain de Richards... Le genre de voisines qui te crève un ballon devant tes yeux, parce que tu l'as balancé dans ses foutus pétunias de malheur.
Je décide donc de relever vers elle mon sourire le plus faux et grogne avec animosité :
— Bonjour, déjà... Et puis je suis encore chez-moi, m'dame. Je pense que j'ai le droit de venir m'écrouler sur mon porche sans qu'on vienne me faire chier.
— Je n'en suis pas si sûr, petit malpoli... Bien qu'il est incroyable de te revoir ici... La banque est venue saisir cette maison, il y a une semaine. Tu ne vois pas ?
Elle pointe du doigt un panneau presque dissimulé par des buissons devenus sauvages et en effet, j'y distingue les mots capitalistes des enflures qui n'ont pas hésité un seul instant à venir voler le dernier bien d'une lignée perdue.
Je devrais crier.
Mais à la place, je ris.
Ironique, non ?
Maintenant... Je n'ai vraiment plus rien.
Madame Richards me regarde me relever, en plaquant ma main sur la boîte aux lettres et me tenir jusqu'à ce que j'arrête de rire.
— Je suis désolée, Caleb. Sincèrement. Ça... Ça fait longtemps, que tu n'es pas venu.
Je m'essuie le visage et roule les yeux au ciel qui a fini par me recracher, il y a quelques mois de cela.
— Ouais. J'étais en voyage.
— Je t'avais envoyé des lettres, petit. Tu ne les as pas reçus ?
J'aimerais lui rappeler que là où j'étais, lui lancer la pique sur mon indisponibilité, mais je sais très bien qu'elle n'est pas stupide... Et qu'elle s'attend à ça. Elle semble même tendre le cou vers moi, comme si elle était prête à recevoir la gifle verbale.
Mais nous savons tous les deux que nous parlons des lettres que j'ai très bien reçu, lorsque j'étais déjà arrivé à Houston, avec Lev, Jon et Craig...
Alors mon sourire s'efface de mes lèvres et je baisse le regard vers le sol en pierre.
— Hm.
— Je suis désolée.
— Vous l'avez déjà dit.
— Il y a beaucoup d'excuses à porter. Différentes problématiques suscitent différents pardons.
Je redresse la tête vers elle et laisse ma rage m'étrangler.
— Je ne vous ai pas vu depuis des années. Je ne vous dois rien et inversement. Maintenant que je débarque, je... Je n'ai pas besoin de vous, d'accord ?
— Non. Non, c'est vrai. Mais je peux te donner ça.
Elle trifouille un instant dans son cardigan avant de me tendre des clefs et de soupirer :
— Tiens. Les clefs de ta maison. La banque ne viendra pas avant quelques jours, mais... Histoire que tu dises au revoir convenablement. Tu n'as peut-être pas besoin de moi, mais tu as besoin de ça.
Pendant une longue minute, je regarde sa main, avant de saisir l'objet avec une lenteur nécessaire à mes tremblements.
Mieux valait, après tout.
Avant qu'elle ne tourne les talons pour repartir chez-elle, Susan pivote dans ma direction et m'assure, ce que je crois être, du moins, un sourire.
— Prends le temps qu'il te faut, fiston... Et bienvenue à nouveau. Tu es chez-toi, maintenant... Peu importe si ça ne restera pas longtemps le cas.
C'est en silence que je la regarde disparaître de son côté de la rue... Et derrière sa porte, me laissant avec les clefs, la mélisse et la maison où j'ai grandi.
Rien que ça.
Madame Richards, capable d'un minimum de compassion.
Je baisse le regard vers ma paume écarquillée, où réside mes clefs et me tourne doucement vers ma maison.
Et à présent ? Qu'est-ce qui se passe ?
On dépayse un peu, on quitte le Maine pour Manchester, la lugubre 🤭🤭 bon rien à voir 😂
Là, l'esprit de Noël a complètement disparu 🥺
On apprend que la mère de Caleb est en réalité décédée avant son départ... Et rempli de rancœur, le revoilà de retour dans une maison qui ne semble même plus lui appartenir !
Alors ? À votre avis ? Quelles seront ses décisions, à partir de maintenant ? 🤭
À très vite pour la suiiiite 🥰🥰
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